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Étudiés à la lumière de la distinction capitale que nous venons de faire entre l'ordre des prestations découlant de la neutralité et l'ordre des précautions inhérentes à son régime, beaucoup de problèmes, objets d'interminables controverses, se résolvent d'eux-mêmes.

L'ordre des prestations vise le temps de guerre il consiste essentiellement dans la pratique effective du régime de neutralité, antérieurement accepté comme ligne éventuelle de conduite.

L'ordre des précautions concerne surtout le temps de paix. Il consiste essentiellement dans la prévoyance à ne pas s'engager dans des voies qui ne s'harmonisent point avec la ligne de conduite à tenir éventuellement.

Dans cet ordre, l'État lié par une stipulation de neutralité considérera comme un devoir pour lui de s'abstenir, en temps de paix, d'engagements dont la réalisation ne serait point compatible, le temps de guerre s'ouvrant, avec la pratique de la neutralité.

I considérera comme prudent pour lui de ne pas s'aventurer, en temps de paix, dans des voies qui pourraient rendre particulièrement difficile, en période de belligérance, la pratique de cette même neutralité.

Soumis à de justes exigences quant à l'exécution de ses obligations effectives, il ne sera pas sujet à des comptabilités anticipées, aussi dangereuses en fait qu'injustifiables en droit. Toutes questions de loyauté et de juste déférence sauves, il demeurera libre dans le présent, sous les responsabilités de l'avenir.

La question des unions douanières et celle des cessions de chemins de fer ont mis en relief en Belgique deux cas intéressants relatifs à la prophylaxie de la neutralité. Nous allons les examiner.

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L'union douanière est l'accord de plusieurs États pour effacer entre eux leurs lignes de douane et pour adopter quant aux frontières non communes un tarif uniforme dont ils se partagent les produits.

Les avantages économiques d'une telle association sont saisissants. Ils peuvent être accompagnés de conséquences d'ordre administratif immédiates et d'ordre politique plus ou moins éloignées, qui sont de considérable importance.

La question de savoir si un État neutre à titre permanent peut contracter une union douanière avec un autre État doit être envisagée à la lumière de la distinction que nous avons faite entre ce qui est d'obligation et ce qui est de précaution dans le régime de la neutralité.

Le régime de la neutralité permanente n'emporte pas de soi l'interdiction des unions douanières, et le fait de contracter une telle union ne constitue pas une infraction à ce régime. Ce n'est point en elle-même et pour elle même que l'union douanière peut étre reprochable; c'est en considération de ce que certaines unions peuvent porter dans leurs flancs ou entraîner dans leur cours qu'il peut y avoir lieu d'en peser les conséquences.

Au point de vue des précautions qui rentrent dans la prophylaxie de la neutralité permanente, la question est susceptible de prendre des aspects différents, suivant la diversité des États neutres à titre permanent, suivant la diversité de leurs partenaires en union douanière, suivant la diversité des situations faites au commerce dans les divers pays.

Pour un très petit État tel que le Grand-Duché du Luxembourg, l'union douanière avec un Etat voisin peut ètre non seulement respectable en vertu des antécédents, mais indispensable à certains égards, à raison de l'exiguïté du territoire et de la condition économique qui en résulte. Le protocole n° 2 de la Conférence de Londres, du 9 mai 1867, renferme sur ce point le passage suivant :

M. le baron de Tornaco exprime le désir d'introduire un paragraphe pour sauvegarder les droits commerciaux du Grand-Duché et la faculté de conclure avec un Etat voisin une union douanière.

M. l'ambassadeur de Prusse croit que la question soulevée par M. le baron de Tornaco est étrangère au sujet des délibérations de la Conférence. Il est d'avis que l'article dont il s'agit ne porte aucune atteinte ni au traité d'union douanière, qui existe déjà, ni, en général, aux droits commerciaux du Grand-Duché.

MM. les plénipotentiaires de l'Autriche, de la France et de la Russie sont également d'avis que la neutralité dont parle le projet de traité est une neutralité essentiellement militaire, et qu'il n'y a rien dans les dispositions de l'article 2 qui s'oppose à la faculté du Grand-Duché de conclure un traité de commerce avec un Etat voisin.

Là-dessus, M. le baron de Tornaco se déclare prêt à retirer l'amendement qu'il a proposé, considérant les opinions émises comme donnant à l'article 2 une interprétation satisfaisante, et cet article est adopté.

Si nous portons le regard sur les sphères qui représentent l'extrême opposé des Etats minuscules, si nous considérons les continents formant les diverses fractions du globe, nous observons que l'association douanière d'une partie du monde telle que l'Europe peut

présenter, dans certaines circonstances, temporairement tout au moins, le caractère d'une mesure indiquée à l'égard de nations qui adopteraient une politique commerciale compromettant très gravement les intérêts communs à un groupe considérable d'autres États. Qui sait si ce n'est pas sous la forme d'union douanière que les États-Unis d'Europe sont appelés à faire leur première apparition dans le monde à venir? Les États neutres pourraient être amenés, par la force des choses, à participer à une telle politique commerciale solidaire, où le nombre et la qualité des adhérents seraient de nature à donner quelque apaisement à leurs appréhensions et quelque compensation aux préjudices inhérents à une politique de retorsion.

Entre les deux termes extrêmes que nous venons de considérer, il y a place pour l'infinie variété des situations intermédiaires et pour des degrés divers d'association douanière qui peuvent heureusement resserrer les liens économiques entre les peuples et élargir la base d'opération de l'industrie, sans prendre le caractère de mesures de défense économique.

Pour des Etats secondaires tels que la Suisse et la Belgique, certaines unions douanières peuvent engendrer une fusion économique dont les conséquences politiques en perspective doivent être mûrement examinées.

Sans doute, toute forme d'association douanière de ces États avec tout autre Etat ne revêt pas indistinctement le même caractère. C'est ainsi qu'une union douanière de la Belgique avec la Hollande pourrait ne pas affecter de manière bien compromettante la constitution internationale du pays.

A diverses reprises, notamment en 1856, de 1840 à

1845 et en 1868, la Belgique a vu surgir des projets d'union douanière avec la France. Plusieurs ont été à peine esquissés, aucun n'a été dans le cas d'aboutir. M. Guizot, qui s'est fait, en 1842, le défenseur - sinon le partisan absolu d'une union douanière franco-belge, n'hésitait pas à déclarer que cette union « serait pour la France un accroissement de poids et d'influence en Europe (1) ». Et c'était là, ce semble, aux yeux de l'éminent homme d'État, sa principale raison d'être. Seulement << nous ne voulions pas, dit-il ailleurs, faire payer trop cher à notre industrie et à nos finances l'avantage politique que devait nous valoir l'union douanière ». Ce n'était pas présenter cette union à l'Europe par un côté particulièrement recommandable. On pouvait être amené à demander en effet, dans ces conditions, et la diplomatie anglaise, qui s'est toujours intéressée particulièrement à nos destinées, ne manqua pas de le faire, en accord avec les autres Cours du Nord, si cette action spéciale sur la distribution de l'équilibre européen était tout à fait dans la vocation politique de l'Etat neutre à titre permanent. Dès le 25 décembre 1840, le ministre d'Angleterre à Bruxelles avait déclaré « qu'aux yeux de son Gouvernement cette union commerciale entre la France et la Belgique serait incompatible avec les traités de 1831 et de 1859 ». C'était aller loin, mais l'on n'était pas éloigné de la vérité en supposant que la France poursuivait avant tout, dans les circonstances d'alors, un but politique.

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(1) Guizor, Lettre du 30 novembre 1842 au ministre de France à Berlin (MÉMOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE MON TEMPS, t. VI, pp. 276-284).

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