Sidor som bilder
PDF
ePub

centre gauche, entre M. Thiers et M. Guizot? Il ne pouvait y avoir deux majorités à la fois.

Ces interpellations appelèrent M. Thiers à la tribune. L'horable député, en réponse aux accusations de M. Ledru-Rollin, protesta de la stabilité de ses opinions depuis qu'il avait quitté le pouvoir pour entrer dans l'opposition. Profondément monarchique, M. Thiers l'était à sa manière; profondément ami de la paix, il croyait seulement que cette paix pouvait être obtenue à des conditions plus sûres et plus dignes. Toute attaque ne pouvait que le raffermir dans sa ligne de conduite.

L'honorable député ajoutait :

On me demande à quelles conditions je suis uni à la gauche dynastique ? Je dirai que ce droit d'interpellation, dans les termes dans lesquels il a été exercé, je ne le reconnais à personne. Mais je n'ai pas besoin d'obscurité : si vous voulez savoir à quelles conditions j'ai pu m'unir à la gauche dynastique, ouvrez le Moniteur, et vous verrez quelles sont les réformes que le centre gauche a proposées, soutenues ou repoussées. Cela ne vous contentera pas; tant mieux.

J'ajouterai seulement une chose : c'est que, pour être conséquent avec vous-même, vous devriez vous séparer d'une opposition qui vous mécontente si fort, et voter pour le Cabinet. C'est un spectacle qui, pour mon compte, ne m'affligerait pas. Et quant à la gauche dynastique, le jour où elle a notoirement rompu avec tout ce que vous représentez, je dis que ce jour-là l'alliance avec elle est devenue naturelle, bienfaisante, nécessaire, qu'elle contient, en un mot, le salut de l'avenir.

[ocr errors]

Puis, sortant de ces débats tout personnels, l'ancien président du cabinet du 15 avril arrivait à une question plus haute, celle des relations de la France avec l'Amérique.

Par suite du rôle de résistance choisi par le gouvernement français dans l'affaire de l'annexion du Texas, les relations de la France avec les États-Unis, sans cesser d'être pacifiques, n'étaient plus suffisamment amicales. M. le ministre des affaires étrangères avait apprécié la conduite de l'Union avec une hauteur fâcheuse, en présence du démêlé élevé entre l'Amérique et la Grande-Bretagne (voyez plus haut, p. 45). La théorie présentée à ce sujet renfermait une leçon pour les États-Unis et ne pouvait être qu'une aggravation du fait lui-même. Selon M. le ministre, il y aurait un équilibre américain, équilibre qui nous

constituerait surveillants, et surve llants jaloux de la grandeur

américaine.

L'ambition des États-Unis, qui avaient cherché à s'approprier le reste des côtes baignées par le golfe du Mexique, était assez naturelle, et jamais acquisition n'avait été faite par des procédés plus réguliers, plus conformes au droit des gens. Province détachée du Mexique, État reconnu par la Hollande, les Etats-Unis, la France et l'Angleterre, le Texas avait sans doute le droit de disposer de lui-même. Il avait cru qu'il convenait mieux à ses intérêts et à son avenir d'appartenir à un grand peuple, à une gran pe confédération, que de vivre isolé. Aujourd'hui la question était décidée par un contrat irrévocable, et le Texas était l'un des États composant la grande confédération américaine.

Or, ç'avait été pendant l'intervalle de temps employé à porter les propositions du Texas à Washington et de Washington au Texas que notre cabinet s'était prononcé contre l'annexion. Il l'avait fait publiquement, et le cabinet de Washington avait cru devoir s'en plaindre à la face du monde. Il y avait eu là une faute, faute sans raison, et que ne justifiaient ni nos intérêts, ni nos relations commerciales.

Une véritable crainte de la grandeur américaine justifiaitelle cette conduite? Sans doute, cette grandeur était singulière, et M. Thiers en traçait ainsi l'imposant tableau :

Si on regarde ce qui s'est passé en Amérique depuis soixante ans, il y a de quoi être singulièrement surpris. Quand on songe que le jour où nous sommes venus au secours des Etats-Unis its occupaient à peine les bords de l'Atlantique, qu'en soixante ans ils ont franchi les Alleghanis, peuplé l'immense vallée du Mississipi de leurs intrépides colons, bordé les cinq lacs, atteint les montagnes Rocheuses, débouché dans le golfe du Mexique par la Louisiane, que nous leur avons donnée, pris les Florides, et qu'aujourd'hui ils disputent l'Orégon et les bords de la mer Pacifique à l'Angleterre ; quand on songe à cela, on ne peut se défendre d'un sentiment d'étonnement et d'admiration. Ils n'étaient que 3 millions d'habitants, et aujourd'hui ils sont 18 à 20 millions; ils n'étaient que 13 États, ils sont maintenant 26 ou 27; ils n'avaient pas de marine, et aujourd'hui ils ont des vaisseaux, des frégates; et ce n'est là qu'une faible mesure de leur puissance, car ils possédent une population maritime immense. Ils n'ont pas d'armée, il est vrai; mais ils ont dans

leurs colons d'intrépides tirailleurs, qui, à la bataille de la Nouvelle-Orléans, ont arrêté l'armée anglaise, formée contre nous à l'école de la grande guerre. Ils ont de plus l'immense orgueil de la démocratie. Je comprends qu'on éprouve une sorte d'émotion en présence de cette grandeur si prodigieuse.

Mais, s'il y avait là un danger, assurément ce ne pouvait être pour la France, et l'Amérique était peut-être la seule nation du monde à laquelle, sans arrière-pensée, on pût souhaiter de la grandeur.

Qu'était-ce donc que cet équilibre américain, mot nouveau, qu'aucun homme d'État n'avait encore prononcé? Certes, il y avait un équilibre européen qui était tout simplement l'indépendance des nations européennes toutes les fois que ces nations s'étaient crues menacées par l'une d'elles, elles s'étaient réunies pour faire équilibre à celle qui les menaçait. Mais un équilibre américain, en quoi pouvait-il consister? S'agissait-il de secourir la race espagnole menacée dans l'Améririque du Sud par la race anglo-américaine? Mais on n'en était pas encore là. S'agissait-il de protéger nos colonies? Mais nous ne possédons plus ni la Louisiane, ni le Canada. Toutes craintes en pareil cas ne pourraient être que pour l'Angleterre, et cet équilibre américain eût été bien mieux appelé équilibre anglais.

Cette grandeur des États-Unis, dont on s'effrayait si vite, elle devait, selon M. Thiers, produire plus tard l'affranchissement de notre politique. En effet, depuis que la politique française représente dans le monde la révolution française, c'est-àdire depuis 1789, la France a perdu beaucoup de sa liberté d'action. Autrefois, il y avait, chez les différents États de l'Europe, des intérêts profondément divers, des jalousies haineuses. Au milieu de ces intérêts divers, l'action de la France était libre; mais, le jour où elle représenta la liberté dans le monde, elle vit s'unir à Pilnitz les cours les plus hostiles entre elles, elle vit s'établir un concert plus souvent tacite que formel, mais un concert durable qui a gêné, qui gêne encore la politique de notre gouvernernement.

Dans cette situation, il avait fallu naturellement se rapprocher de l'Angleterre. Le continent fermé, on trouvait là une

puissance à qui la liberté constitutionnelle plaisait au lieu de déplaire, mais en même temps une puissance jalouse de notre marine. De là la contrainte forcée de notre politique. Deux faits seulement pouvaient améliorer cette situation, le progrès pacifique de la révolution en Europe et la grandeur croissante des États-Unis en Amérique. Aujourd'hui, en effet, la révolution française ne représente plus aux yeux des peuples et des rois que ce qu'elle doit représenter naturellement, la participation des peuples à leur gouvernement. Nulle part les peuples ne croient encore qu'on puisse disposer de leur sang, de leurs trésors, sans les consulter. Les rois eux-mêmes commencent à ne plus le croire, et le jour où ce spectacle qu'on voit à Londres et à Paris se verrait dans l'une des grandes capitales du Nord, ce jour-là le monde serait changé, notre liberté d'action nous serait rendue.

De même, à mesure que l'Amérique obtient dans les préoccupations de l'Angleterre une place plus sérieuse, l'Angleterre a besoin de nous à son tour : le contrat devient plus égal.

Qui pouvait donc justifier la conduite tenue lors de l'annexion du Texas? M. Thiers voyait là le rachat des fautes commises par le Cabinet depuis cinq ans. Ces fautes avaient changé l'union de la France et de l'Angleterre en une sorte de dépendance qui avait forcé, en plus d'une occasion, d'avoir recours à la bonne volonté du cabinet anglais.

Qu'était-il arrivé en 1840? La France était irritée ; l'Angleterre avait le sentiment de ses torts. Il ne fallait que se tenir dans la réserve, et la position était bonne pour nous. Sans le traité du droit de visite, sans la conquête des Marquises, l'alliance eût été profitable. Le principe de cette alliance, c'est le maintien de la paix du monde, c'est surtout, et en vue de la Russie, le statu quo de l'Orient. Si ces déplorables affaires du droit de visite et des Marquises n'avaient pas préoccupé l'attention des gouvernements, absorbé leur influence, l'Angleterre aurait-elle pu ne pas nous aider dans la pacification de la Syrie, moyen naturel pour sauvegarder la dignité de l'empire otto

man? N'aurait-elle pas compris que fomenter l'anarchie en Grèce, c'est faire naître la confiance en Orient? Eût-elle trouvé rien que de naturel dans la poursuite des intérêts français contre le Maroc? Eût-elle enfin exigé que, dans l'affaire du Texas, ia France manquât à tous ses précédents, à sa politique séculaire, pour se prononcer contre l'Amérique?

Mais on avait voulu affecter l'intimité avec l'Angleterre, et pour cela on avait signé l'extension du droit de visite, qu'on avait été forcé de révoquer depuis. On avait voulu montrer que, malgré l'Angleterre, on savait développer, dans l'Océanie, notre grandeur maritime, et on avait pris possession des Marquises, où on ne peut pas vivre. On avait été obligé d'aller à Tahiti, où on s'était heurté contre l'ambition et la dévotion anglaises. De là les désaveux, l'indemnité. Tout ce qu'il pouvait y avoir de bonne volonté chez les deux peuples avait été employé à racheter les fautes commises. Les deux peuples croyaient s'être fait l'un à l'autre des sacrifices sans compensation.

C'est ainsi que la conduite du Cabinet, par rapport au Texas, avait été le rachat du droit de visite; et, par suite de sa partialité, la France avait perdu l'occasion de jouer, dans la lutte de deux grandes nations, le noble rôle d'intermédiaire.

M. le ministre des affaires étrangères ne laissa pas ce discours sans réponse (21 janvier). Rappelant ce qu'il avait déjà dit, à savoir, que, dès l'origine, il avait proclamé que cette question était, pour le peuple texien, une question de volonté ; qu'il lui appartenait à lui seul de décider de son indépendance; que le fait, une fois accompli, avait été librement accepté; enfin, que tout s'était borné à la promesse d'un avis en cas où le gouvernement texien voudrait l'accepter, M. Guizot se demandait s'il pouvait y avoir une politique plus correcte, plus respectueuse des droits, plus réservée. La phrase du message présidentiel des États-Unis n'allait donc à rien moins qu'à nous interdire d'exprimer notre avis, d'exercer notre influence morale sur les affaires d'aucune nation indépendante de l'Amérique du Nord, même en nous référant à leur action libre, à leur proAnn, hist. pour 1846.

5

« FöregåendeFortsätt »