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celui dont l'arrêt est irréfragable. » Le peuple répondait : Proroge-nous un mois ; c'est-à-dire : Écarte de nous l'inviolabilité de Mouharram et reportela sur Safar (le mois suivant). Car les Arabes supportaient impatiemment une période de trois mois consécutifs, durant lesquels toute « expédition » leur était interdite, attendu qu'ils vivaient « d'expéditions.» (On conçoit qu'il faut entendre par expédition le vol des troupeaux à main armée de tribu à tribu *.) En conséquence l'homme de Kinânah levait l'interdiction de Mouharram.

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Je ne sache point d'autre acte législatif qui marquât l'assemblée du Haddj, dont l'objet était d'ailleurs purement religieux. Quant à l'assemblée d'Oukâzh, ce n'était point un congrès gouvernemental, mais, comme je l'ai dit ailleurs, un congrès poétique, et de même que la vertu est le lien des républiques et l'honneur le lien des monarchies, le lien de la fédération maaddique était LA POÉSIE, c'est-à-dire l'honneur et la vertu à l'état de passions chevaleresques. Et voilà une des raisons pour lesquelles les tribus se faisaient perpétuellement la guerre. De quoi se serait-on vanté si l'on ne s'était pas battù? Il n'y a point de poésie héroïque sans héros, ni de héros sans combats; il fallait donc se battre, mais avec qui ? — Avec l'étranger? - Pendant des siècles c'eût été folie de l'aller chercher ; il y avait entre lui et les Arabes une trop grande disproportion de forces. De son côté, l'étranger reculait devant des solitudes arides où les seuls Arabes peuvent vivre. Ils étaient donc réduits à se battre entre eux pour avoir des sujets de poëmes; et comme le premier besoin d'un poëte est de réciter ses vers devant une assemblée nombreuse, on était convenu de se réunir tous les ans à la foire d'Oukâzh, dont l'ouverture coïncidait avec celle de la plus longue période sacrée, — pour y faire assaut de vanteries. Mahomet savait bien que le levier politique des Arabes était la poésie; mais il n'avait garde de leur parler en vers. Les exigences de leur métrique eussent garrotté sa pensée, et pour les nouveautés qu'il méditait il fallait une poésie nouvelle. Cette poésie nouvelle, il la conçut et la réalisa dans l'Alcoran, dont chaque sourah ou chapitre est, comme on sait, un poëme en prose poétique, avec une rime unique qui reparaît à des intervalles inégaux.

Les ennemis de Mahomet savaient tout aussi bien que lui quelle était en Arabie la valeur d'un poëte, considéré comme effet public, au cours de leur temps. J'en trouve la preuve dans un trait historique dont nous devons la connaissance au patriarche des études orientales, et que je vais citer en entier :

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Ascha, ayant fait des vers en l'honneur de Mahomet, se mit en route pour << aller le trouver. Les Koreïschites, qui en furent instruits, lui dressèrent une embuscade sur sa route, dans la crainte que sa réputation n'ajoutât au cré<< dit de Mahomet, et ne favorisât le succès de ses entreprises. Quand il fut près d'eux, ils lui demandèrent où il allait.—Je vais trouver, leur dit-il, votre compatriote pour embrasser l'islamisme. Ils lui dirent alors : - Il te défendra « certaines choses que tu aimes beaucoup. Ascha s'informa quelles étaient ces

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Materia munificentiæ per bella et raptus. Nec arare terram aut exspectare annum, tam facile persuaseris quam vocare hostes et vulnera mereri. Pigrum quin immo et iners videtur sudore acquirere quod possis sanguine parare. XIV. Ce préjugé subsiste encore dans toute sa force chez les modernes Bédouins.

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De ces deux mots le premier embrasse jusqu'aux débauches de la vengeance, second doit être pris dans l'acception antique.

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« choses. - C'est la fornication, lui dit Abou-Sofyân. — Elle m'a quitté, répondit Ascha, ce n'est pas moi qui l'ai quittée.—Et quoi encore ? ajouta-t-il. Les jeux de hasard, répondit Abou-Sofyân. —Peut-être, dit Ascha, trou« verai-je auprès de lui un plaisir qui me dédommagera de la privation de celui-là. Puis il ajouta :-Que me défendra-t-il encore? - L'usure, reprit Abou-Sofyân.—Je n'ai jamais emprunté ni prêté, dit le poëte. Y a-t-il encore << autre chose? — Oui, dit Abou-Sofyân; il t'interdira le vin.—En ce cas, dit «Ascha, je reviendrai chercher le reste d'eau que j'ai laissé à Mihras, et je le « boirai. — Veux-tu, lui dit alors Abou-Sofyân, accepter un parti meilleur << pour toi que le projet que tu as formé ? Nous sommes maintenant en trève << avec Mahomet. Nous te donnerons cent chameaux, à condition que tu re<< tourneras dans ton pays et que tu y resteras cette année. Tu verras ce que deviendra notre querelle. Si nous avons l'avantage sur lui, tu auras reçu « une indemnité. Si au contraire c'est lui qui a l'avantage, tu reviendras le « trouver. Ascha accepta ces conditions. Abou-Sofyân dit alors aux Koreïs«< chites: Si Ascha va trouver Mahomet et s'attache à lui, il en enflammera par ses « vers les Arabes contre vous: donnez-lui donc cent chameaux (voilà la cote.) « Les Koreïschites y consentirent, et Ascha ayant reçu les cent chameaux, s'en << retourna dans son pays: mais quand il fut arrivé au lieu qu'on nomme Man« fouha, son chameau le jeta par terre, et il mourut. On voit encore son tom« beau à Manfouha, lieu du Yémâma où il faisait sa demeure, et qu'il a célébré « dans ses vers. »( Chrest. ar. tome II, p. 476, 2o édit. )

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Dans la fédération maaddique, chaque tribu ou famille reconnaissait pour chef l'homme le plus considérable de la tribu; c'était toujours le fils aîné ou le frère du dernier sayyid ou chef; du moins n'ai-je encore vu aucune exception à cette règle *. Les Arabes d'autrefois (comme ceux d'à présent) ne donnaient leurs filles en mariage qu'à des gens qui valussent autant qu'eux ou plus qu'eux dans leur opinion. La fille d'un vir fortis devenait donc toujours le partage d'un vir fortis. Il en résultait qu'une portion de la semence du brave avait l'avantage de tomber dans un moule généreux. Je parle en ce moment le langage des Arabes, qui, comme on sait, attachaient une grande importance à leurs généalogies. Persuadés que les qualités bonnes ou mauvaises se transmettent avec le sang dans l'homme, comme dans le cheval, ils étaient extrêmement fiers de l'illustration de leurs aïeux paternels et maternels. Le panégyrique complet d'un héros arabe devait comprendre celui de sa mère et de ses oncles maternels; car ils pensaient qu'un homme honorable se reflète presque toujours dans le fils de sa sœur **. De là ces épithètes de karîm alkhâl, scharif alkhal, qui ne sont pas encore tombées en désuétude, et qui impliquent l'éloge de l'homme auquel on les attribue, quoique, dans la réalité grammaticale, elles expriment seulement que cet homme a un oncle maternel d'un caractère élevé. En somme, il n'y avait point chez les Arabes de distinction de castes, dans l'acception rigoureuse du mot, puisque les esclaves venaient du dehors; mais il n'en est pas moins vrai que la gloire et les richesses hérédi

* Reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt. VI. Chez les Arabes, les chefs de tribu avaient le commandement militaire; mais ils pouvaient le déléguer dans certains cas. Sororum filiis idem apud avunculum, qui apud patrem honor. Quidam sanctiorem arclia» remque hunc nexum sanguinis aibitrantur, etc. XX.

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taires de certaines familles établissaient au sein des tribus des différences analogues à celles que l'on observe dans toutes les sociétés humaines. Quant aux hommes de sang mêlé qui avaient de la tête et du cœur, comme Antarah, Schanfarâ, Taabbata-Scharran et tant d'autres, leur position sociale était fort triste. Presque aussi noirs qu'eux, leurs compatriotes de sang arabe pur les tenaient à une distance désespérante, et que l'on eût trouvée bien ridicule à Venise après le mariage d'Othello. Point de Desdémone, même cuivrée, pour les Othello arabes.—Le pauvre Schanfarâ fut rappelé à l'ordre par un bon soufflet pour avoir traité de sœur (d'autres disent pour avoir essayé d'embrasser) une petite bergère cuite au soleil et probablement fort sale, mais de père et mère libres. Il s'en vengea par une effroyable série d'homicides, et n'en fut pas moins malheureux.-Antar ou Antarah, fils, comme Schanfarâ, d'un homme libre, a, comme lui, une esclave pour mère. En conséquence il est réduit à faire des prodiges de valeur pour arriver à quoi? —à obtenir la main de sa cousine germaine. Quant aux filles de haut lieu, ces aigles qu'on nommait « corbeaux. aghribah (à cause de la couleur de leur peau), ne devaient pas y penser; ils ne devaient pas les regarder même de loin. — Antar est le plus valeureux cavalier de sa tribu et de toute l'Arabie; et pourtant, après la mort de Zoubayr, il ne vient à l'esprit de personne qu'Antar doive lui succéder au préjudice de Qays, fils aîné de Zouhayr; mais Qays est aussi un héros. En général, comme les descendans des hommes courageux étaient sans cesse appelés à donner des preuves de courage; comme leur vie était sans cesse exposée, non-seulement dans les combats, mais sous la tente (car les mœurs arabes comportaient dans certains cas ce que nous nommons un assassinat) — enfin comme un chef de tribu était écrasé de charges, et que son autorité était très-souvent mé connue *,-on conçoit que la naissance la plus illustre ne pouvait jamais tenir lieu de mérite personnel, et aussi que la dignité de chef de tribu ne devait pas

être fort enviée.

La guerre de Dâhis doit avoir commencé peu de temps après le meurtre de Khâlid et le rétablissement de la paix entre les tribus d'Abs et d'Amir.

Les assassinats que j'ai racontés et ceux que j'ai à raconter encore, devant naturellement laisser dans l'âme du lecteur une impression fâcheuse du carac tère bédouin, la justice exige que je relate quelques-uns des faits où ce caractère apparaît dans toute sa pureté. Je prie le lecteur bénévole d'excuser le décousu de mes notes, en considération des circonstances dans lesquelles j'écris. Le retour de la peste, qui, de bénigne qu'elle est à présent **, peut devenir très-meurtrière dans un mois, m'oblige d'en finir, et je ne puis faire pour le moment qu'un « Mémoire à consulter. » - Voici le fait :

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Un peu avant l'époque où la guerre éclata entre les tribus d'Abs et de Dhoubyân, Rabi, fils de Ziyâd, de la première tribu, avait eu un différend avec Qays, fils de Zouhayr, c'est-à-dire avec son roi, à propos d'une cotte de mailles dont chacun d'eux réclamait la possession. Rabî l'emporta sur le roi, et enleva de haute lutte la cotte de mailles; mais il fut obligé de fuir aussitôt après, et s'alla mettre sous la protection des Banoû-Fazârah qui faisaient par

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Nec regibus infinita aut libera potestas, et duces exemplo potius quam imperio ; si prompti; si conspicui, si ante aciem agant, admiratione præsunt. VII.

** J'écrivais ceci vers la fin de février.

tie de la tribu de Dhoubyân. De son côté le roi Qays se vengea en prenant des chamelles laitières qui appartenaient à Rabî, et les échangeant à la Mecque contre des armes. Or Rabî et ses frères étaient les plus dignes hommes de toute l'Arabie, à telles enseignes qu'on les nommait partout les kamalah, c'està-dire « les parfaits.

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Les hostilités ayant commencé entre les tribus d'Abs et de Dhoubyân par le meurtre de Mâlik, fils de Houdhayfah, de la famille de Fazârah, les Absides s'empressèrent de payer le prix du sang aux parents du mort, en leur faisant livrer cent chameaux, composition qui fut acceptée par Houdhayfah. Mais ensuite, ce même Houdhayfah, dont le ressentiment n'était pas éteint, surprit et tua Mâlik, fils de Zouhayr, et frère de Qays. Alors les Absides dirent aux Fazârides: « Mâlik, fils de Zouhayr, va pour Mâlik, fils de Houdhayfah; rendez-nous nos chameaux. » Houdhayfah ne voulut rien rendre.

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Au retour de l'embuscade où Mâlik, fils de Zouhayr, avait été tué, un dialogue fort court eut lieu en présence de Rabî entre les Fazârides qui étaient restés chez eux et ceux qui revenaient de l'expédition : : — « Eh bien, votre àne sauvage, qu'en avez-vous fait? » demandèrent les premiers. -« Nous ne l'avons pas manqué. - Rabî, qui était toujours sous la protection des ennemis de sa tribu, mais dans l'ignorance du meurtre qui venait d'être commis, leur demanda ce que signifiaient ces paroles mystérieuses. Cela signifie que nous avons tué Mâlik, fils de Zouhayr. Eh bien, vous avez fait une infamie, s'écria Rabî; vous avez accepté une composition; vous vous en êtes contentés; vous l'avez trouvée suffisante; et puis après... Vous êtes des hommes sans foi. Ah! si tu n'étais pas notre hôte,» repartirent les Fazârides, « nous t'aurions tué au premier mot. Tu as encore trois nuits à passer chez nous *. » (C'était le plus court délai qu'on pût accorder à un protégé dont on voulait se défaire.) — Rabi prit donc la fuite, et les Fazârides coururent après lui; mais ils ne purent l'atteindre, et le fugitif ayant rejoint sa tribu fit sa paix avec le roi Qays.

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' Il veut dire que le sang versé retombera sur lui seul. Il y a dans ces deux mots pour moi, » qui correspondent exactement au li du texte arabe, une énergie et une fierté qui tiennent aux mœurs militaires des Bédouins. Chez eux, un homme tué sur le champ de bataille constitue sa famille en état de vendette avec la famille ou la tribu du meurtrier, tout comme ferait un meurtre isolé. C'est donc comme s'il disait : « Je ne réclamerai pour mon dividende que dettes à payer en nature (de sang humain) ou en chameaux, pour tous les hommes que nous aurons tués à nous trois ; » en d'autres termes : « Je prends sur moi seul toutes les vendettes passives que la guerre attirera sur nous – L'éloquence de Laqît gît ici tout entière dans la substitution de la préposition pour, qui représente une dette active, à la préposition sur, qui représente une dette passive.

trois.»

3 Cette observation était nécessaire pour rendre compte d'une anomalie. Noumân, frère d'Aswad, c'est-à-dire du prince dont l'asile a été violé rith, n'aurait pas dû prêter son appui aux protecteurs de Hârith.

par

* Nec dicrum numerum, ut nos, sed noctium, computant; sic constituunt; sic condicunt:

nox ducere diem videtur. XI. Cet usage n'était pas invariable chez les Arabes.

JOURNÉE DE HOURAYBAH.

En cette journée fut tué Hârith, fils de Zhâlim, au lieu nommé Houraybah en Syrie. Voici ce que raconte à ce sujet AbouOubaydah :

Après le meurtre de Khâlid, fils de Djafar, Hârith, fils de Zhâlim, se réfugia chez un ami qu'il avait dans la tribu de Kindah (tribu d'origine yamanique). Aswad le fit chercher, mais en vain; personne ne put lui donner de ses nouvelles. Au bout de quelque temps, Hârith quitta son ami de Kindah, et après un intervalle de vie errante, alla demander refuge et protection à un homme des Banôu-Idjl-ibn-Loudjaym, nommé Rayyân, qui ne fit point difficulté de le recevoir. Alors les Banôu-Dhouhl-ibn-Thalabah et les Banôu-Ghounm-ibnSchaybân dirent aux Banoû-Idjl (qui étaient comme eux de la tribu de Bakr - ibn -Wâïl): « Débarrassez-nous de ce fugitif; nous ne sommes point de force à lutter contre Schahba et Dawçar» (c'étaient deux escadrons à la solde du roi Noumân, frère d'Aswad ); << nous ne sommes point de taille à soutenir une guerre contre le roi de Hîrah. » Mais les BanoûIdjl persistaient dans leur généreuse intention. Hârith, voyant les Bakrides divisés sur la question qu'il avait fait naître, et ne voulant point être cause d'une scission dans leur tribu, les mit d'accord en s'en allant, et partit pour les deux monts de Tayy, où on lui fit bon accueil. Ce fut alors qu'il prononça les vers suivants :

« Par ma vie, je dois aujourd'hui à ma chamelle de m'avoir porté chez des Tayyides de bon secours, chez des gens qui n'abandonnent point leurs amis à l'heure du danger.

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<< Sur cette montagne dont le sommet est toujours plus haut que le bras qui s'alonge pour l'atteindre, je suis devenu l'hôte et le protégé de la Voie Lactée. »

« Ennemis de Hârith, que pouvez-vous contre lui, à présent que les deux monts de Tayy, Adja et Salmâ, l'affublent de leurs ravins? » Hârith demeura quelque temps chez les Tayyides (tribu yamanique). Cependant Aswad, fils de Moundhir, ne pouvant

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