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puissance acquise, la domination véritable de Rosas. Dans un pays où l'esprit d'indépendance locale est arrivé aux dernières limites de l'exagération, où personne ne peut durer, quels que soient ses talents ou ses services, où les fondateurs eux-mêmes de la liberté hispano-américaine n'ont pu conserver le pouvoir, où Bolivar lui-même, le libérateur, est mort dans l'isolement, où Puyvredon, Ribadavia, ont été chassés malgré leurs talents, où enfin trente-neuf révolutions s'étaient déjà accomplies quand Rosas arriva au pouvoir, seul cet homme avait résisté, seul, de tous les hommes d'État américains, il avait gouverné près de dixhuit ans au milieu des guerres les plus dangereuses. Était-ce la cruauté, la violence seule, qui lui avaient assuré si longtemps le pouvoir? Non. Il avait été maintenu parce qu'il avait rendu à son pays de ces services qui supposent à la fois de la force, de l'équité. Il avait trouvé Buenos-Ayres et les provinces désolées par les guerres civiles; des voleurs et des assassins dans les villes; des brigands, des tyranneaux dans les campagnes; le pays ruiné, la piastre en papier de l'Etat à 17 centimes, les étrangers effrayés et le commerce désolé. Il avait réprimé les assassins, les tyranneaux, les caciques sauvages, les Patagons; il avait rassuré le commerce, éteint à peu près les guerres civiles; il avait rendu la sécurité à Buenos-Ayres; il avait sévèrement réprimé le désordre des finances. Avant le siége de Montevideo, sur 6,000 Français qui se trouvaient dans la ville, 2,000 s'étaient réfugiés précisément à Buenos-Ayres, chez le Néron de la Plata. Renverser Rosas, ce serait donc faire sur les rives de la Plata ce qu'on avait fait pour la Syrie en 1840. *

Rosas, disait-on, voulait s'emparer de Montevideo. Non: Rosas ne voulait pas, sur la rive opposée de la Plata, un gouvernement unitaire, c'est-à-dire ennemi; mais la preuve qu'il ne méditait pas l'annexion de Montevideo à la confédération Argentine, c'est qu'il soutenait Oribe, un orientaliste, un homme qui avait la faveur des principaux propriétaires, qui, à l'époqué la plus libre et la plus calme de la république de l'Uruguay, avait été nommé président de cette république en 1835; que Rosas re

connaissait pour seul président légal de ce pays, et à la disposition duquel il avait placé des troupes avec la faculté de les garder ou de les renvoyer lorsqu'il n'en aurait plus besoin. Etait-ce là marcher à la conquête de la Banda-Orientale, dont l'indépendance a d'ailleurs été consacrée par les traités?

Arrivant à la médiation, M. le marquis de Gabriac terminait en déplorant qu'une mission dont le noble but avait été de rétablir la paix et de protéger les Français neutres fût devenue au contraire, et si promptement, un moyen de rallumer plus vivement que jamais la guerre et de prolonger les souffrances de nos compatriotes.

Quelques mots de M. le comte Pelet (de la Lozère) complétèrent les interpellations de la Plata (15). L'honorable pair ne niait pas la communauté d'intérêts qui existe dans ces contrées entre les deux pays intervenants, mais il eut voulu, ou que la France agit seule, ou qu'elle ne laissât pas l'initiative à l'Angleterre. M. le comte Pelet (de la Lozère) déplorait que, dans cette intervention, on eût, au mois d'août dernier, employé simultanément, avec les soldats de marine anglais et français, des hordes d'étrangers, Italiens pour la plupart, qui avaient, surtout au sac de la Colonia et de Gualeguacha, compromis le nom de la France par des excès de tout genre.

M. le ministre des affaires étrangères avait principalement à répondre à cette question : quels motifs avaient déterminé le gouvernement à dévier de la politique suivie jusqu'alors et fondée par le traité de 1840? Cette politique, c'était la neutralité, c'est-à-dire le droit commun point d'intervention dans les guerres civiles d'un État, ni dans les guerres d'État à État, maintien des droits et des intérêts des nationaux. L'espérance que la question se terminerait d'elle-même, soit par la défaite de l'un des partis, soit par une transaction entre eux, avait été une raison de plus de persévérer dans le système de la neutralité. M. Guizot avait cru devoir rester dans le droit commun jusqu'à ce qu'il fût devenu évident que cela ne suffisait pas.

Cependant la guerre s'était prolongée : les pétitions des

Français neutres n'avaient cessé de demander au gouvernement de faire cesser une situation qui leur était dangereuse et nuisible; déjà beaucoup d'entre eux avaient pris parti pour Montevideo, un plus grand nombre encore allait prendre parti pour Oribe. Le danger d'une guerre civile entre Français allait s'ajouter à la guerre civile des deux républiques.

C'est alors que le Brésil apparut dans cette affaire. M. le marquis d'Abrantes vint à Paris et à Londres, chargé par le Brésil de représenter aux deux puissances le dommage que causait cette lutte prolongée à la tranquillité des frontières de l'empire, à la province de Rio-Grande, à ses rapports commerciaux avec le Paraguay et l'Uruguay, l'impossibilité qu'il y avait à laisser subsister un état de choses si nuisible, et la disposition où l'on était d'intervenir pour y mettre un terme. La question menaçait de se compliquer d'une intervention étrangère américaine.

Cette mission brésilienne amena, entre les gouvernements anglais et français, une délibération commune sur la question. Une intervention devenait nécessaire, de quelque part qu'en vint l'initiative; mais cette initiative n'était pas venue de l'Angleterre. Une médiation armée fut résolue, non pas dans le but de prendre parti pour telle ou telle faction, non pas pour porter atteinte au gouvernement existant dans l'un ou l'autre Etat, mais pour rétablir dans ces contrées une paix qui assurait les intérêts français, amener une transaction entre les deux États et maintenir l'indépendance de la république de l'Uruguay.. Et, à ce propos, M. le ministre expliquait le sens de l'art. 4 du traité de 1840, qui assure l'indépendance de cette république. La France ne s'était par là imposé d'autre devoir que celui d'empêcher la république de Buenos-Ayres de s'incorporer la république de l'Uruguay, sans qu'il fût interdit pour cela à Buenos-Ayres de faire, comme cela peut toujours arriver entre États indépendants, la guerre à la république voisine, si l'honneur et la sûreté de la république Argentine l'exigeaient.

La médiation ainsi résolue, on était convenu d'employer d'abord les moyens pacifiques, les moyens d'influence. On avait

tenté auprès du président Rosas les moyens d'influence personnels que les négociateurs de 1840 avaient auprès de lui. Ces moyens n'ayant pas atteint leur but, on avait dû recourir à la force, mais dans un autre système qu'en 1840, en n'employant que les moyens maritimes qui laisseraient les médiateurs étrangers aux querelles intérieures des deux républiques. Le blocus de certains ports et de certains points des côtes, l'obstacle apporté au passage des fleuves qui séparent les nations, avaient paru des moyens suffisants pour amener entre les deux États la nécessité d'une transaction.

Telle était la politique qui se pratiquait aujourd'hui sur les rives de la Plata : il ne convenait pas de discuter des faits qui se développaient à cette heure. Mais M. le ministre ne pouvait croire que la France et l'Angleterre, agissant en commun, dans un intérêt élevé, dans une cause aussi difficile, mais en même temps aussi bonne, ne parvinssent pas à ramener la paix sur les rives de la Plata.

M. le comte Alexis de Saint-Priest contestait qu'aucun fait nouveau se fût présenté depuis 1844. Il y avait toujours Rosas cherchant à attenter à l'indépendance de Montevideo et violant l'article 4 du traité de 1840: il n'y avait de nouveau que les Anglais de plus. L'honorable pair ne pouvait non plus approuver l'emploi des moyens d'influence, c'est-à-dire l'envoi d'un aide de camp de M. l'amiral de Mackau (M. Page), un mois avant le départ du plénipotentiaire (M. Deffaudis). On avait traité Rosas comme un homme civilisé. Qu'était-il arrivé? Rosas avait publié les lettres confidentielles qu'on lui envoyait à ce sujet, et ce barbare avait ainsi compromis la dignité du gouvernement français.

La question était épuisée le paragraphe fut mis aux voix et adopté.

MM. le duc d'Harcourt et le comte de Montalembert proposaient un article additionnel ainsi conçu :

• Vous le savez, sire, la justice est la garantie la plus assurée de la paix ; et Votre Majesté n'oubliera pas sans doute que, parimi les natious ancienne

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ment alliées à la France, il en est une dont l'existence a été solennellement garantie par les traités. »

Après quelques nobles paroles de M. le duc d'Harcourt, M. le comte Villiers du Terrage s'étonna qu'une addition de cette nature ne se bornât pas seulement à exprimer le regret que des vœux précédents fussent demeurés sans effet; mais les reproduire à peu près textuellement chaque année, pour n'être pas sans doute plus heureux à l'avenir, cela n'était pas digne de la France.

M. le baron Charles Dupin répondit que jamais, au contraire, l'expression solennelle des sentiments des Chambres françaises n'avait été plus nécessaire. Aujourd'hui, l'intolérance du gouvernement russe ne se bornait plus seulement à persécuter des Polonais, des catholiques; elle s'attaquait à des sujets originaires d'Allemagne et de Suède. Voter l'article additionnel, c'était protester en faveur de l'humanité et de la liberté de conscience.

M. Villemain pensait que ne pas insister, ce serait se rétracter. La dignité n'était à ses yeux que dans la persistance.

«Mais, ajoutait l'illustre orateur, cette persistance ne doit avoir rien d'offensif ni d'hostile.

J'imagine même que, dans ce moment, elle prend un caractère plus persuasif, et qu'elle se rapporte heureusement à des faits, à des sentiments que l'Europe a dû remarquer. Le puissant souverain auquel un homme d'Etat assis sur ces bancs a donné cette louange d'être un monarque judicieux et conséquent est venu houorer dans Rome la majesté désarmée du pontife. Il y a là sans doute quelque engagement significatif pour l'avenir. Nous devons espérer que de cette entrevue, de cet accueil, de ce respect apporté de si loin, il sortira quelque chose de bon et de grand pour l'humanité, qu'il en sortira pour la religion catholique et pour les communions dissidentes, dont les souverains ont défendu Rome il y a trente ans, un principe de tolérance et d'équité, la liberté de la foi et du culte, cette liberte qui rend plus supportable la perte ou l'ajournement de toutes les autres. »

Le paragraphe additionnel fut adopté à l'unanimité.

Le paragraphe 8 avait trait aux événements qui avaient, l'année dernière, troublé nos possessions d'Afrique.

A propos de ces événements graves qui nous avaient coûté

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