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vigilante, par l'esprit d'ordre et de suite; mais ce n'est pas un lieu où l'on se puisse illustrer par des exploits éclatants et inattendus. De trop grands esprits seraient mal à l'aise dans une aussi étroite enceinte. Nous ne comportons que des services obscurs, un mouvement réglé et tempéré. M. le ministre se complaît dans les souvenirs de l'époque impériale; qu'il me permette donc de lui rappeler un grand mot de Napoléon : « L'Université écrivait l'empereur à son premier grand maître, dans des instructions dignes d'être méditées, l'Université doit marcher comme le monde, sans bruit. »

« Aujourd'hui le bruit et l'agitation sont comme à l'ordre du jour de l'Université. Tout est en mouvement, tout est en feu. Des ordonnances, sur lesquelles le conseil n'a pas même été consulté, et qu'il apprend par le Moniteur, tombent chaque jour sur nos têtes, renouvelant tout, bouleversant tout, et cela dans la meilleure intention du monde, pour rétablir l'ordre, troublé, dit-on, depuis trente années. »

N'était-ce pas là un triomphe éclatant remporté par les adversaires de l'Université, et en particulier par M. le comte de Montalembert, M. le comte Beugnot et M. le marquis de Barthélemy? En effet, leur principal argument contre le conseil royal de l'instruction publique avait été une accusation d'illégalité et de tyrannie, accusation étrange cependant en présence des votes consécutifs par lesquels ce comité était maintenu, en présence de la mention qui en est faite dans la grande loi de 1833 sur l'instruction primaire.

Aujourd'hui on voyait revenir à cette opinion sur l'obligation du comité, qui? le grand maître de l'Université lui-même, le ministre de l'instruction publique. M. le ministre, dans le rapport au Roi qui précède les ordonnances, déclarait, en effet, que le comité de l'instruction publique ne repose point sur des bases légales, qu'il n'existe qu'à titre provisoire, à tel point (ce sont les termes même du rapport) qu'encore aujourd'hui toutes ses délibérations en portent nécessairement l'empreinte.

Quoi! s'écriait M. Cousin, toutes les délibérations du comité, depuis 1815, sont illégales! Mais, parmi ses délibérations, il y a des décisions judiciaires. Son illégalité se répand sur tous ses actes et les frappe tous de nullité.

Et non-seulement l'organisation actuelle du comité est illégale et provisoire, mais encore vicieuse en elle-même. Le con

seil, est-il dit dans le rapport, est trop peu nombreux pour qu'il y ait des débats réels. On y réclame des conseillers désintéressés des luttes et des engagements de la politique. N'étaient-ce pas là d'étranges accusations? ajoutait l'orateur.

Mais, au fond, quel était le but, au moins apparent, des ordonnances du 7 décembre? C'était de restituer au conseil de l'instruction publique la légalité qu'il possédait en 1808 et qu'il avait perdue en 1845, d'abroger tout ce qui n'était pas conforme au décret constitutif de 1808, et de déclarer nulles les ordonnances de toutes les époques qui, contrairement aux prescripcriptions du titre IX du décret de 1808, ont modifié la première ordonnance du conseil, et par là lui ont enlevé son autorité légale. La conséquence naturelle de ce raisonnement, c'était que le décret de 1808 fût remis tout entier en vigueur. En effet, il n'y a qu'une loi en vigueur qui puisse communiquer la force légale qui est en elle à quelques-unes de ses parties. Déclarer que nulle ordonnance n'a le droit de toucher au titre IX du décret de 1808, c'était déclarer que nulle ordonnance n'avait eu le droit de toucher aux autres titres, c'était déclarer l'inviolabilité du décret tout entier.

Mais si le décret de 1808 était une loi, le décret de 1811 en était une aussi. Ce second décret était organique comme le premier; le conseil d'Etat les avait placés tous deux au même rang; les tribunaux les appliquaient également. Il n'y avait pas un argument en faveur de la légalité de l'un qui ne fût pour la légalité de l'autre. Pourquoi donc le rapport au Roi et les ordonnances gardaient-ils le silence sur le décret de 1811? Cependant toute la constitution judiciaire du conseil n'était, à vrai dire, que dans ce dernier décret. Là seulement étaient déterminées, avec précision, les formes de l'instruction, celles de la procédure, et toute la marche du conseil en matière disciplinaire. Ou les décrets pouvaient être également modifiés par ordonnance, ou nul des deux ne pouvait l'être, et ils devaient avoir tous deux leur plein et entier effet. On ne scinde point des lois connexes, encore bien moins des titres divers d'une même loi.

Ainsi donc. continuait l'ancien ministre de l'instruction publique, l'Université impériale allait reparaître tout entière. Après la gloire de l'avoir fondée, restait celle de la rétablir. Sans doute, cet enthousiasme était sincère; mais il menaçait en quelque sorte d'accabler l'Université sous elle-même. Sans doute, le décret organique de 1808 avait été une grande chose, mais il fallait savoir y discerner ce qui est excellent et ce qui est défectueux, ce qui est immortel et ce qui est temporaire.

Et d'abord, le décret de 1808 n'était pas une loi au sens que nous attachons aujourd'hui à ce mot, c'est-à-dire une résolution émanée du gouvernement. livrée quelque temps à l'examen universel, soumise à l'épreuve d'une discussion solennelle au sein des pouvoirs publics et revêtue ensuite de la sanction du chef de l'Etat. L'Université n'était-elle donc pas assise sur une loi véritable? L'Université, répondait l'orateur, a sa loi, sa grande loi de 1806, discutée et votée par les deux Chambres de cette époque. Cette loi exprime fidèlement le génie de la Révolution et de l'Empire, et se propose avant tout d'affermir et de perpétuer l'unité nationale par l'unité de l'instruction publique. De plus, elle consacre l'expérience de tous les temps en confiant l'éducation de la jeunesse à la seule administration appropriée à la nature de ce service public. La loi de 1806 n'a que deux articles qui concernent ce qu'il y a d'impérissable dans l'Université. Le premier déclare le droit de l'Etat sur toutes les écoles, privées ou publiques, et remet ce droit entre les mains d'un corps. Le second détermine la nature de ce corps ; c'est un corps civil dont tous les membres contractent des obligations spéciales et temporaires. Tel est le fondement ferme et solide sur lequel s'élève l'Université. Quant à l'organisation détaillée du corps enseignant, elle a été procurée par deux décrets impériaux délibérés en conseil d'Etat, comme le sont aujourd'hui les ordonnances portant règlement d'administration publique. Ces décrets ont force de loi, mais on ne peut les mettre et on ne les a jamais mis sur le mème rang que la loi de 1806.

Or, continuait M. Cousin, si la France a subi de grands

changements, si elle a fait des progrès immenses depuis 1803 et 1811, l'Université a marché avec la France. La ramener à ce qu'elle fut en 1808, c'était donc la ramener à son berceau. Cet enfant de la Révolution et de l'Empire avait grandi, s'était développé, et son berceau ne pouvait plus le contenir. Pouvait-on commander au temps de retourner en arrière ? Cette idée du progrès incessant, irrésistible, des choses humaines inspirait à l'orateur ces éloquentes paroles:

« Il fallut l'Empereur pour fonder l’Université impériale, mais l'Empereur lui-même ne pourrait la rétablir. Vainement sa voix puissante refoulerait la société française sur elle-même; elle déborderait de toutes parts. Rappelez-vous les cent-jours. Un an à peine s'était écoulé entre le premier et le second Empire. Dans cette année seule, la Charte, la discussion publique, la liberté, avaient transformé la France. Arrivé à Paris, maître absolu de tout, Napoléon sentit que tout lui échappait. Il s'écria, dit-on, avec un étonnement douloureux : «La France est changée! » Et le bras de l'Empereur est devenu sans force, parce qu'il s'appliquait à un autre temps et à une autre société. Que serait-ce donc aujourd'hui? Toutes les constitutions impériales out été modifiées, malgré le respect qu'elles inspiraient, non par caprice, mais par nécessité. L'an dernier, vous avez changé toute l'organisation du conseil d'État de l'Empire. Et on voudrait rétablir l'Université impériale dans sa pureté! Je le répète, Napoléon lui-même ne le pourrait pas; ce qui me permet, sans blesser M. de Salvandy, de lui prophétiser qu'il ne le pourra pas davantage, »

L'opinion tout entière de M. Cousin se résumait dans ce dilemme: ou l'on tenterait d'exécuter loyalement les ordonnances du 7 décembre, ou on remettrait en vigueur le décret de 1803, et alors on réaliserait la vérité de ce mot célèbre, qu'une restauration est la pire des révolutions; ou bien, averti par l'opinion universelle, on s'arrêterait sur la route fatale où on était entré; on violerait ce même décret de 1808, auquel on sacrifiait aujourd'hui l'ordre et la paix de l'Université. Le seul effet de ces ordonnances serait done d'avoir dégradé et détruit l'ancien comité de l'instruction publique.

Il ne fallait qu'ouvrir les deux décrets pour reconnaître l'impossibilité de les exécuter aujourd'hui. Voudrait-on, en vertu de l'art. 101 du décret de 1808, astreindre au célibat et à la vie commune les proviseurs et les censeurs des colléges royaux, les

principaux et les régents des colléges communaux? Exigeraiton, d'après l'art. 32, que les professeurs de première classe d'un college royal fussent docteurs ès lettres ou ès sciences, etc?... Toutes conditions excessives rapportées par des ordonnances qu'on déclarait aujourd'hui illégales. Exhumerait-on dans le décret de 1811 le fameux titre IV, qui donne à l'Université le gouvernement des écoles secondaires ecclésiastiques, titre abrogé, aux applaudissements de toute la France, par les belles ordonnances de 1828? Si le titre IX du décret de 1808 était inviolable, le titre IV du décret de 1811 ne devrait-il pas l'être également? et si les ordonnances de 1828 sur les petits séminaires étaient légales, comment l'ordonnance de 1829 sur le conseil, qui était du même temps et du même ministère, celui de M. de Martignac, pourrait-elle être entachée d'illégalité?

Il avait plu de faire revivre l'art. 70 du titre IX du décret de 1808, et on s'était hâté d'adjoindre vingt nouveaux conseillers, chaque année amovibles, aux conseillers titulaires à vie. Quel pouvait être le poids et l'autorité de huit conseillers ordinaires perdus en quelque sorte dans les vingt conseillers du service annuel et extraordinaire? Ces vingt membres composant la partie mobile participeraient-ils à la juridiction disciplinaire? Il avait semblé jusqu'ici qu'un pareil tribunal, appelé à décider de l'honneur et de la carrière d'une partie considérable de fonctionnaires, devait être composé exclusivement, ou du moins en majorité, de juges inamovibles placés au-dessus de la crainte et de l'espérance. Ainsi choisis par le grand maître dans des catégories très-nombreuses, ces vingt juges ressembleraient trop à une commission ministérielle.

On avait augmenté, selon les prescriptions du décret de 1808, le nombre de hauts fonctionnaires; mais, à cette époque, un pareil nombre était nécessaire pour suffire aux besoins d'un service immense. L'Empire s'étendait alors de Rome à Hambourg, et l'Université impériale comprenait dans son sein les académies de Turin, de Parme, de Gènes, de Genève, de Liége, de Bruxelles, de Mayence, et bien d'autres encore. Pour supporter

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