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qu'à

déjà il ne connaissait au juste la signification des noms que portent ces chiffres? Non, sans doute; il ne parviendrait de cette manière articuler à la vue de ces signes des mots constamment les mêmes et différemment combinés, mais dont il ne sentirait point la valeur, qui est le rapport de ces mots aux choses extérieures. Ainsi, par exemple, vainement une collection d'objets s'offrirait à sa vue, il ne saurait pas la compter; c'est-à-dire, déterminer le nom qui lui convient dans la nomenclature des nombres.

C'est exactement ce qui se passe en musique. Les chiffres dont je parle sont les notes écrites dans les portées; ces notes ont des noms ut, ré, mi..... qui ne présentent aucune idée à l'élève qui commence. Or, on ne lui enseigne à rapporter ces noms qu'aux signes écrits, et point aux sons extérieurs qui viennent frapper son oreille sous diverses propriétés; il en résulte que l'élève, après trois ou quatre années d'une étude si stérile, écoutant chanter un air, il lui est impossible d'en dénommer les sons dans l'ordre où ils se succèdent, parce que la valeur des mots ut, ré, mi.... n'est pas encore déterminée dans son esprit, et qu'il ne peut les rapporter à rien de ce qu'il entend, 'quoiqu'il soupçonne peut-être qu'ils furent faits pour cela. Et remar

quez aussi que la même cause doit l'empêcher de lire un air écrit; car il est incontestable que nous ne savons lire que par l'intermède de la parole.

Serait-il donc difficile d'établir entre ces noms et les idées qu'ils désignent une liaison si forte, si durable dans l'esprit de l'élève, que toujours le nom appelât subitement l'idée, et toujours l'idée subitement le nom?..... J'en imagine un moyen.

En effet, rien n'est si ordinaire que de voir les enfans chanter par cœur une foule de chansons qu'ils apprennent d'eux-mêmes: qu'on substitue les notes articulées de la gamme aux paroles inutiles de ces couplets, et l'on aura des enfans musiciens qui n'auront pas songé à le devenir. Comment s'opérera ce prodige? Le voici en voyant tous les airs possibles ramenés à un ton unique et exprimés avec sept noms continuellement répétés, il faudra bien qu'ils attribuent le retour des mêmes mots au retour des mêmes idées; ils en feront la comparaison dans leur esprit, et bientôt, en entendant un air quelconque, ils sauront en dénommer tous les sons, ils sauront le solfier. Qu'y a-t-il là de plus difficile pour eux que d'apprendre la valeur des mots de leur langue maternelle ? Certes, on ne

leur a pas pas défini ces mots pour les leur apprendre; on eût été trop embarrassé de le faire. Mais ils ont vu dans quelles circonstances ils sont employés; ils les ont remarquées, et il n'en fallait pas davantage.

Il est nécessaire de s'arrêter sur cette idée, et de s'assurer que ce n'est pas par des définitions que nous apprenons la valeur des mots, mais par l'analyse continuelle des circonstances dans lesquelles nous les voyons employés.

D'abord, les sensations sont les premiers matériaux de nos connaissances; elles deviennent des idées quand nous les éprouvons, comme souvenirs en l'absence des objets qui les ont causées; elles subissent dans nos têtes, comme dans un creuset de chimiste, diverses opérations qui sont des analyses et des synthèses perpétuelles. Elles y sont soumises à l'action d'un agent puissant qui les rapproche et les compare; et cette faculté qu'a notre esprit de les comparer n'est autre chose que celle d'apercevoir entr'elles des ressemblances et des différences. C'est làdedans que rentre la faculté d'abstraire; ainsi,, tout se réduit à la comparaison de nos idées, tout dépend d'elle en dernier résultat. Voyonsen des exemples.

Chacun sait que les enfans n'écoutent pas

les longs discours; c'est parce qu'à leur âge ils ne les peuvent pas comprendre. C'est beaucoup qu'ils arrêtent leur attention sur de petites phrases; mais c'est ce qu'ils font, parce que leurs besoins les y ramènent sans cesse. On imagine aisément comment ils apprennent la valeur de l'espèce de mots qu'on nomme des substantifs physiques. Ce n'est pas pourtant sans analyses qu'ils y parviennent; car, lorsque je fais passer sous les yeux d'un enfant, en prononçant leurs noms, une boîte, une montre, une chaise, l'idée qu'il prend de ces mots est composée de celle de la chose et de celle de ma personne et des actions que j'ai faites tenant ces objets, et des situations que j'ai prises, etc., etc. Ce n'est que quand il a vú varier ces diverses circonstances hors la première, qui est la chose dénommée, et hors le nom de cette chose, qu'il a dû rapporter à la sensation de l'objet l'articulation du mot.

Mais prenons-le au-delà de ce point, et voyons comment il apprend la valeur des autres espèces de mots abstraits, des pronoms, des prépositions, des verbes, etc.

Premièrement, il remarque des phrases formant un sens complet, phrases qui, lorsqu'on les lui fit entendre, furent toujours accom

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pagnées de l'action, de la situation, enfin de la sensation qu'elles signifient, et que l'enfant éprouvait à l'instant même de l'audition; il se forma donc ainsi dans son esprit une liaison une association durable entre le signe et la chose signifiée. Mais croit - on qu'il s'apercevait au même moment que la phrase fût composée de divers mots et les mots de syllabes distinctes? Il s'en faut bien la phrase n'était pour lui qu'un tout continu où il ne remarquait point de parties; c'était un fil parfaitement uni, glissant sur le nerf auditif d'un mouvement uniforme, et dont aucun noeud n'interrompait la vitesse égale. L'idée aussi n'était qu'une masse à ses yeux: Pierre marche, le chapeau est sur la table, ne lui parurent d'abord qu'un tout sans distinction de parties, ni dans la phrase ni dans l'idée qu'elle représente bientôt il en fit l'analyse.

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A une certaine époque il connaissait, je suppose, ces deux phrases: Pierre marche, Paul marche..Il les compara; il reconnut leur ressemblance à l'égard du mot marche, qui leur est commun, et leur différence à l'égard des mots Pierre et Paul; et comme il compara en même-temps les idées que ces mots expriment et auxquelles ils sont liés, il en reconnut aussi la ressemblance dans l'action de marcher, et la

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