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CHAPITRE IV

ÉQUILIBRE ET QUESTION D'ORIENT.

Avant de terminer cette première partie de notre travail, nous allons examiner le rapport existant entre l'équilibre européen et ce qu'on est convenu d'appeler la «< question d'Orient. » A proprement parler cette expression de « question d'Orient » n'est pas juste. Il eût été de beaucoup plus exact de dire «question slave ou européenne. » En effet, par « question d'Orient » on entend parler de la solution à donner à la situation politique des peuples des Balkans et de l'Empire turc, c'est-à-dire des contrées situées à l'est de l'Europe. On s'attache trop à la désignation topographique. A notre sens, on doit voir plus haut.

Il faut certainement établir une différence entre les peuples slaves aux mœurs particulières et les peuples romans et germaniques. On aurait tort cependant de les opposer les uns aux autres. Il ne peut y avoir d'antagonisme; ce qui serait une faute.

La lutte contre la barbarie où l'inhumanité et le vice dominent, où les ténèbres intellectuelles favorisent l'immoralité, conduisent à une vie animale et brutale,

la lutte pour la vérité et la justice, pour une existence honnête, pour l'élargissement de l'esprit et du cœur, pour le développement intellectuel et moral, tel est le but de ce qu'on dénomme « question d'Orient. » Tous les peuples de l'Europe ne doivent-ils pas tendre vers ce but et marcher ensemble, unis les uns aux autres par des liens fraternels, qu'ils soient Slaves, Romans ou Germains? Une hostilité des uns aux autres a-t-elle sa place sur ce terrain, une haine peut-elle s'élever entre eux? Une opposition de vues et de volontés s'établissant entre peuples civilisés, tournerait uniquement au profit de la barbarie.

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Mais il est regrettable d'avoir à mentionner qu'à part es Slaves, les autres peuples de l'Europe ne voyaient pas la « question d'Orient» sous ce jour. La Russie uttait pour eux, pour l'Europe entière en s'attaquant au joug barbare, en combattant les Turcs; elle luttait pour les mœurs, pour la civilisation, pour porter la lumière aux âmes et aux esprits. Et cependant l'Europe paya la Russie de la plus vile ingratitude; elle s'est unie à ses ennemis, elle a marché de front avec leurs troupes sauvages qui détruisaient tout et représentaient l'endurcissement, l'insensibilité des Musulmans chez qui les femmes sont au rang des animaux, et dont la cruauté à l'égard de tout ce qui n'est pas musulman est connue. D'où venait cette opposition? Quel en était le mobile? Le principe de l'équilibre international ! Aussi comprenons-nous que quelques savants et publicistes russes se soient prononcés contre ce principe.

Tout en faisant ressortir l'hypocrisie, l'erreur, le mensonge et la haine qui se sont montrés en Europe, nous nous efforcerons de démontrer la non-culpabilité du principe que nous défendons.

L'année 1453, comme on le sait, marque dans l'histoire par la chute héroïque de Constantinople. Cet événement, semble-t-il, aurait dû provoquer la concentration des forces des chrétiens, alors divisés, et les pousser contre leur ennemi commun. Mais il ne se produisit rien de semblable. Les peuples européens firent plus de cas de leur richesse que de leur honneur et ils donnèrent sur les intérêts intellectuels la première place aux intérêts matériels. D'un côté Jésus-Christ, le Sauveur,le christianisme, la civilisation chrétienne; de l'autre, Mammon, le veau d'or, la barbarie musulmane. Les Etats de l'Europe occidentale se rangèrent de ce côté, et ce fut en vain que les papes Nicolas V, Calixte III et Pie II adressèrent un pressant appel aux souverains chrétiens en vue d'une croisade nouvelle. Personne ne répondit à cet appel, et même nous voyons la République de Venise envoyer Bartholomeo Marcello auprès du sultan avec la mission d'entrer en pourparlers pour la conclusion d'une convention commerciale. Et quel fut l'accueil fait à cette démarche ? Mahmoud II commanda aussitôt une prise de possession des territoires de la République.

La paix fut signée en 1479; et la République avait perdu la plus grande partie de ses possessions; mais

elle trouva dans des avantages commerciaux une compensation à la honte et au déshonneur. (1)

En 1536, le roi de France, François Ier, et le sultan Soliman conclurent un traité contre Charles-Quint. Ce traité eut pour conséquence d'établir entre la France et la Porte des relations amicales qui se continuèrent sans interruption jusqu'au règne de Louis XVI. Ces bonnes relations n'étaient pas seulement commandées par des considérations politiques; mais encore les rois de France, Henri II, François II et Charles IX devaient par la suite avoir recours aux richesses de la Porte. L'ambassadeur de France à Constantinople (Noailles) écrit à Charles IX, le 22 mars 1573, qu'il différera de quelque temps sa demande d'emprunt à la Porte de trois millions, non pas, dit-il, que je croigne la honte de rougir, mais parce que tout le porte à croire qu'il courerait au devant d'un refus et ce, une fois de plus. « Les Turcs, ajoute-t-il, ont pour péché irrémissible contre leur loi et religion de prêter argent aux chrétiens». A ses yeux, de tous les princes ottomans, le plus rigide dans sa foi, le plus observateur des lois du Coran, c'est assurément le sultan alors à la tête du gouvernement (Sélim) (2). Cependant nous devons ajouter qu'en dehors de leurs insuccès sur le terrain financier, les Français furent mieux favorisés dans d'autres circonstances. Au XVI° siècle, la France jouissait de

(1) V. Julien Klaczko, Les Evolutions du problème oriental, << Revue des Deux-Mondes, » 15 octobre 1878, p. 723.

(2) Ibid., p. 729.

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privilèges très vastes et exclusifs, si bien que les Turcs en vinrent à donner la dénomination de nations franques à toutes les nations; à l'exception de la République de Venise, toutes les autres puissances de l'Europe qui entretenaient des relations commerciales avec le Levant devaient porter le pavillon français. Il s'agit ici du Portugal, de la Catalogne, de la Sicile, de Gênes, de Lucques, d'Ancône, de Raguse et même de l'Angleterre. Relativement à cette dernière puissance, nous voyons encore en 1583 les marchands anglais établis dans les possessions de la Porte soumis à la juridiction des consuls français et obligés de s'adresser à l'ambassadeur de France pour obtenir leurs passeports. (1) Alors Harbone qui avait vécu pendant de longues années à Constantinople, en qualité de marchand anglais, entama des pourparlers sérieux avec le Divan dans le but d'obtenir pour l'Angleterre les mêmes privilèges et droits de représentation à la cour du Sultan. Ces démarches eurent un heureux résultat et tournèrent en faveur de l'Angleterre. En effet, Harebone se présente à Constantinople, le 29 mars 1583, en qualité d'ambassadeur de l'Angleterre. Aussitôt il déploie la plus grande activité et ne tarde pas à offrir une alliance au sultan en lieu et place de la reine Elisabeth qui se montrait, dans ses lettres à Murad III, comme « veræ fidei contra idolatros propugnatrix ».

Dans un mémoire qu'il adresse au padichah, en 1587,

(1) Ibid., p. 730.

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