Sidor som bilder
PDF
ePub

mais il voulait le dire d'une manière neuve, et renchérir sur ses prédécesseurs. Or il parvint (admirez les progrès du goût et le « march of intellect » chez les poëtes arabes), il parvint à rendre ses deux hémistiches parfaitement égaux, et s'acquit par-là une gloire immortelle. Le procédé au moyen duquel il obtint ce brillant résultat est assurément fort simple; mais il n'y a que les hommes de génie pour trouver les choses simples; - il donna à sa belle le nom de la tribu; il l'appela Tamîm, et dit :

Tihou Tamimin biqawsi hâdjibihâ (premier hémistiche)== = Tîhou Tamimin biqawsi Hâdjibihâ ( second hémistiche), ce qui a l'air d'un truisme, et forme dans la réalité un sens très-rationnel. Si vous montrez ce vers à un géomètre, il vous dira que c'est une identité. Ne le croyez pas : c'est une belle et bonne équation à deux inconnues, dont voici les

racines :

x= tamim

Tamime

Tamimidæ ;

y= hâdjib = supercilium — Hâdjibus ;

les deux premières valeurs de x et de y s'appliquent au premier hémistiche, ― je veux dire, au premier membre de l'équation; et les deux dernières au second. Les quantités connues sont :

Tihou

gloriatio; biqawsi in arcu : há ➡suî; La terminaison in dans Tamîmin, et le second i de hâdjibihâ, sont les marques du génitif. Voyez maintenant si l'équation n'est pas satisfaite par la substitution de toutes ces valeurs : n'aurez-vous pas

"

Gloriatio Tamimes in arcu supercilii sui=(sicut)

Gloriatio Tamîmidarum in arcu Hâdjibi sui?

Après le schaykh Abbâs, il faut tirer l'échelle.

"

Outre la gloire qu'il cherchait, il en a rencontré une autre qu'il ne cherchait pas : il a formulé dans un vers-équation, et probablement sans le savoir, une vérité qui jusqu'à présent n'avait trouvé accès en Europe que près d'un petit nombre d'esprits supérieurs, lesquels encore n'osaient l'avouer publiquement. Cette grande vérité, c'est que la poésie et les mathématiques sont sœurs. Les Grecs ne se sont point mépris en formant des Muses un chœur indissoluble, · et, à défaut de la formule du schaykh Abbas, n'avions-nous pas l'histoire des sciences et de la littérature arabes, d'où jaillissent ces deux faits (et remarquez bien que je deviens sérieux):

Premier fait. Les Arabes sont les plus grands poëtes du monde après Įsaïe et David.

Second fait. Les Arabes sont les inventeurs de l'algèbre, ou du moins les premiers qui l'aient importée de l'Inde.

Quand je dis que les Arabes sont les plus grands poëtes du monde après les poëtes sacrés, j'entends les Arabes du paganisme ou du premier siècle de l'hégire; car, pour ceux des âges suivants, ils ont à mes yeux un défaut énorme : ils ont beaucoup trop d'esprit. La poésie ne peut faire de l'esprit qu'aux dépens de sa dignité; c'est une ressource qui la dégrade, et qu'elle doit abandonner à la vile prose. Je reconnaîtrai même qu'à l'époque où l'algèbre fut inventée, où l'alchimie fit son apparition, où le premier alcool fut distillé dans le premier alambic en un jour le plus néfaste, sans doute, du premier almanach, j'avouerai qu'à cette époque la poésie commençait à décliner; mais cela n'infirme en aucune manière ma proposition, vu que c'est le même

-

organisme physique et intellectuel qui a produit d'abord les beaux poëmes du Désert, et ensuite les belles découvertes des collèges scientifiques de l'islâm.

2 Les Ghassanides étaient les lieutenants des Césars sur la lisière septentrionale ou syrienne du Désert, comme les rois de Hîrah des Chosroès sur la lisière orientale ou chaldéenne. Les uns et les autres étaient d'origine yamanique. Je ne trouve point le nom du roi Yazîd dans la liste des rois de Ghassân que Pococke a donnée, et je n'hésiterais pas à en conclure que cette liste est incomplète, n'était que les Arabes d'autrefois donnaient le titre de malik, non-seulement aux rois ou vice-rois, mais aux frères et aux fils de rois. Exemple: Aswad, frère du roi Noumân-ibn-Almoundhir, lequel frère n'a point régné, et porte cependant le titre de malik (roi) dans les vieilles traditions. Le proverbe « si ce n'est toi, c'est donc ton frère, » est en Orient d'une application perpétuelle.

"

3 On voit par cet exemple que la loi qui interdisait le meurtre dans les mois sacrés n'était pas toujours respectée. Dans le cas dont il s'agit, l'impunité de Qays s'explique jusqu'à certain point par l'élévation de son rang. Il était du nombre de ces chefs puissants que les Arabes appelaient rois (mouloúk; sing. malik).

PREMIÈRE JOURNÉE DE HAWRAH.

Une querelle avait éclaté à Oukâzh entre Mouâwiyah, fils d'Amr, fils de Scharid, de la tribu de Soulaym, et Hâschim, fils de Harmalah, de la tribu des Mourrah-Ghatafân. C'était pendant les mois sacrés; il fallait alors s'en tenir aux injures. Une portion du dialogue amer des deux héros a été conservée par le Râwi:

-<< Par Dieu, disait Mouâwiyah, j'aurais bien du plaisir à entendre ton éloge de la bouche des pleureuses. »

→ Pas plus que je n'en aurais, repartit Hâschim, à oindre de boue cette humide chevelure. »

(Il y a dans le texte « cette humide; » et le narrateur nous apprend que Hâschim entendait par cette désignation la longue et belle chevelure de Mouâwiyah, parcequ'elle ruisselait toujours d'eaux et d'huiles odoriférantes.)

Après l'expiration de la période sacrée, Mouâwiyah se mit en devoir de faire la guerre à Hâschim, et déclara sa résolution à son frère Sakhr, qui tâcha de l'en détourner. — « J'ai un pressentiment funeste, disait-il à Mouâwiyah; si tu t'obstines à marcher contre les Mourrides, quelque chose me dit que tes longs cheveux s'accrocheront aux épines de l'ourfout (espèce de gommier). » — Mouâwiyah ne l'écouta point, et partit à la tête de ses

cavaliers. La rencontre des Soulaymides et des Mourrides eut lieu à Hawrah.

Au moment où les deux armées allaient en venir aux coups, l'œil de Hâschim, fils de Harmalah, distingua Mouâwiyah parmi les ennemis, avant que Mouâwiyah n'eût reconnu Hâschim. Ce dernier avait été malade depuis la foire d'Oukâzh, et se trouvait actuellement en convalescence; il dit donc à son frère Dourayd: « Si Mouawiyah m'aperçoit, j'aurai un rude choc à soutenir pour un homme qui relève de maladie ; c'est à toi de te montrer, et de l'attirer, de manière à le placer entre nous deux. -« Bien, » dit Dourayd; et il fit une pointe sur Mouâwiyah, qui y répondit aussitôt en le chargeant tout de bon; Dourayd ne l'attendit point, et battit en retraite, poursuivi par le Soulaymide *. Hâschim profita de cet instant pour fondre sur son ennemi et l'attaquer parderrière. Celui-ci fit volte-face, et les deux auteurs de la guerre échangèrent simultanément deux coups de lance, dont l'un perça Mouâwiyah près de l'épaule, et l'autre désarçonna Hâschim et le jeta par terre. Hâschim perdit en tombant les rênes de sa jument Schammâ, qui détala. Mais Dourayd revint alors à la charge, et après avoir démonté Mouâwiyah d'un coup de lance, lui fendit la tête avec son sabre.

Sur ces entrefaites, un autre engagement avait eu lieu avec un succès inverse, entre Khoufâf, fils d'Amr, de l'armée soulaymide, et Mâlik, fils de Hârith, de la famille de Fazârah. Le premier avait chargé et tué le second.

Or Schammâ, jument de Hâschim, ayant détalé comme il a été dit, entra dans l'armée des Soulaymides, qui s'en emparèrent, et ne doutèrent point que ce ne fût la cavale du Fazâride que Khoufâf avait tué. Ensuite, les deux armées mirent fin au combat, et les Soulaymides revinrent trouver leur chef Sakhr, frère de Mouâwiyah.

« Je

En l'abordant, les cavaliers lui souhaitèrent le bonjour. vous rends souhait pour souhait, répondit Sakhr; qu'a fait Mouâwiyah? »

[merged small][ocr errors][merged small]

— « Et d'où vient cette jument? » (montrant Schammâ.)

Cedere loco (arabicè farr) dummodo rursus instes (arabicè karr) consilii quàm formidinis arbitrantur. VI.

« Nous avons tué celui qui la montait. >>

- En ce cas vous êtes vengés; c'est la jument de Hâschim, fils de Harmalah. »

Lorsqu'on fut entré dans le mois de Radjab (mois sacré, et le plus inviolable de tous dans l'opinion des Arabes), Sakhr, fils d'Amr, alla rendre visite aux Banoû-Mourrah, monté sur la jument Schammâ. Du plus loin qu'il le vit, Hâschim dit aux siens : « Voici venir Sakhr; saluez-le, et accueillez-le avec de bonnes paroles. » Or Hâschim souffrait encore des suites du coup de lance qui l'avait démonté.

Étonné de voir au milieu des vivants celui qu'il croyait mort depuis l'affaire de Hawrah, — « Qui donc a tué mon frère? » leur dit Sakhr.-Point de réponse. « A qui appartenait la jument que je monte? » - Point de réponse... Enfin Hâschim rompit le silence :

[ocr errors]

Viens, Abou-Hassân (c'était le surnom de Sakhr), viens près d'un homme qui va te donner les renseignements que tu desires.»

Sakhr dit encore une fois : « Quel est celui qui a tué mon frère?»

Hâschim lui répondit : « Quand tu auras atteint d'un bon coup de lance ou moi ou Dourayd, tu seras vengé. »

- « Et l'avez-vous enseveli? »

---

« Oui, sans doute, répondit Hâschim, et dans un double linceul du prix de cinquante jeunes chamelles. »

— « Montrez-moi sa tombe. >>

On l'y mena.

Quand Sakhr fut auprès du tombeau de son frère, il perdit contenance et se mit à pleurer. Remarquant aussitôt sur les visages environnants des signes non équivoques d'étonnement et de mépris,‚— « Vous avez l'air de condamner mes larmes, s'écriat-il; mais si l'on vous disait que depuis que j'ai l'âge de raison, je n'ai pas passé une nuit autrement qu'en vendette active ou passive, avec ou sans possibilité de satisfaction... Si l'on vous disait que depuis la mort de Mouâwiyah, je n'ai pas goûté une heure de sommeil... que penseriez-vous de moi?— Eh bien, j'en jure par Dieu; c'est la vérité. »

SECONDE JOURNÉE DE HAWRAH.

De retour dans sa tribu, Sakhr ne songea plus qu'à venger le sang de son frère, et voici le stratagème dont il usa pour cet effet:

La jument Schammâ, qu'il montait habituellement depuis la mort de Mouâwiyah, avait pour signalement une étoile et des balzanes. Elle était d'ailleurs renommée pour sa vitesse. Sakhr partit un jour sur une autre monture pour le canton des BanoûMourrah, suivi de Schammâ, qu'il faisait conduire en laisse afin de ménager ses forces. Un peu avant d'arriver au camp des Mourrides, il mit pied à terre, peignit en noir le front et le bas des jambes de Schammâ, et l'ayant montée se dirigea seul vers le camp ennemi.

Une fille de Hâschim, le voyant venir, dit à son oncle Dourayd:

"

[ocr errors]

Qu'est devenue Schammâ, notre jolie cavale? »

« Elle est aujourd'hui dans la tribu de Soulaym.

[ocr errors]

Voyez donc comme celle-ci lui ressemble, » dit la jeune fille en dirigeant son doigt vers la monture de Sakhr.

Dourayd reposait, couché devant sa tente. Il leva la tête, et tourna les yeux du côté indiqué par sa nièce.

- « Cette jument, lui dit-il, est d'un seul poil; Schammâ n'at-elle pas étoile et balzanes? >>

Et il reprit l'attitude du repos.

Quelques instants après, la mort avait frappé Dourayd, et Sakhr était déja hors de la portée des Banoû-Mourrah.

MORT DE SAKHR.

Dans une expédition contre les Banoû - Açad, Sakhr, fils de Scharîd, reçut un coup de lance dans le côté. Il n'en réussit pas moins à enlever les chameaux des Açadides (c'était le but de son expédition); mais cette proie lui coûta cher. Sa blessure était mauvaise, et lui causait une douleur cuisante. Il languit environ un an dans un état qui empirait tous les jours, tant qu'à la fin sa propre femme le prit en aversion. Il l'entendit une fois, de son lit de dou

« FöregåendeFortsätt »