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Envisagé dans ses résultats, l'exercice de cette fonction ne peut pas davantage être considéré comme se résolvant en un amoindrissement de la prérogative souveraine. Sans doute, il forme des liens d'où il résulte que l'on ne peut plus juridiquement, sur tel point déterminé, prendre telle attitude que l'on aurait pu prendre sans cela. Mais cet aspect de la situation n'est pas complet. Les contrats, en droit international comme en droit privé, sont en général des échanges de services ou avantages, et leur fin ordinaire comme leur résultat normal est non une dépression, mais une fécondation de la sphère d'activité des contractants: tant il est constant qu'ils répondent à la vérité des rapports qui relient les membres des sociétés humaines, aux légitimes tendances de ces membres et à leurs besoins réels dans la poursuite des divers buts de la vie.

L'existence d'obligations internationales spéciales n'est donc nullement un signe en soi de quelque déchéance de souveraineté. La question de savoir si et dans quelle mesure une obligation donnée revêt un pareil caractère ne peut être résolue qu'après un examen approfondi de la teneur de ce lien juridique et de son rapport avec la mission positive du pouvoir souverain dans la vie générale et particulière des États.

Ces points éclaircis, demandons-nous en quoi consiste la stipulation de neutralité permanente proprement dite. Elle consiste d'une part dans l'engagement pris comme ligne invariable de conduite par un État de ne se point mêler aux conflits armés entre d'autres États, d'autre part dans l'engagement par ces derniers de ne jamais impliquer le premier dans de semblables mêlées. La souveraineté nous apparait dans ce double engagement

comme liée par l'obligation de ne pas faire un acte d'ordre facultatif, et qu'il peut être pour beaucoup d'États aussi dangereux de réserver qu'illusoire de tenter de réaliser. Il n'y a là, ce semble, qu'un usage très légitime de la fonction obligationnelle de la souveraineté.

La convention par laquelle un État s'engage en principe à ne point participer aux querelles des autres et s'assure en retour l'avantage de ne pas être impliqué dans leurs querelles, est aussi explicable en fait que justifiable en droit. Les mêlées sanglantes ne sont que trop fréquentes dans le monde international. Le dessein de procurer aux autres États la sécurité d'une attitude invariablement pacifique à l'égard de leurs conflits éventuels, en obtenant d'eux en retour une sorte de « mise hors conflits »>, peut être fort sage. La résolution arrêtée de ne se point commettre en de tels conflits est légitime et peut être commandée par un devoir de conservation propre et de procuration du bien commun de la nation. L'engagement de respecter une telle attitude peut n'être pas moins justifié. Il est certes plus facile de voir dans un tel agencement d'obligations un usage éclairé de la souveraineté que d'y découvrir un «< acte contraire aux principes mêmes proclamés par le droit des gens » et une abdication des « fonctions inséparables de la souveraineté ». Vainement soutiendrait-on que le résultat cherché peut être obtenu par une pratique suivie de la neutralité occasionnelle : car le but d'une sécurité réciproque contractuellement assurée en vue des éventualités en perspective, serait précisément manqué. La neutralité permanente a donc sa raison d'être comme telle et sa parfaite légitimité. Et c'est en outre fort justement que Westlake a pu affirmer, à l'encontre de la thèse de Kleen,

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que l'État neutre à titre permanent est et demeure pleinement souverain », que « la neutralité permanente n'implique pas une restriction à la souveraineté ou à l'indépendance d'un État (1) ».

Il faut en dire autant de l'obligation réciproquement contractée par divers États de ne pas livrer, dans les conditions du droit commun, au sort des armes, la solution éventuelle de leurs propres revendications respectives. Pareille convention, en effet, qui peut comporter des degrés et des modes divers, porte non sur un abandon du droit à la justice, mais sur le non-usage d'un moyen grossier et très imparfait de la poursuivre, moyen auquel les États peuvent substituer dans telle mesure qui leur convient, par un exercice éclairé de la fonction obligationnelle inhérente à leur souveraineté, une procédure moins barbare et moins aléatoire, comme l'arbitrage. Le choix de la procédure arbitrale en effet, ainsi que nous l'avons montré dans notre Mémoire aux Puissances sur l'organisation de l'arbitrage international et que, nous le démontrerons bientôt encore, «< n'implique pas une abdication, il suppose un usage éclairé de la souveraineté ».

Certes, nous admettons qu'un État examine à son point de vue la question de convenance qui se présente quant à l'admission par lui, dans une mesure plus ou moins large, de la procédure arbitrale. Ce qui nous paraît inadmissible, c'est que l'on pose la question du rejet de cette procédure sur le terrain des principes et que l'on croie pouvoir se retrancher dans ce que l'on appelle

(1) WESTLAKE, Notes sur la neutralité. (REVUE DE DROIT INTERNATIONAL ET DE LÉGISLATION COMPARÉE, 1901.)

le domaine inaliénable de la souveraineté, comme dans une citadelle, pour barrer la route au progrès dans cet ordre. Il existe un grand nombre d'actes rentrant présentement dans l'exercice commun de la souveraineté, auxquels on peut renoncer par un exercice très licite de cette souveraineté même, exercice correspondant aux exigences progressives du bien des peuples et de la civilisation internationale.

Nous avons considéré jusqu'ici les stipulations de neutralité permanente dans lesquelles la souveraineté des États contractants reste distincte sur toute la ligne et où manifestement nul enchevêtrement, nul partage de souveraineté ne se produit. Nous devrions ajouter que la thèse de Kleen ne paraîtrait pas même admissible, alors qu'il serait question du transfert de certaines prérogatives souveraines d'un État à un autre, comme cela résulte de divers engagements se rapprochant davantage des protectorats. L'auteur aurait quelque peine à démontrer, selon nous, qu'en ce qui concerne certains États trop faibles pour arriver à organiser, dans le milieu où ils vivent, une défense efficace d'eux-mêmes et cependant ayant titre autorisé à l'existence, un régime de protection entamant réellement certains attributs de la souveraineté intérieure ou extérieure, fût chose illégitime. Il conviendrait plutôt de se rappeler, en appréciant de telles situations, que les institutions du droit des gens sont faites pour s'adapter aux personnes internationales telles qu'elles peuvent exister réellement dans le monde des États et non pour se modeler sur des thèses fort contestables touchant la souveraineté abstraite, uniforme et inaliénable des États. Ceci peut être constaté sans méconnaître la situation, précaire à bien des égards, des États dépouillés complè

tement des moyens de pourvoir eux-mêmes, au moins en première ligne, à leur propre défense.

En résumé, la thèse de Kleen nous paraît reposer sur une double erreur, faussant à la fois la notion de la souveraineté et la notion de la neutralité permanente.

CHAPITRE VI.

La trilogie constitutionnelle : Indépendance, Neutralité, Garantie, et l'harmonie de ces trois facteurs dans le pacte belge international.

Nous avons dit en commençant ce travail que la Constitution internationale de la Belgique peut être ramenée à trois articles qui tiennent eux-mêmes en trois mots Indépendance, Neutralité, Garantie. I importe de se bien fixer sur la place que chacun de ces facteurs occupe dans notre organisation politique et sur l'harmonie de leurs rapports mutuels.

Le principe de l'Indépendance forme la base même de toute notre organisation politique internationale. Il est le centre autour duquel se groupent tous les autres éléments de cette organisation. C'est par et dans son indépendance que la Belgique est appelée à maintenir sa neutralité.

Le principe de la Neutralité permanente ne supprime point cet élément fondamental, ne le morcelle point, ne l'amoindrit point à proprement parler. Il n'affecte son exercice qu'en tant que celui-ci porte sur des actes d'un caractère facultatif, particulièrement dangereux, souvent fort illusoire pour les petits États, à savoir le recours ou du moins le concours à des conflits armés. Et il ménage

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