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atteindre la personne du coupable, fit arrêter des femmes qui avaient joui de sa protection, et ordonna qu'on les transportât ainsi que leurs chameaux sur les terres de son obéissance. La nouvelle de cet enlèvement ne fut pas plus tôt parvenue aux oreilles de Hârith, qu'il descendit de la montagne, se glissa inconnu parmi les gens de la plaine, et s'étant informé du lieu où ses protégées étaient détenues, ainsi que du pâtis où l'on avait mis leurs troupeaux, il vint trouver ces femmes en secret, les délivra, reprit leur bétail, et les rendit à leurs familles avec tout ce qui leur appartenait *.

Ce devoir rempli, il rentra dans le pays occupé par les tribus issues de Ghatafân, et descendit chez un homme de sa propre tribu, nommé Sinân, fils d'Abou-Hârithah, le père du célébre Harim dont le poëte Zouhayr a vanté la générosité.

Or Aswad avait un fils en bas âge, nommé Scharahbîl, qu'il avait donné à nourrir à Salmâ, femme de Sinân, laquelle était de la race des Banoû-Doudân-ibn-Açad. La sollicitude de Salmâ pour son nourrisson était si grande qu'elle ne le confiait jamais à d'autres bras que les siens.

Cependant Hârith, qui avait toujours sur le cœur l'enlèvement de ses protégées par Aswad, profita d'un jour où Sinân se trouvait retenu à quelque distance de ses foyers pour lui emprunter sa selle, que Sinân lui laissa prendre sans se douter de son intention. Hârith, muni de ce meuble, vint trouver la femme de Sinân et lui dit : « Voici ce que dit Sinân : Envoiemoi ton nourrisson par Hârith afin que je le porte au prince, et le conjure par la vie de son fils de pardonner à notre hôte; » -et Hârith ajouta : « Voici la selle de Sinân qu'il m'a dit de prendre et de te montrer pour que tu saches et sois certaine que je viens de sa part. » Salmá n'eut aucun soupçon, et après avoir attifé le jeune prince, le livra à Hârith, qui le

*Voilà sans doute le trait qui aura donné lieu à l'expression proverbiale awfâ mina 'lhârithi 'bni Zhâlimin (plus fidèle à ses engagements que Hârith, fils de Zhâlim), que les Arabes employaient pour caractériser superlativement un homme sur la parole et la protection duquel on pouvait compter avec pleine assurance. Car l'anecdote de Maydâniyy est assez invraisemblable par elle-même; et Abou-Oubaydah, qui nous a transmis toute l'histoire de Harith depuis sa rencontre avec Khâlid chez Aswad, jusqu'à sa mort, ne nous dit pas un mot du fait rapporté par le collecteur de Proverbes.

porta du côté de Scharabbah, et là, lui fendit la tête d'un coup de sabre*. C'est de cet événement qu'il parle dans le vers suivant.

« Crois-tu donc, Aswad, que mon giron est comme le ventre de l'âne que les chiens mordent à leur aise? Crois-tu pouvoir manger mes protégées, et que tout ce qui tient à toi jouira d'une sécurité parfaite? »

« J'ai frappé ton fils au sommet de la tête, à l'endroit où les cheveux se séparent. Aux grands les grands malheurs. Aux enfants de haut lieu les hautes infortunes. »

« Le coup dont je l'ai frappé est comme celui dont j'ai frappé Khâlid. Dhou 'lhayyât (nom de son sabre) a plongé dans leurs deux cervelles. >>

« J'ai commencé par Khâlid dont l'affaire compte pour une. Ton fils fait deux; et je t'en garde une troisième qui fera blanchir plus d'un toupet dans le royaume de Hîrah. »

➡et

Aussitôt après ce second meurtre, Hârith s'éloigna du pays occupé par les tribus de Ghatafân.

du

Aswad ayant appris l'assassinat de son enfant, marcha contre les Dhoubyânides (la tribu du meurtrier), tua des hommes ce qu'il put tuer, enleva ce qu'il put enlever de femmes, d'enfants, de troupeaux, et se jeta ensuite sur les Banoû-Doudân (tribu de la nourrice), qu'il traita de la même manière dans la vallée d'Arîk. Cela fait, comme il passait, à son retour, côté de Scharabbah, sur le territoire des Banoû-Mouhâribibn-Khassafah, il rencontra chez eux les petites sandales de Scharahbil, et jugeant sur cet indice qu'ils n'étaient pas étrangers à la mort de son fils, il les chargea et en prit un certain nombre; puis il fit chauffer des cailloux et dit aux captifs : « Vous aimez les petites sandales, à ce que j'ai pu voir; eh bien, je vais vous donner des petites sandales de ma façon; » et il les contraignit de marcher nu-pieds sur les cailloux brûlants, en sorte que leurs pieds furent rôtis et tombèrent ensuite en pourriture.

Alors Sayyâr, fils d'Amr, fils de Djâbir, de la famille de Fazârah, de la tribu de Dhoubyân, vint offrir à l'Aswad une

*Happy shall he be that taketh and dasheth thy little ones against the

stones. Ps. CXXXVII.

composition de mille chameaux (composition royale), et lui livra son arc en gage de paiement. Sayyâr s'acquitta de la dette qu'il avait contractée, et retira son gage avant le terme d'un an. Il se loue à ce sujet dans les vers suivants :

« J'avais mis mon arc en gage, et je l'ai dégagé en acquittant une dette de mille chameaux, dont j'ai supporté tout le poids;

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« Une dette de dix fois cent chameaux, contractée envers un roi; je l'ai payée, cette dette pour qu'on loue à jamais le nom de Sayyâr, fils d'Amr, de la famille de Fazârah. »

Or ceci eut lieu avant l'engagement de l'arc de Hâdjib'. Le même Sayyâr dit ailleurs :

« Où trouverez-vous un homme qui supporte une charge pareille à celle dont je pris l'endosse, lorsque j'engageai mon arc pour mille chameaux d'élite, »

Promis à un roi en réparation d'un meurtre?-Où trou verez-vous un homme qui, en pareil cas, dégage son arc avant l'année révolue? »

Cependant Hârith, qui avait pris la fuite, se retira chez Mabad, fils de Zourârah, et la protection que lui accorda Mabad fut cause de l'affaire de Rahrahân, dont nous avons donné le récit. Obligé de fuir encore après la déroute des Banoû-Tamim, Hârith alla demander asile aux Qourayschides, qui occupaient la Mecque; et ne doutant pas qu'ils ne lui fissent bon accueil, à cause d'une opinion reçue par certains généalogistes, laquelle identifiait Mourrah, son bisaïeul, avec Mourrah, fils d'Awf, fils de Louayy, fils de Ghâlib, de la tribu de Qouraysch; persuadé sur ce fondement qu'il serait bien reçu, il composa d'avance, en l'honneur des Qourayschides, un poëme où ils sont appelés les amis de Dieu, parcequ'ils avaient la garde de la Kabah (ou Maison de Dieu.) Mais sa Muse s'était trop hâtée. Les Mecquois trouvèrent l'affinité de Hârith ou suspecte ou de peu de valeur (selon l'usage immémorial des citadins quand il leur tombe des parents de la campagne), et jugèrent à propos de lui fermer leurs portes. Il s'en vengea par une satire, et se dirigea sur la Syrie.

Parvenu au lieu nommé Houraybah, il se présenta à Yazîd, fils d'Amr, de la famille royale des Ghassânides 2, qui l'accueillit

avec distinction. Or Yazîd avait une chamelle qui errait en liberté sous sa royale protection, portant toujours un couteau, un briquet et une salière, pendus au cou. C'était une sorte de défi perpétuellement offert aux plus entreprenants du pays, et une épreuve par laquelle Yazîd cherchait à savoir s'il y avait parmi ses sujets un homme capable de le braver. Les trois ustensiles pendus au cou de la chamelle voulaient dire : « Voici un couteau pour m'égorger, un briquet pour allumer le feu qui doit rôtir ma chair, et du sel pour l'assaisonner : tue-moi, si tu l'oses. >>

La femme du réfugié, qui était grosse, vit cette chamelle, et eut envie d'en manger un petit morceau. Hârith, persuadé qu'une envie de femme grosse doit être satisfaite à tout prix, égorgea en secret la chamelle de son protecteur, et servit à sa femme le morceau qu'elle desirait. Cependant on s'aperçut de la disparition de l'animal, et le roi en fut informé. Il envoya querir sur-le-champ un devin de la tribu de Taghlib, nommé Haçan, et lui demanda qui avait osé faire main-basse sur sa bête. Le devin repondit que c'était Hârith, fils de Zhâlim. Le roi ressentit vivement cette injure, mais étouffa son ressentiment, ne voulant point tirer vengeance d'un homme qui s'était placé sous sa protection. Dans cet état de choses, Hârith conçut des soupçons et tua le devin. Alors le roi fit appeler Hârith, et ordonna qu'on le mît à mort. Quoi! s'écria Hârith, ne m'as-tu pas donné asile? Certes, tu ne trahiras pas les droits de l'hospitalité! Je peux bien les trahir une fois, repartit Yazîd, avec un homme qui les a trahis plusieurs fois *, — et il commanda au fils du devin de frapper le meurtrier de son père. Le jeune homme obéit avec joie, et prit possession du sabre de Hârith, qu'il porta ensuite à la foire d'Oukâzh dans les mois sacrés. Là, il eut la bêtise d'en faire trophée et de le montrer à Qays, fils de Zouhayr, qui tua le porteur 3, et prononça l'éloge funèbre de Hârith, fils de Zhâlim, où l'on remarque ces deux vers:

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« O terre! tu n'as jamais enserré les restes d'un homme plus fidèle à sa parole que Hârith fils de Zhâlim, »

Non comme protecteur, mais seulement comme protégé.

D'un héros plus fier, d'un protecteur plus sûr, d'un guerrier plus terrible au milieu de la poussière des combats. »

NOTES.

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'Le narrateur, Abou-Oubaydah, fait allusion au trait historique suivant : « Les Banoû-Tamîm étant en proie à la famine, par suite d'une imprécation lancée contre eux par le prophète Mahomet, Hâdjib, fils de Zourârah, fut délégué vers Kisra Anouschirwân ( Chosroès Ier, roi de Perse*), pour lui demander, au nom de sa tribu, la permission de descendre dans les plaines de l'Iraq. Le roi de Perse dit à l'envoyé : « Qui me répondra de la bonne conduite de tes Arabes ?> ·Moi,» dit Hâdjib. «Et qui me répondra de toi? »> - « Mon arc, que je te laisse en gage.» Un immense éclat de rire accueillit l'offre du Bédouin; mais quelqu'un osa admirer ce qui excitait la risée générale, et dit au roi, lorsqu'il put se faire entendre: «Seigneur, celui qui vous fait cette proposition est un Arabe du Désert; les Arabes du Désert ne trahissent point la foi jurée. » Sur cette observation, le monarque qui était bon prince (Mahomet ne l'appelle pas autrement que le roi juste) accepta le gage du Bédouin, et permit à sa tribu de venir brouter dans la Chaldée.

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Long-temps après, lorsque la verdure, fille des pluies, eut de nouveau déroulé ses tapis dans les déserts de Tamîm, un jeune Bédouin, nommé Outârid (nom païen s'il en fut; c'est celui de la planète de Mercure), se présenta devant le roi de Perșe, et réclama son arc. — « Qui es-tu,» lui dit le roi, « et « de quel arc veux-tu parler? tu ne m'as rien donné en gage. » Je suis," répondit Outârid, « lẹ fils et l'héritier de Hâdjib. Nous t'avons tenu parole: "nous n'avons point dérobé, nous n'avons commis aucun dégât, aucune ❝violence, sur les bords de l'Euphrate: rends-moi donc l'arc de mon père; << rends-moi cet arc sans lequel je ne puis pas reparaître dans ma tribu. « Chosroès le lui fit remettre, et avec l'arc une blouse d'honneur. » L'arc de Hadjib est une des gloires de la tribu de Tamîm; et, comme le nom propre de Hadjib est, dans l'origine, un nom appellatif qui signifie «sourcil,» les poëtes des siècles postérieurs n'ont pas manqué de tirer de «l'arc du sourcil » l'immense parti qu'on tire en Orient d'un bon calembour, depuis cette époque de décadence que les rhéteurs arabes s'obstinent à considérer comme l'âge d'or de leur littérature. Car le calembour, si décrié à Paris, est une des figures de rhétorique les plus estimées en pays musulman. Les concetti auxquels celui-ci a donné lieu n'étaient pas encore épuisés au commencement de ce siècle. Par exemple, le shaykh Abbàs le Yamanite, qui mourut au Caire dans la peste de 1824, voulait dire, après mille autres, quelque temps avant sa mort, que

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« Sa belle tirait vanité de l'arc de son sourcil » (premier hémistiche),

<< Comme la tribu de Tamîm tirait vanité de l'arc de son Hâdjib» (second hémistiche);

* Anachronisme. Ou Mahomet n'est pour rien dans cette famine, ou le Chosroès dont il s'agit est Khosrou Parwiz.

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