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égards par les princes eux-mêmes, en vue de mieux pratiquer la maxime: Divide et impera, pouvait facilement se présenter d'autre part à leurs ressortissants comme le mode d'organisation le mieux adapté à la réalisation du but principal des sociétés politiques : la défense des droits de chacun et de la liberté de tous. A ce point de vue, cette localisation de la vie publique, où l'on a cru voir des institutions exclusives d'un État, apparaît comme une forme, appropriée aux temps, de conservation de l'État et de sa fin essentielle.

L'abaissement des barrières locales eût à coup sûr permis aux provinces de mieux s'entr'aider, elle eût été un moyen de les fortifier dans une résistance commune souvent nécessaire; mais en cas d'échec, c'était la voie large ouverte aux empiétements généraux et définitifs. Appréciant sans doute un instrument qui pouvait leur rapporter beaucoup mais aussi tout compromettre, nos ancêtres hésitaient fort à s'en servir. Les plus avisés d'entre nous, placés dans le milieu où ils vécurent, eussent apparemment fait comme eux. Et ceux qui ont adopté aujourd'hui pour cri de ralliement « l'Union fait la Force », eussent pris alors pour devise: « Le cantonnement fait la résistance ».

Retranchés dans la vie locale des provinces, nos ancêtres y conservaient leur individualité nationale que les circonstances ne leur permettaient guère de défendre efficacement sur un terrain plus vaste. Ils n'ignoraient pas que la sécurité dans l'indépendance est au prix d'un gouvernement non seulement légitime mais identifié avec le génie du peuple gouverné. Ils ont à diverses reprises marqué leurs aspirations dans cet ordre, et les desseins de leurs souverains à couronnes géminées ont coïncidé plus d'une fois avec ces tendances.

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Les essais tendant à dégager le pays des liens de l'union personnelle.

On connait les vues et même certains projets de Charles-Quint concernant l'érection des pays de par deçà en principauté dégagée de l'union personnelle avec la couronne d'Espagne : l'instinct dynastique finit malheureusement par primer sur ce point la sagesse politique (1). Après l'émancipation religieuse et politique des provinces septentrionales, le successeur de Charles-Quint reprit et exécuta la pensée de donner à l'ensemble des Pays-Bas, par une cession de souveraineté, des princes nationaux. Encore qu'il y ait eu dans cet acte moins de réalité que de surface, Philippe II ayant cherché surtout par là un moyen de restaurer l'ancienne unité, et s'étant réservé, par une clause secrète, «< pour lui, pour le prince, son fils, et pour sa couronne », le droit, « pendant le temps qui serait jugé convenable (2) », de tenir garnison dans quelques places du pays et de conserver les avantages militaires que lui ménageaient les Pays-Bas dans le mouvement politique de l'Europe occidentale, grand fait n'en garde pas moins sa signification.

ce

Il est vrai qu'après la mort sans postérité de l'archiduc Albert et la réversion des Pays-Bas au roi d'Espagne, le

(1) GOSSART, Charles-Quint et Philippe II. Étude sur les origines de la prépondérance politique de l'Espagne en Europe (MÉM. DE L'ACAD. ROYALE de Belgique, coll. in-8°, t. LIV, 1896)

(2) GACHARD, Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, t. II, Intr., xcii.

statu quo ante fut le terme d'une crise qui semblait appeler un autre dénouement. Et l'on doit constater que l'esprit public, au milieu des épreuves prolongées qui suivirent, subit, non sans quelque révolte, une profonde dépression. Mais si le retour à l'union ancienne des dixsept provinces devint une chimère après le déchaînement de l'antagonisme religieux; si la perspective d'un isolement entre le protestantisme jaloux de la Hollande et l'avidité conquérante de la France eut peu d'attrait pour nos pères; si les beaux projets, momentanément caressés par les Richelieu et les De Witt, touchant la fondation d'une république belge ne mûrirent point; si un loyalisme plus fort que tous les malheurs et un attachement profond au catholicisme l'emportèrent, dans notre pays, sur la tendance à une émancipation radicale assez précaire, il faut le reconnaître, dans les conditions où elle pouvait s'offrir; si notre individualité nationale, refoulée par une centralisation gouvernementale croissante, dut se réfugier presque complètement dans le provincialisme administratif, elle parvint pourtant à s'y maintenir à l'abri de l'assimilation étrangère; elle sut s'y défendre, jusqu'à chasser l'oppresseur, contre des entreprises trop violemment contraires au « sens du pays ». Conservant les traits fondamentaux de sa personnalité traditionnelle, la Belgique garda le germe des futures rénovations. C'est ainsi que la pensée émancipatrice devait reprendre force, devenir une stable vérité historique et attester par le fait sa correspondance avec le génie d'un peuple qui a toujours voulu rester lui-même et vivre de sa vie propre.

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La neutralité, second élément de notre Constitution internationale moderne, a aussi sa pierre d'attente nettement dessinée dans notre histoire. Je la trouve dans les conditions ethnographiques et géographiques qui ont présidé à la formation de notre peuple au sein de la communauté européenne et qui ont fait de la Belgique une nationalité d'élection, un « pays de milieu» entre deux grands États de l'Europe occidentale. Mettre ce point en relief, ce n'est pas seulement écrire une page de notre vie nationale, c'est formuler en quelque sorte la lumineuse synthèse de cette vie. Nous voudrions essayer de le faire brièvement ici, après avoir précisé la question, souvent mal comprise, des nationalités d'élection.

1. Les nationalités d'élection.

La physionomie internationale de la Belgique.

Élément particulièrement favorable à l'éclosion de communautés politiques distinctes, instrument puissant de consolidation de ces communautés et d'épanouissement dans leur sein des qualités propres à un type spécial de civilisation, l'homogénéité de race et de langue n'est cependant ni la cause légitime unique ni la base nécessaire de la fondation des États. En fait, la plupart de nos États européens, dont la formation est le résultat d'un long travail historique, sont polyethniques et plurilingues. En droit, des hommes de races et de langues diverses peuvent avoir les raisons déterminantes les plus

légitimes de s'associer d'une manière permanente sur un territoire déterminé, en vue de la poursuite en commun et de la possession solidaire des biens généraux que l'humanité recherche dans l'établissement des sociétés politiques. «< Parmi tous les principes qui présidèrent aux groupements nationaux, nous fait observer M. Kurth, le principe linguistique fut incontestablement le moins influent. En Belgique surtout, il semble qu'il ait été toujours profondément ignoré, et ce pays est un de ceux dont l'histoire entière proteste contre les classifications politiques qui prendraient le langage pour base... Toutes nos provinces, à l'exception du seul comté de Namur, étaient bilingues. Dans chacune, depuis les temps les plus reculés, les limites politiques, loin de coïncider avec les limites linguistiques, les entrecoupent pour ainsi dire perpendiculairement. «Nulle part, en Belgique, on ne croyait qu'il fallût parler la même langue pour avoir la même patrie. Ce qui constituait la même nationalité, ce qui reliait entre eux les citoyens d'un même pays, ce n'était pas l'idiome qu'ils parlaient, c'était l'attachement au même prince et aux mêmes institutions, c'était la jouissance des mêmes droits civils et politiques, c'était la profession du même culte et l'amour du même foyer... Aucune langue ne se sentait menacée parce qu'aucune ne prenait d'attitude menaçante. Leurs relations étaient empreintes, si je puis ainsi parler, de familiarité et de confiance. Chacune se répandait librement et aussi loin qu'elle pouvait, et leurs rencontres ne déterminaient jamais ni chocs ni froissements (1). >>

(1) KURTH, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, t. II, pp. 15 et 17.

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