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d'entreprendre à la fois une grande partie des lignes de fer votées par les Chambres et d'engager ainsi pour longtemps un capital immense.

Pendant plusieurs années cet esprit de défiance, qui s'attache en France à toutes les choses nouvelles avait éloigné la spéculation de ces opérations inconnues; puis, un jour était arrivé où la faveur publique avait recherché les chemins de fer avec autant d'empressement que naguère elle en mettait à les fuir. De toutes parts des compagnies s'étaient créées, les unes sérieuses, et c'était le petit nombre, la plupart fictives et destinées seulement à servir de base à un agiotage effréné; chacune de ces compagnies exigeant un premier versement, les sommes improductives accumulées dans les caisses s'augmentaient tous les jours, une crise était imminente.

Aussi, dans les derniers jours de 1845, M. le ministre des travaux publics s'empressa-t-il d'adjuger à la compagnie, représentée par MM. de Rotshchild frères. Hottinguer et comp., Ch. Laffitte, Bloum et comp., la concession du chemin de Creil à Saint-Quentin, pour une durée de jouissance de vingt-quatre ans et trois cent trente-cinq jours, et à la compagnie, représentée par M. Ch. Laffitte, la concession du chemin de Paris à Lyon avec une jouissance de quarante et un ans et quatrevingt-dix jours.

Au reste, il ne faut pas se méprendre sur la nature de la crise qui se déclara à la fin de 1845 et au commencement de 1846. Au milieu de cette dernière année, la situation de la Bourse, de la Banque, du Trésor, du marché des capitaux en général, ne justifiait en aucune façon les craintes manifestées. Il y avait eu une panique; il n'y avait véritablement pas une mauvaise situation financière; l'intérêt de l'argent était bas, les lettres de change des banquiers se négociaient à 3 ou 3 1/2 pour 100; les rentes étaient à un prix raisonnablement élevé, les reports sur fonds publics et sur actions de chemins de fer étaient à peu près nuls, ce qui indiquait que le classement des rentes et des actions n'avait pas cessé de s'effectuer et que la spéculation seule, dans

la crainte d'une crise annoncée depuis longtemps, avait fait des ventes considérables à découvert, ventes qui devaient avoir précisément pour résultat de prévenir une crise réelle, et en même temps d'aider à simplifier la position des nouvelles entreprises; car, lorsqu'il s'agirait de liquider ces opérations, il faudrait racheter et apporter par là même un nouveau soulagement dans le marché.

Il y avait eu ceci de particulier daus la constitution des grandes entreprises des chemins de fer, qui s'étaient formées depuis deux ans, et qui avaient trouvé à se classer dans la circulation, qu'elle avait coïncidé avec l'émission du solde des 450 millions d'emprunt qu'avaient nécessités les armements de 1840; que, depuis le 7 mars 1845, la bourse de Paris avait eu et aurait à verser jusqu'au 7 août 1846, 10 millions par mois au trésor pour les payements du dernier emprunt. Mais ces payements s'effectuaient sans qu'il en restât de traces, et le service de l'emprunt cesserait avant que de nouveaux versements devinssent nécessaires sur les chemins de fer concédés ou à concéder.

L'état de la plaçe n'était donc pas inquiétant. L'ensemble des affaires ne l'était pas davantage; la banque devait au trésor 109 millions disponibles en compte courant sans intérêts, aux particuliers en comptes courants, 58 millions; le portefeuille des effets escomptés ne s'élevait qu'à 195 millions, et les prêts sur fonds publics et lingots d'or et d'argent, qu'à 14 millions; la circulation des billets était de 273 millions, et les espèces en caisse atteignaient le chiffre de 239 millions.

Ce qui distinguait profondément la situation actuelle de celles où l'exagération des affaires provoque des crises, c'était cette circonstance que les chemins de fer sont au fond des entreprises éminemment productives, dont les revenus suivent une progression constante. Les nécessités financières créées par ces opérations reposaient donc sur une base sérieuse, et la gène causée par la raréfaction des capitaux ne pouvait être que momentanée.

Tel était l'état des choses lorsque, vers la fin de la session, les Chambres furent appelées à voter les dernières grandes lignes de fer depuis si longtemps attendues.

Voici, en résumé, le résultat de ces travaux.

La loi sur les chemins de fer de l'Ouest avait arrêté définitivement un important réseau, comprenant, avec les deux chemins de Versailles auxquels il serait réuni, une étendue de 624 kilomètres (150 lieues). D'après les combinaisons de la loi, les parties les plus productives seraient mises les premières en valeur, les autres ne seraient achevées que successivement, la loi ayant réservé un délai de sept années pour la construction et la livraison des dernières parties.

Sur ces 624 kilomètres, 36, représentant les deux lignes de Versailles, étaient déjà construits; 364, comprenant la ligne principale de Versailles à Rennes, devraient être construits aux conditions de la loi du 11 juin 1842. Un crédit de 63 millions avait été voté par les Chambres pour les dépenses à la charge de l'État. Enfin, 224 kilomètres environ devraient être construits à une seule voie aux frais de la compagnie.

La partie de Versailles à Chartres, déjà en construction depuis deux ans, pourrait être mise en exploitation au bout de dix-huit mois environ; réunie aux deux chemins de fer de Versailles, elle se classait au nombre des exploitations les plus productives.

La partie de Versailles à Rennes était concédée pour soixante années, qui ne commenceraient à courir qu'à partir de l'époque fixée pour l'achèvement des travaux.

Les lignes de Chartres à Alençon et du Mans à Caen étaient concédées pour soixante et quinze ans, à dater de la mème époque.

Le capital social de cette entreprise était de 120 millions, en y comprenant le prolongement dans Paris de la rive gauche pour & millions, et la valeur des actions des deux chemins de Versailles pour une somme d'environ 16 millious.

Le chemin de l'Ouest complétait les six grandes directions

qui doivent rayonner autour de la capitale et la mettre en communication avec tous les points du territoire, à savoir:

La direction du nord-ouest, par Rouen, le Havre, Caen et Cherbourg;

La direction du nord, par Valenciennes, Lille, Dunkerque et Calais;

La direction de l'est, par Metz, Nancy et Strasbourg;

La direction du midi, par Lyon, Avignon et Marseille ; La direction du centre et du sud-est, par Orléans, Bourges, Tours, Bordeaux et Nantes;

La direction de l'ouest, par Chartres, Alençon, Rennes, le Mans et Nantes.

De toutes ces lignes, deux seulement se trouvèrent, à la fin de l'année, non pas complétement exécutées, mais exploitées dans des fractions importantes de leur parcours. Le 26 mars, eut lieu l'inauguration du chemin de fer de Tours, qui, réuni à la ligne d'Orléans, forme depuis Paris une grande artère de 220 kilomètres On sait qu'une compagnie anglaise avait obtenu la concession de ce chemin à des conditions avantageuses pour l'État.

Une autre fête industrielle, d'une plus haute importance encore, fut l'ouverture du chemin de fer du Nord. Quatre ans s'étaient écoulés depuis le jour où la loi du 14 juin 1842 avait donné l'impulsion aux grandes entreprises de chemins de fer. A cette époque, les études de la ligne de Paris à la frontière belge n'étaient pas complétement achevées; aujourd'hui l'artère principale était achevée sur 331 kilomètres de développement. Ce n'est là, au reste, qu'une partie du réseau qui doit couvrir nos départements du nord: les embranchements sur Dunkerque et Calais partant de Lille pour se bifurquer à Hazebrouck, et celui qui, partant de Fampoux, à quelques kilomètres d'Arras, doit épargner aux voyageurs l'énorme détour qu'ils seraient obligés de faire si, pour se rendre à l'un de nos deux ports de la Manche ou de la mer du Nord, ils étaient forcés de

passer par Lille, porteront la longueur totale de ces travaux à 511 kilomètres environ.

L'État, on le sait, s'était chargé de la construction de cette grande voix de communication, exécutée par MM. Onfroy de Bréville et Busche, ingénieurs en chef.

L'inauguration eut lieu le 14 juin. LL. AA. RR. le duc de Nemours et le duc de Montpensier assistaient à cette fète. Plus de trois mille personnes partirent de Paris et furent reçues à la frontière belge par le roi en personne. C'était, en effet, pour les deux pays un événement mémorable que cette réunion opérée par l'industrie, réunion dont l'effet moral sera sans doute dans l'avenir la fusion d'intérêts déjà si rapprochés. Il y avait désormais entre la France et la Belgique un lien véritable, plus sérieux que toutes les conventions faites par la diplomatie.

Sur la ligne de l'Est, la Chambre vota aussi, cette année, le chemin de Dijon à Mulhouse. Ce chemin s'embranchera à Dijon, sur la grande ligne de Paris à Lyon, et de là se portera sur Besançon par Auxonne et Dôle; à partir de Besançon, il gagnera la vallée de l'Ognon, en passant par Villers-Sexel et Bevern, touchera Beford et se dirigera enfin par Dannemarie et Altkirch sur Mulhausen, où il sera mis en communication avec la ligne de Strasbourg à Båle. Des embranchements d'Auxonne sur Gray, et de Chène-Bier sur Héricourt et Montbéliard, seraient plus tard concédés comme annexes du chemin principal. Celui de Dôle à Salins serait l'objet d'une concession séparée.

Les lignes de Bordeaux à Cette, de Bonnières à Caen, et de Versailles à Rennes furent concédées directement à des compagnies le chemin de Mulhouse dut être mis, au contraire, en adjudication publique. Le gouvernement et les Chambres n'avaient voulu, en effet, avoir aucun système absolu dans la matière. L'adjudication par la voie de la publicité et de la concurrence est la règle générale pour les travaux à exécuter dans l'intérêt de l'État; mais l'expérience avait montré l'impossibi

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