Sidor som bilder
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bord de la citerne, à l'endroit même où l'eau dégouttait de ma main. Là ils enfoncent jusqu'au jabot leur cou dans la vase. Le tapage qu'ils font autour de ce réservoir est comme celui d'une tribu voyageuse au moment où elle s'arrête pour camper. Ils affluent de tous côtés à ce rendez-vous commun, qui les reçoit et les rassemble, ainsi qu'un abreuvoir rassemble autour de lui les chameaux du camp voisin. Après avoir bu en toute hâte, ils partent aux premiers rayons de l'aurore, tels qu'une bande matinale de la tribu d'Ouhâzhah (tribu yamanique sur laquelle je n'ai trouvé aucun renseignement).

Tout maigre que je suis, j'aime à faire mon lit de la terre, et c'est avec plaisir que j'étends sur sa face un dos que tiennent à distance des vertébres arides. J'ai pour oreiller un bras décharné dont les jointures saillantes semblent des osselets lancés par un joueur, et tombés de champ *.

Si la Guerre et les Alarmes se plaignent de l'absence de Schanfarâ, je leur dirai: N'avez-vous pas joui assez long-temps de Schanfarà? Poursuivi par des Vengeances qui se promettaient de partager sa chair en lots, et d'avance les tiraient au sort, il se demandait sans cesse: De laquelle tomberai-je victime? laquelle m'atteindra la première? Si quelquefois il dormait d'un vrai sommeil, ses ennemis dormaient les yeux ouverts, toujours à l'affût, toujours prêts à fondre sur lui. Obsédé par des Soucis qui venaient me visiter régulièrement, tels et plus accablants que les accès d'une fièvre quarte, je les chassais chaque fois; mais ils n'allaient pas loin, et revenaient bientôt et d'en haut et d'en bas. Si donc vous me voyez, ô Soucis dévorants, exposé comme le reptile des sables à un soleil brûlant, le corps à peine couvert et les pieds nus, sachez que j'ai asservi la Patience, que j'endosse son manteau sans dépouiller mon cœur d'hyène, et que la fermeté me tient lieu de sandales.

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Je suis tantôt riche, tantôt pauvre : celui-là seul obtient la ri

Je n'avais pas compris ce passage lorsque j'écrivais ma première traduction. - Il ne s'agit point ici de dés proprement dits (carles dés sont cubiques et tombent toujours d'une manière uniforme), mais d'osselets tels que ceux qui servent de jouet à tous les enfants du monde, et qui peuvent tomber de deux manières, à plat ou de champ. Il paraît que le jeu arabe roulait uniquement sur ces deux chances.

chesse qui ne craint ni les dangers ni l'exil. Pauvre, je ne donne aucun signe d'impatience, et ne laisse pas voir ma pauvreté. Riche, je ne deviens pas insolent. Les injures des sots ne troublent point la sérénité de mon âme. On ne me voit point, à la piste des propos irritants, m'informer de ce qu'un tel a dit pour le redire à tel autre.

Combien de fois par une de ces nuits froides, durant lesquelles le chasseur brûle, pour se réchauffer, son arc et ses flèches, ne me suis-je pas mis en course à travers les ténèbres, ayant pour compagnie la faim, le froid, la rage et la terreur !—Eh bien... j'avais rendu des femmes veuves et des enfants orphelins, et j'étais déja de retour que la nuit était encore toute noire. — Un beau matin, c'était le lendemain d'une expédition de ce genre, deux bandes raisonnaient ensemble sur mon exploit à Ghoumayssà dans le Nadjd. Quelqu'un disait : «Nos chiens ont murmuré la nuit passée : je <«< me suis dit: Serait-ce un loup qui rôde, ou bien une jeune hyène ? Mais ils n'ont donné de la voix qu'un instant, et se sont << rendormis. Alors j'ai dit en moi-même : Suis-je donc comme le

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qatâ ou l'épervier que le moindre bruit réveille?—A présent « que nous savons la cause terrible de ce bruit léger, que devons<< nous penser du meurtrier? Si c'est un Djinn qui nous a visités << dans la nuit, sa visite nous a été bien funeste : si c'est un <«< homme...... mais un homme ne fait pas de ces coups-là. »

Combien de fois par un de ces jours que marque le lever héliaque de Sirius, de ces jours où l'air devenu liquide forme des ondes visibles à la surface du sol *, où les vipères s'agitent sur le sable comme sur des cendres brûlantes, combien de fois, à pareille fête, n'ai-je pas exposé ma tête au soleil sans autre voile qu'un manteau déchiré et une épaisse chevelure, d'où s'élevaient, quand le vent soufflait, des touffes compactes et feutrées, que le peigne n'approchait point, qui depuis long-temps n'avaient été ni parfumées ni purgées de vermine, enduites d'une crasse solide, sur lesquelles une année entière avait passé depuis le dernier lavage!

Combien n'ai-je pas traversé sur mes deux jambes de ces plaines désertes, de ces horizons sans accident, ronds et nus comme

Il ne s'agit pas ici du mirage, mais d'un phénomène que l'on peut observer par toute terre en un beau jour d'été.

le dos d'un bouclier, impratiqués des caravanes ! Dans la rapidité de ma course je réduisais leur diamètre à un point, et terminais ma carrière en grimpant sur un pic élevé, tantôt debout, tantôt accroupi. Les biches au poil fauve allaient et venaient autour de moi comme de jeunes filles vêtues de la moulâat* à queue, aussi douces, aussi familières, et s'arrêtant près de moi dans la soirée, semblaient me prendre pour un bouquetin aux pattes blanches et aux cornes rabattues, qui gagnait le revers de la montagne, inaccessible dans sa retraite.

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Longue pièce de toile dont les femmes se couvrent de la téte aux pieds, et dont elles laissent traîner la pointe. On la nomme dans le langage vulgaire melayeh, corruption de moulaah ou moulâat.

Ici finit ma première lettre sur les Arabes. J'espère qu'elle ne sera pas la dernière. Toutefois je me crois en conscience tenu de déclarer que le temps que j'ai mis à la rédiger eût été beaucoup mieux employé à préparer pour l'impression dix fois plus de texte que je n'en ai traduit; ce sont les textes qui manquent aux traducteurs, non l'inverse.

NOTE RELATIVE A LA JOURNÉE DE MANIDJ.

On lit à la page 29, lignes 7, 8 et 9 : Il ramassa ensuite sa dépouille et fit disparaître les traces dont sa monture avait empreint le sable, etc. Il y a dans le texte: waghayyaba atharahou, ce qui peut s'entendre ainsi : « et fit disparaître la trace de Schâs », c'est-à-dire « enterra le cadavre. »

NOTE RELATIVE A LA Journée de KHAZAZ.

On lit, page 69, ligne 20: Depuis lors leur population s'est accrue, et le Yaman n'a pas remporté un seul avantage sur nos pères. Il y a dans le texte : wakânat Nizar lam takthour badou. Mon schaykh avait lu toukthar au passif, et j'ai traduit conformément au sens qu'il donnait à cette phrase : « Depuis lors la postérité de Nizâr n'a pas été vaincue par le nombre. » Mais M. Caussin de Perceval, à qui j'ai communiqué le texte arabe, lit takthour au neutre, et avec raison. Le sens est donc : « Les enfants de Nizâr ne formaient point encore une peuplade nombreuse (à l'époque de la bataille de Khazâz.) » - Tant il est vrai que les Lettrés de l'Orient ne peuvent pas plus se passer des nôtres que les nôtres ne peuvent se passer d'eux. — C'est le résumé de mon Mémoire.

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FIN DE LA PREMIÈRE LETTRE,

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