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HISTOIRE ET DESCRIPTION

DE TOUS LES PEUPLES,

DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, ETC.

TARTARIE,

CONSERVATEUR-ADJOINT

PAR M. LOUIS DUBEUX,

A LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE, ASSOCIÉ CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE TURIN,

ET PAR M. V. VALMONT.

Vers la fin du dernier siècle une sorte d'intérêt romanesque s'attachait au nom de la Tartarie. C'était dans cette vaste région, habitée depuis un temps immémorial par des peuples barbares, que plusieurs savants égarés sur les traces de Buffon et de Bailly plaçaient le berceau du genre humain et le plus ancien sanctuaire des arts, des sciences et de la civilisation.

Aujourd'hui la critique a triomphé de ces erreurs; à un engouement vif et passionné pour des paradoxes nouveaux et inattendus a succédé une curiosité sincère et réfléchie pour les observations de la science moderne. La Tartarie nous apparaît maintenant telle que la représentait l'histoire avant la naissance du vain système préconisé par Langlès et réfuté par Abel-Rémusat; telle enfin que nous la révèlent les invasions d'un Attila, d'un Gengiskan et d'un Timour. A toutes les époques, comme de nos jours encore, cette immense contrée a eu pour habitants des pâtres grossiers, des hordes sanguinaires et des tribus ignorantes et superstitieuses. Mais si pour la Tartarie le prestige d'une glorieuse antiquité

1re Livraison. (TARTARIE.)

s'est évanoui sans retour, si dans le passé les peuples de l'Asie centrale n'ont acquis aucun droit à notre reconnaissance et à notre vénération, ils méritent à d'autres égards de devenir aujourd'hui l'objet de nos études. La Tartarie ne peut se soustraire longtemps à l'influence des armes et de la civilisation de l'Europe. Les caravanes et les ambassades russes sillonnent les steppes du Turquestan, et l'Angleterre envoie dans ces mêmes contrées les Burnes, les Abbott, les Stoddart et les Conolly, intrépides et infortunés précurseurs d'une régénération dont leurs écrits et leurs souffrances avanceront l'époque. L'état actuel et l'avenir de la Tartarie, tels sont les seuls points auxquels le public ait prété une attention sérieuse, au milieu des divers souvenirs qu'éveille en nous la politique de l'Angleterre et de la Russie à l'égard des différents États de l'Asie centrale. Cette disposition des esprits a fixé le plan de l'ouvrage que nous publions. Nous essayerons de faire connaître d'après les relations les plus fidèles et les plus récentes le pays et ses habitants, ainsi que le bien et le mal

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Les langues actuellement en usage dans la Tartarie sont le turc ou tartare, qui se partage en plusieurs dialectes, le persan, le mogol et le mandchou.

(D) Les peuples tartares sont répandus bien au dela des limites que nous traçons ici; ils habitent les contrées bornées à l'est par la mer du Japon; au sud, par l'Inde, la Chine et la Perse; à l'ouest, par les fleuves qui se jettent dans la mer Caspienne et le Pont-Euxin ou mer Noire; et au nord, par la mer Glaciale. Voyez Abel-Rémusat, Recherches sur les lanques tartares, page 1.

(2) Ibidem, page XXXVI. (3) Ibid. Ibid.

L. D.

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ORIGINE DU NOM DE LA TARTARIE.

Tartarie vient de Tartares, dénomination collective sous laquelle on désigne plusieurs peuples de race et d'origine différentes. Tartares paraît être une altération de Tatár, nom particulier d'une tribu qui étant devenue très-puissante, l'imposa aux autres peuples soumis à sa domination. Ce fut au douzième siècle, lorsque toutes les nations de la Tartarie, rangées sous un même sceptre, menacèrent d'envahir l'Europe et l'Asie, que le nom des Tartares commença d'être connu par les auteurs occidentaux, Quoi qu'il en soit de l'origine de ce « nom de Tatars, dit Abel-Rémusat, <«<les Européens, qui l'ont légèrement « altéré, s'en servent indifféremment « pour désigner une foule de nations à « demi civilisées qui diffèrent beaucoup << entre elles... Dans ce sens, je crois qu'il est bon de conserver à ces nations « le nom collectif de Tartares, quoi« que corrompu, préférablement à celui « de Tatârs, parce que ce dernier, qui paraît plus correct, mais qui appar« tient à une seule tribu, ne doit pas ser« vir à désigner les autres tribus en gé «néral. C'est donc improprement, à « mon avis, que quelques auteurs moa dernes ont appliqué ce surnom aux << Mandchous, aux Tibétains et à d'autres « qui ne sont nullement Tatârs, mais qu'on peut sans inconvénient appeler « Tartares, s'il est bien convenu que par là on n'entend pas parler d'une << nation particulière ainsi nommée, « mais seulement réunir sous une dé<< nomination commune et abrégée tous << les peuples qui habitent la Tartarie, quels que soient d'ailleurs leur origine, leur langue ou leurs usages (1). »

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CONFINS. Au nord, la Russie; au sud, les royaumes de Lahore, de Caboul, de Candahar et de Perse; à l'est, la Chine; et à l'ouest, la mer Caspienne.

ÉTENDUE. Le Turquestan a environ 550 lieues géographiques de longueur du nord-est au sud-ouest, 400 lieues de large, et 117,000 lieues carrées.

MERS, LACS, FLEUVES ET RIVIÈRES.

LA MER CASPIENNE n'appartient à notre sujet que d'une manière indirecte, et nous nous bornerons à la nommer.

LA MER D'ARAL, appelée aussi lac d'Aral, est située, suivant M. de Levchine, entre le 43° degré 1/2 et le 46 3/4 de lat. nord, et le 75 degré 3/4 et le 79° degré de longitude orientale du méridien de l'île de Fer. Les géographes arabes et persans lui donnent les noms de mer de Kharizme et mer d'Ourguendje. Les Kirguizes et les autres peuples qui habitent ses bords l'appellent Aral-Denguize, expression qui, dans leurs dialectes turcs ou tartares, signifie mer des iles. L'eau de la mer d'Aral est moins salée que celle des autres mers du globe. On a même observé que près des bouches de l'Oxus et du Jaxartès elle est presque douce. Les bords de la partie est et sud de la mer d'Aral sont bas et couverts de sable ou de roseaux ; ceux de l'ouest et du nord-ouest sont hauts et escarpés. On trouve dans la partie orientale de cette mer un nombre considérable d'îlots. Vers le nord, il existe une grande île qui est couverte de bois. Les poissons de la mer d'Aral sont, autant qu'on a pu le savoir jusqu'à présent, les mêmes que ceux de la mer Caspienne. En hiver, la mer d'Aral gèle complétement, et on la traverse alors sur la glace. Cette mer ne reçoit pas d'autres eaux que celles de l'Oxus et du Jaxartès.

L'Oxus est le fleuve le plus considérable du Turquestan. Les Asiatiques le nommaient autrefois Djihoun; aujourd'hui ils l'appellent généralement Amou et Amou-Déria, quelquefois aussi AminDéria, suivant M. de Mouraviev (1). Ce fleuve prend sa source sur le pla

(1) Voyage en Turcomanie et à Khiva, fait en 1819 et 1820, par M. N. Mouraviev (Paris, Louis Tenré, 1823; in-80), page 234.

teau de Pamère, près du lac Sarikoul. Il arrose le pays de Badakhschane, où il reçoit la rivière du même nom, et grossi par plusieurs autres affluents moins considérables, il serpente à travers les montagnes, passe non loin de Khouloum et de Balkh, arrive enfin dans la Khivie, et se jette dans la mer d'Aral. L'Oxus est navigable dans la plus grande partie de son cours. Il éprouve des crues périodiques, résultat de la fonte des neiges dans les montagnes où prennent leur source ses principaux affluents. Les eaux du fleuve conservent pendant la crue une teinte rougeâtre.

L'Oxus gèle totalement sur plusieurs points pendant l'hiver, et les caravanes le traversent sur la glace. Le passage en bateau devient alors très-dangereux dans les endroits où le fleuve n'est pas tout à fait pris, à cause des glaçons énormes que le courant entraîne avec violence. Les habitants du pays emploient pour la navigation des bateaux à rames; mais ils ont aussi une façon particulière de traverser le fleuve. Ils attachent un cheval et quelquefois deux à chaque extrémité du bateau, brident ces animaux comme s'ils devaient les monter, et sans aucune autre aide, l'embarcation traverse en droite ligne le courant le plus rapide. Un homme tient les chevaux par la bride, et les excite de la voix à nager avec force. On fait mouvoir à l'arrière une sorte de perche ou d'aviron, afin que le bateau ne tourne pas sur lui-même dans le courant. Les chevaux n'ont pas besoin d'être dressés pour remarquer ainsi les embarcations. On prend pour cet usage les premiers qui se présentent.

Les bateaux dont on se sert sur l'Oxus sont fort bien construits; ils n'ont ni mâts ni voiles. Leur forme ressemble à celle d'un navire et se termine en pointe aux deux extrémités. Ils sont en général longs de 50 pieds, larges de 18, et du port de 20 tonneaux environ. Ces bateaux sont à fond plat. On les fabrique avec des planches que fournit un petit arbre, extrêmement commun sur les bords du fleuve. Ils ont une solidité remarquable.

L'Oxus à son embouchure se partage en plusieurs bras qui forment un assez grand nombre d'ilots. On pêche

dans ce fleuve des espèces de silures dont les Usbecks sont très-friands. Ces poissons, d'une grandeur énorme, pèsent de 5 à 6 quintaux.

LE JAXARTES, appelé Sihoun par les anciens géographes arabes et persans, est nommé aujourd'hui Sir ou Sir-Déria. Il a sa source, comme l'Oxus, dans le plateau de Pamère, traverse le pays de Khokande et de Khodjende, et verse ses eaux dans la mer d'Aral, comme nous l'avons déjà remarqué. Le Sir forme dans son cours plusieurs îles. Ce fleuve déborde souvent à l'époque des grandes chaleurs de l'été par les mêmes causes que l'Oxus. Il déborde aussi au commencement de l'hiver, parce que ses bouches marécageuses gèlent dès les premiers froids, et que les eaux continuent encore à couler pendant longtemps dans la partie supérieure de son cours.

Les rives du Sir, fertilisées par ces débordements, se couvrent de plantes, de buissons, d'arbres, de roseaux et d'excellents pâturages. On emploie sur ce fleuve des bateaux faits pour la plupart de bois de peuplier, avec des chevilles du même bois, et sans clous. Ces embarcations sont assez fragiles. Les habitants ne s'en servent guère pour passer le fleuve; mais ils ont recours à un autre moyen: ils gonflent de vent deux outres qu'ils attachent à la queue d'un cheval, et se couchent dessus. L'animal en nageant remorque cette espèce de radeau. Les Kirguizes se contentent de saisir de la main droite la crinière de leurs chevaux; ils nagent de la gauche, et traversent ainsi le fleuve.

M. de Meyendorff rapporte dans son voyage la manière dont les chameaux des caravanes passent le Sir. Ces animaux, attachés au nombre de dix environ les uns derrière les autres, sont guidés à travers le fleuve par des Kirguizes tout nus, qui nagent à côté d'eux et poussent de grands cris pour les faire avancer. Le chameau en nageant se penche de côté pour offrir à l'eau une surface plus grande et se soutenir au moyen de ses bosses. Trois chameaux s'étant noyés dans le passage furent tirés sur les bords du fleuve. Les Kirguizes leur tournèrent la tête du côté de la Mecque, leur coupèrent la gorge en récitant une prière usitée

en pareille circonstance, et les dévorérent à l'instant même.

Le Jaxartès est moins considérable que l'Oxus, et il a un courant beaucoup plus rapide.

LE SARA-SOU est une rivière qui traverse le pays des Kirguizes de la grande horde.

LE TSCHOUI vient de la Dzoungarie, et arrose le territoire des Kirguizes de la horde moyenne et de la grande.

LE KOHIK, appelé aussi Couvan et rivière de Samarcande, reçoit dans les environs de Boukhara le nom de Zerafschane. Cette dénomination signifie en persan qui répand l'or, et rappelle l'ancien Polytimète. Le Kohik sort des montagnes à l'est de Samarcande et au nord de Boukhara, et forme à son embouchure le lac Karakoul.

LA RIVIÈRE DE KARSCHI prend sa source dans les mêmes montagnes que le Kohik. Elle passe par Schéhérisebze et Karschi, et se perd dans les sables.

LA RIVIÈRE DE BALKH, ou Balkhab, porte aussi le nom de Dehasch, Dehas

et Dehrouha. Ces mots veulent dire en persan dix meules. La rivière de Balkh reçut cette dénomination, parce qu'elle faisait tourner, à ce qu'on prétend, dix moulins. Cette rivière, dans laquelle les géographes ont reconnu l'ancien Bactrus, se jetait autrefois dans l'Oxus; aujourd'hui elle se partage en différents canaux qui se perdent tous dans les sables avant d'arriver au fleuve. La rivière de Balkh descend du revers méridional de l'Hindou-Cousch.

Le Mourgab, ou rivière de Merve, sort des montagnes du pays des Hazareh, arrose la grande oasis de Merve et se perd dans les sables.

LE TÉDJEN, TEDZEN OU TEDJENDE prend sa source dans le Khorasan, traverse le Couhistan et l'oasis de Scharakhs (1), et se perd dans les sables.

RELIGION.

Les peuples du Turquestan professent tous la religion mahométane sunnite, à l'exception d'un nombre peu considérable de Juifs, des habitants du pays de

(1) C'est ainsi qu'on prononce actuellement ce écrits des anciens géographes arabes qu'on dinom dans le pays; mais nous voyons par les

sait autrefois Sarkhas et Sarakhas. L. D.

Dervazeh qui sont idolâtres, et d'autres dissidents.

DIVISION POLITIQUE.

Le Turquestan se partage aujourd'hui en différents États, dont nous nous occuperons dans l'ordre de leur importance. Ces États portent le nom de khanats, c'est-à-dire pays gouvernés par des khans. Ce sont :

Le khanat de Boukhara, ou la grande Boukharie, de laquelle dépendent le pays de Balkh, et les ci-devant khanats d'Ankoï et de Méïmaneh ;

Le khanat de Khiva, avec le pays des Karakalpaks et celui des Turcomans, ou Turcomanie ;

Le khanat de Koundouze; Le khanat de Khokande; Le khanat de Hissar; Le khanat de Schéhérisebze; Enfin le pays des Kirguizes. Nous nous occuperons d'abord du khanat de Boukhara, plus riche, plus peuplé et plus puissant que tous les autres. Nous entrerons à l'occasion de la Boukharie dans plusieurs détails qui s'appliquent à quelques autres États, et qu'il ne sera plus nécessaire de répéter lorsqu'une fois nous les aurons fait connaître.

KHANAT DE BOUKHARA, OU GRANDE

BOUKHARIE.

LIMITES. Il est extrêmement difficile d'indiquer avec exactitude les limites de la Boukharie; ce pays, étant environné de déserts, ne saurait avoir des frontières bien déterminées : l'étendue des khanats varie suivant la force ou la faiblesse du souverain régnant, qui porte les limites de son empire à une distance plus ou moins grande.

M. le baron de Meyendorff observe que le khan de Boukhara pousse au nord ses avant-postes jusqu'à Agatma, où il existe une petite maison qui sert de corps de garde à ses soldats. Les troupeaux des propriétaires boukhares vont paître au nord-est d'Agatma, et les habitants de Boukhara dépassent cet établissement militaire, et se rendent dans les déserts situés au nord-ouest pour arracher des broussailles qu'ils vendent

ensuite dans la capitale. Enfin, les officiers des douanes boukhares vont jusqu'à Karagata, pour visiter les caravanes qui arrivent de Russie. Ces différents actes indiquent une possession permanente et régulière, et M. de Meyendorff indique Karagata comme l'extrême frontière de la Boukharie du côté du nord. De Karagata les limites se prolongent en ligne droite jusqu'à Ouratoupah en avançant vers l'est; les frontières orientales s'étendent d'Ouratoupah jusqu'à Déïnaou; la ligne méridionale part de Déïnaou et s'avance jusqu'en deçà de la ville de Merve. La frontière occidentale commence à Karagata au nord et descend vers le sud jusqu'en deçà de Merve; cette ligne renferme le puits nommé Itsch-Berdi, situé sur la route de Boukhara à Khiva, et non loin duquel est établi un avant-poste boukhare, et Ioïtschi, village sur l'Amou-Déria.

On peut conclure, d'après ces données, que la Boukharie, dans ses limites ordinaires, est située entre les 37° et 41° degrés de latitude nord, 61° et 66° degrés 30 minutes de longitude est de Paris. La surface est d'environ dix mille lieues carrées.

Nous ne faisons pas entrer dans cette estimation les pays de Balkh, d'Ankoï et de Meïmaneh, qui ne dépendent qu'accidentellement de la Boukharie.

CLIMAT. Le climat de la Boukharie n'est ni malsain ni désagréable. Il est sec et très-froid en hiver. En été, le thermomètre dépasse rarement 25 degrés de Réaumur, et les nuits sont toujours fraîches, excepté dans les parties désertes du pays, où la chaleur est plus forte et excède souvent 30 degrés. La riche végétation des environs de Boukhara contribue à rendre plus douce la température de la ville. Cette capitale est située à 1,200 pieds au-dessus du niveau de la mer. L'atmosphère y est en général pure, et le ciel d'un bleu vif et sans nuage. Les étoiles y brillent pendant la nuit d'un éclat extraordinaire, tout à fait inconnu dans nos climats. Il s'élève de violents tourbillons de poussière qui souvent ne se dissipent qu'au bout de plusieurs heures.

En hiver, la neige couvre quelquefois la terre pendant trois mois, d'autres fois aussi elle fond presque aussitôt

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