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L'essence de la souveraineté aux Pays-Bas et la portée du vieux contrat de co-souveraineté liant le prince aux sujets et réciproquement juré par les deux parties, d'abord par le prince qui devait aller vers son peuple, a été mise en relief d'une manière remarquable par les ambassadeurs belges envoyés pour offrir la couronne au duc d'Anjou, frère de Henri III, après l'assemblée tenue à Anvers le 12 août 1580 par les États de Brabant, Flandre, Hollande, Zélande, Malines, Frise et Ommelandes. Le traité présenté au duc d'Anjou stipulait que « les États des Pays-Bas le choisissaient pour leur prince et seigneur, avec nom et titre de duc, comte, marquis et autres ». Les conseillers du duc insistèrent pour obtenir la qualification de prince et seigneur souverain. Les ambassadeurs belges n'y voulurent point acquiescer, mais admirent seulement la rédaction suivante: «Que les États éliront et appelleront, élisent et appellent S. A. pour prince et seigneur des dits pays, à tels titres, savoir de duc, comte, marquis et autrement, avec telles supérioritéz et prééminences que les seigneurs précédens les ont possédez. » Et dans le rapport qu'ils firent aux États Généraux, les négociateurs belges exposèrent comme suit le point discuté : « Où il est dit pour prince et seigneur, les conseillers du duc désiroient qu'il fut adjousté souverain, alléguant sur ce plusieurs raisons bien fondées. Toutefois après nostre réplique, qui fut que ce n'estoit la coustume des PaysBas d'user de ce terme allendroit de leurs princes, mesme d'aultant que tous les contractants usoient de la langue thioise, en laquelle on ne pouvait proprement exprimer ce mot de souverain, ains l'on estoit accoustumé d'user des mots ou genedighe heere, ou geduchte heere, et que le

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mot souverain estoit ambigu, parce que, estant prins pour suprême, auquel sens nous disons opperste heere, il ne signifioit aultre chose que le premier, et estant prins pour ung mot signifiant puissance absolute, les pays qui se gouvernoient par leurs loix, coustumes et privilèges ne le pourroient tenir sinon pour suspect, et que nous nous tenions asseurez qu'ils ne le voudroient passer, suppliant S. A. de nous en vouloir déporter, il fut finalement accordé, toutesfois avec telles conditions qu'au lieu qu'il est dist comme les précédens seigneurs les ont possédez, il y fut mis avec telles supérioritez et prééminences que les seigneurs précédens (1).

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Bien que tempérée ainsi dans son essence et limitée. d'une manière spéciale, dans la plupart des sphères où s'exerçait son action, par les anciens privilèges, franchises, coutumes et observances dont le souverain devait jurer le maintien lors de son inauguration, l'institution monarchique comportait la possession par le prince de très grands pouvoirs, spécialement à titre de régulateur des relations internationales, d'arbitre de la paix et de la guerre. Plus l'ensemble des États relevant d'une même Maison souveraine se trouvait à ce point de vue sous la main du prince, plus ces États étaient exposés aux coups de tout adversaire quelconque de ce dernier. De là l'implication de notre pays dans nombre de conflits extérieurs et l'incidence sur notre sol de luttes et de mêlées dont nous ne sortions pas toujours indemnes. C'était le sort commun des peuples à une époque où la souveraineté des potentats était absolue quant au maniement des affaires extérieures.

(1) GACHARD, Sur le titre de souverain des Pays-Bas (Études et notices historiques concernant l'histoire des Pays-Bas, t. II, p. 419).

Si quelque trait distinguait notre pays des autres à ce point de vue, c'était plutôt l'existence de garanties positives où s'affirmait encore la solidarité de nos provinces et la distinction de notre nationalité: telles étaient les garanties plus ou moins généralisées concernant les cessions de territoire, les subsides, les levées d'hommes, les charges à créer en traitant avec une puissance étrangère.

9.

Le fractionnement de la vie publique.

Sans doute encore, notre organisation des pouvoirs comportait un fractionnement de la vie publique qui nous étonne aujourd'hui. La crainte, dans le chef du prince, de donner un éveil trop puissant à l'esprit de solidarité nationale, appréhension que des besoins urgents pouvaient seuls le plus souvent contrebalancer, et qui s'accusa dans la tendance à convoquer de moins en moins, pour en arriver à supprimer, en fait, les États Généraux, et la crainte, dans le chef des sujets, d'ouvrir la voie à des empiétements considérables et définitifs, concouraient par des voies diverses, indépendamment des autres causes spéciales à l'époque, à favoriser ce particularisme, ancré d'ailleurs dans les traditions séculaires du pays et même placé par divers traités sous la garantie du droit des gens. Le nœud patrial, sans avoir la puissance que nous lui trouvons aujourd'hui, sans concentrer au même point les éléments de notre vie publique, n'en existait pas moins; et ce n'est pas une vaine parole que ce mot d'un vieux jurisconsulte : Habentque communem patriam, Belgium puta (1).

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(1) ANSELMO, Tribonianus belgicus, XXIV, 1re édit., 1663.

Sans rentrer peut-être dans les catégories quelque peu artificielles souvent adoptées pour classer les nations, le type d'État constitué par nos anciennes provinces offrait les caractères suivants :

Indivisibilité du territoire, érigée en loi constitutionnelle et confirmée dans divers actes internationaux;

Vie propre résistant dans sa décentralisation administrative et politique à toute assimilation étrangère, élaborant une civilisation commune dans la conformité séculaire des destinées, malgré la diversité des langues et le peu de relief des frontières;

Souveraineté propre, nonobstant la possession de diverses couronnes par le souverain, et forme contractuelle donnée au partage de la puissance publique entre le prince et son peuple par l'échange obligatoire de serments solennels;

Unité politique fondamentale résultant d'une direction centrale et de l'application à l'ensemble du pays des mêmes ressorts généraux de gouvernement;

Reconnaissance, fréquemment attestée, de la personnalité internationale des Pays-Bas et stipulations diplomatiques nombreuses plaçant divers éléments de sa constitution sous l'égide du droit des gens (1).

C'est ainsi que, malgré certaines singularités d'aspect extérieur et de physionomie interne, la Belgique d'autrefois constitua une personnalité distincte et parfaite de la république européenne.

(1) Traité d'Utrecht, art. 23 et 25; traités de Rastadt et de Bade, art. 19, 27, 28, etc.

10.

Les périls inhérents à notre ancienne Constitution internationale.

Le danger de notre ancienne Constitution internationale, telle que le sort des héritages princiers l'actualisa, c'était l'oscillation presque fatale du pays entre un abandon, un délaissement trop grand par des maîtres éloignés, occupés souvent d'autres intérêts majeurs pour eux, et une compromission de fait, une inféodation trop grande du pays à la politique de ces souverains à multiples diadèmes. Dans la situation où se trouvait placée la Belgique, le péril d'une impulsion et d'une direction données à la politique nationale et aux relations internationales, par des mobiles étrangers ou même opposés à l'intérêt du pays, était pour ainsi dire permanent. Il croissait en raison directe des tendances à la centralisation gouvernementale, du développement de la politique de cabinet et des besoins de ce qu'on a appelé «< la grande politique internationale ». On oublie trop parfois ce qu'il a fallu de vigueur à notre peuple pour résister à de tels dissolvants.

Lorsqu'on reproche à nos ancêtres de ne pas s'être élevés à cette conception de vie publique qui correspond à une puissante unité politique et suppose une certaine subordination des intérêts locaux à un intérêt général, on ne prend pas garde que le prince seul était, à l'époque où nous nous plaçons, le représentant attitré de l'intérêt général, et que cet intérêt était toujours, sous la main des potentats disposant de la force et juridiquement armés par les légistes, le prétexte à tous les envahissements. Dans ces conditions, l'instinct de liberté devait être centrifuge. Le provincialisme favorisé à certains

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