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cela pour un paradoxe? A la vérité, M. de Destutt-Tracy, dans sa logique, a dit formellement, qu'un art dépend toujours d'une science; que c'est la science qu'il faut créer pour procéder avec méthode, et qu'ensuite on en tirera facilement des conséquences utiles pour la pratique. M. de Tracy a bien eu raison de le dire, même en termes généraux; mais, si je le répète en termes particuliers pour la musique, ne dois-je pas craindre d'être contredit?

Dans bien des momens de pareilles réflexions, j'aurais volontiers livré mes idées à quelque musicien de renom, qui aurait eu plus que moi le crédit de les faire valoir; car j'avais toujours devant les yeux les peines infinies que se donnent ceux qui veulent apprendre un peu de musique, et je sentais la possibilité de les faire finir.

D'un autre côté, en considérant le grand nombre de livres qu'on a écrit sur cet art, en voyant que tous traitent de l'harmonie et supposent des idées acquises en mélodie, qui ne sont exposées nulle part, j'avoue que je me défiais beaucoup de mes idées préliminaires, parce que je n'en pouvais pas concilier l'importance avec le peu de cas qu'on en paraît faire généralement, ou avec l'oubli dans lequel on les laisse. Si elles avaient du prix, disais-je, nos

grands musiciens ne les auraient-ils pas employées? ou bien peut-on croire qu'elles ne se soient pas présentées à leur esprit ?

C'était pourtant l'un ou l'autre. Alors, je n'eus qu'un parti à prendre pour me déterminer; ce fut de balancer des noms fameux en musique par des noms imposans en philosophie; je le fis: Bacon, Descartes, Locke, Condillac, DestuttTracy, furent mes enseignes, et je pus me livrer à mes idées les plus chères sans scrupule et sans orgueil.

L'un me disait que le doute est le premier pas vers la vérité; l'autre, qu'il faut se faire des idées exactes de la valeur des mots, sans quoi l'on ne voit que confusion et disputes; celui-ci, de bien examiner l'ordre de la génération des idées, et de s'y conformer dans toute exposition de matières; celui-là, de recueillir des faits nombreux et variés, d'examiner ce qu'ils renferment, et de n'admettre pour vrai que ce qu'on en voit sortir..... Avec de tels principes, si je les comprenais bien, la musique se présentant à mes recherches comme un champ tout neuf à défricher, pouvais-je n'y pas faire d'heureuses cultures? Tout autre que moi les eût faites de même; l'esprit du siècle est trop avancé pour que la découverte pût tarder long-temps.

Il n'était donc pas si mal-aisé de la faire; il l'était beaucoup plus pour moi de la faire recevoir, et je n'aurais jamais osé l'espérer ou l'entreprendre si je n'avais considéré que mes propres forces; mais bientôt je vis que je devais tout attendre de l'époque seule où je me trouve heureusement placé. En effet, aujourd'hui tous les esprits sont ouverts aux vérités nouvelles, ou, si l'on veut, aux nouvelles applications d'anciennes vérités : les découvertes extraordinaires se succèdent si rapidement depuis un quart de siècle, qu'on n'ose presque plus croire à l'impossibilité d'aucune. L'amour de la vérité est devenu une vraie passion; l'ancienneté des erreurs ne les rendant pas plus respectables, on peut les attaquer sans ménagement; et personne ne se croyant plus intéressé à les défendre, chacun, dès qu'il les voit signalées, se dispose à les bien examiner. Comment la vérité ne sortirait-elle pas du concours de tant d'examens ? Cette tendance générale des esprits est donc extrêmement favorable au progrès des lumières et des découvertes, en même-temps qu'elle en est la suite inévitable; d'ailleurs, elle ne peut effaroucher que l'erreur ou la mauvaise foi, qui sont deux si grands fléaux pour la société.

Ainsi, j'avais lieu de croire que mes idées

seraient examinées soigneusement, si toutefois je les présentais appuyées d'un résultat utile. Il ne me fallait plus que les mettre moi-même à exécution; c'est ce que j'ai fait avec d'autant plus d'espoir de succès, que j'avais sous les yeux un exemple encourageant je veux parler de la révolution opérée en chimie de nos jours. Ne sait-on pas qu'elle est due à l'exacte appli cation des mêmes principes? Qu'on lise la belle préface de Lavoisier, à la tête de ses Elémens de chimie, on y verra signalées les grandes idées de Condillac et de Bacon, comme étant le fil d'Ariadne qui doit nous tirer en tous temps du labyrinthe des erreurs.

Je déduisis donc promptement de mon système ses conséquences pratiques; je disposai mes moyens, je les mis autour de moi en action. Le succès a répondu complètement à mon attente, et mes concitoyens ont vu avec étonnement les effets que je vais décrire.

De jeunes enfans de sept à neuf ans ont pu chanter au bout de huit mois, à livre ouvert, une classe étendue de morceaux de musique dans tous les tons, tous les modes, et à toutes les clefs; un autre élève de l'âge de douze ans, dont par conséquent l'intelligence est plus affermie, a pu faire les mêmes choses au cinquième

mois; et si une pièce de musique renferme de vraies difficultés, trois ou quatre lectures consécutives les mettent tous en état de les vaincre d'eux-mêmes, et de la chanter couramment. Si je leur délivre, la veille, des parties qui leur soient inconnues d'un morceau d'ensemble, ils peuvent le lendemain exécuter cet ensemble avec pureté et correction ; ils savent donc étudier seuls, sans instrument et sans maître, une musique proposée. Dans ce cas, ils ne manquent point d'en faire l'analyse, et de remarquer à la lecture les changemens de ton et de mode qui se succèdent dans le cours du morceau : mettre des paroles à un air ne leur est pas plus difficile. On conçoit, en effet, qu'ils doivent le faire aussi couramment, aussi vîte qu'ils peuvent en lire les notes; enfin, ils prennent sous la dictée, avec mesure et volubilité, toutes les notes des airs qu'on leur chante, et chaque jour ils m'apportent par écrit des airs qu'ils ont notés d'euxmêmes, les sachant par cœur, ou qu'ils ont saisis, phrase par phrase, à ces orgues dits de Barbarie, qui parcourent la ville.

Les personnes qui ont vu particulièrement naître et se multiplier ces résultats, n'en étaient pas moins frappées à l'origine qu'elles l'ont été à la fin. Les progrès étaient si rapides, qu'on les

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