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AVERTISSEMENT.

En commençant la lettre que l'on va lire, je ne m'attendais pas à en être le porteur et l'éditeur; mais le nombre et l'intérêt des matériaux que j'ai recueillis au moment où je la croyais achevée m'ayant conduit à en faire un véritable mémoire historique, je reviens à Paris, après cinq années d'absence, pour en surveiller l'impression. Je la présente comme le premier tableau d'une galerie dont il m'est impossible de mesurer la grandeur et dont je ne verrai probablement pas la fin; car, en traduisant et illustrant les manuscrits que je possède, j'aurais de quoi faire bien des centaines de lettres comme celle-ci sur l'histoire ancienne des Arabes,—et malheureusement pour moi je ne puis pas travailler seul. Les textes sur lesquels je m'exerce sont en général trop défectueux, trop hérissés de difficultés, et mes études arabes sont de trop fraîche date, pour que je me permette d'offrir au public le produit d'un effort isolé. Mon schaykh lui-même, qui est assurément le second philologue de la mosquée Alazhar, s'il n'en est pas le premier, mon schaykh lui-même s'est trop souvent mépris dans l'interprétation des textes antiques pour que je lui accorde une foi implicite. De quel droit oserais-je donc réclamer pour moi la confiance que je refuse à l'un des premiers oulama du Caire? Mais en combinant nos efforts, mais en exerçant l'un sur l'autre un contrôle perpétuel, nous pouvons certainement obtenir des résultats de quelque valeur. Maintenant, nous sera-t-il donné de travailler toujours par indivis sous le soleil d'Égypte ou les nuages de Paris?—Voilà la tion de sa solution dépend le succès de notre entreprise.

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Une association de Lettrés européens et musulmans serait un bienfait immense et pour nos études orientales et pour la civilisation de l'Afrique et de l'Orient.

En pays musulman, les Lettrés (mascháyikh, oulamá, fouqaha) sont les hommes qui possèdent la confiance du peuple; ce n'est donc que par eux qu'on doit espérer de le civiliser. Or je puis affirmer que la fleur de la jeunesse d'Alazhar (le premier des collèges musulmans, omnium consensu) est mûre pour les doctrines européennes, et le peu de succès des innovations du pacha d'Égypte tient en grande partie à ce qu'il n'a pas pu envoyer à Paris tous les premiers sujets de ce collége. Il ne l'a pas pu, parceque les élèves de l'Azhar jouissent d'une certaine indépendance, de certaines immunités, qui leur sont plus chères que les richesses, et qu'ils eussent perdues en se mettant au service du Pacha. Mais qu'un voyageur français, sachant s'exprimer dans leur langue, leur propose le voyage de Paris à ses frais, comme partie de plaisir, comme une promenade sur le Nil de Boulâq à Raudah, sans engagement ultérieur et avec promesse de les ramener,―je vous réponds que les plus intelligents accepteront la proposition.— D'où vient la supériorité du schaykh Rifâah sur ses compagnons de voyage? d'où vient que son nom est déja européen? Cela vient de ce que le schaykh Rifâah avait fait de bonnes études arabes avant de songer aux études françaises; le schaykh Rifâah était déja un lettré lorsqu'il vint étudier nos lettres. Les autres étaient, pour la plupart, des jeunes gens sans instruction. Quelques-uns, je le sais, ont fait des progrès remarquables dans nos sciences; mais comment pourront-ils les accréditer, ces sciences si ardemment et si justement souhaitées, comment pourront-ils les accréditer en Égypte, s'ils ont oublié l'arabe, s'ils ne l'ont jamais su, s'ils peuvent à peine transmettre leurs idées dans leur propre idiome? J'en suis plus convaincu que jamais, après quatre ans et demi de séjour en Orient ce qu'on appelle humanités, études classiques, est la base de toute éducation libérale, de toute civi

lisation, et chacun doit avoir fait ces études-là dans son pays et dans sa langue avant de prétendre à quelque chose de mieux. Les sciences les plus simples ne peuvent se communiquer que par la parole, et pour les faire comprendre, aimer, respecter, il faut posséder toutes les ressources de la parole.

Quant à nos études orientales, il est évident qu'elles ont tout à gagner d'une communication régulière avec les hommes de l'Orient qui savent un peu l'arabe littéral, c'est-à-dire l'arabe des livres (différent de la langue parlée, car les peuples de l'Orient ont ce malheur de ne point écrire comme ils parlent, et c'est là un des plus grands obstacles à leur civilisation). J'avoue que cette classe d'hommes est tombée, par suite de la tendance exclusivement européenne du gouvernement turc, dans un état d'ignorance relative, extrêmement déplorable. Mais, à l'exemple de mon schaykh, ces lettrés avilis, appauvris, peuvent se relever; mais, tout dégradés qu'ils sont, ils peuvent encore nous donner la clef d'une multitude de difficultés qui n'en sont pas pour eux. Par exemple, quoiqu'ils ne connaissent ni leur propre histoire, ni leur propre littérature (car le schaykh Alattâr est mort), ils savent bien la valeur des termes techniques employés dans leurs écoles, ils savent bien leur droit canonique, civil, politique, etc.; c'est précisément ce que nous savons le moins. Ils ont sous les yeux, depuis leur enfance, un nombre infini d'objets qui ne se trouvent point en Europe, et qui ont un nom en arabe, quoiqu'ils n'en aient pas en français; ils peuvent nous les montrer, nous les décrire; ils peuvent nous donner le sens de plusieurs locutions usuelles qui se rencontrent dans leurs livres, mais ne sont point expliquées dans leurs lexiques, précisément parcequ'elles sont usuelles. La France, j'en conviens, s'enorgueillit à bon droit d'un savant privilégié qui n'a pas besoin de ce secours, et je reconnais avec l'Europe, l'Asie et l'Afrique, que M. le baron Silvestre de Sacy a compris l'Orient du fond de l'Occident; mais combien comptezvous de Silvestre de Sacy par siècle?

Pour atteindre ce double but de la diffusion des études orientales en Occident et des études occidentales en Orient, je ne vois qu'une seule marche à-la-fois sûre et rapide : il faut que les savants d'Europe, qui s'intéressent un peu au monde musulman, visitent l'Asie et l'Afrique dans l'âge où ils peuvent encore apprendre une langue nouvelle, et qu'après avoir passé quelques années de leur vie à l'étranger, ils amènent en Europe, pour leur en faire les honneurs et les initier à un nouvel ordre d'idées, ceux des Lettrés de l'Orient chez lesquels ils auront découvert des talents réels.

Paris, juillet 1836.

PREMIÈRE LETTRE.

A MONSIEUR BENJAMIN DUPRAT, A PARIS.

MON CHER DUPRAT,

Le Caire, janvier 1836. OF
CALIFORNIA

Peu de temps avant mon départ pour la Haute-Égypte en janvier 1835, un Syrien de mes amis, M. Fâris Schidyâq, avait entrevu sur le divan du schaykh Ezbékâwî (l'un de nos poëtes modernes) un commentaire du Lâmiyyat alarab, attribué à Mouhammad, fils de Yahyâ, surnommé Moubarrid. Comme il me restait encore des doutes sur le sens de plusieurs vers du poëme de Schanfara, je priai M. Fâris de faire tout ce qui dépendrait de lui pour se procurer une copie du manuscrit que le hasard lui avait fait rencontrer. J'ai été assez heureux pour trouver cette copie faite à mon retour, et pouvoir ensuite la collationner avec l'original.

Il faut avoir médité durant des années sur une question de physique ou de philologie, pour savoir avec quels battements de cœur on ouvre le livre où la solution est écrite, que ce soit le livre de la nature ou celui de la tradition. Si vous aimez la vérité de toute votre âme, vous lirez avec le même bonheur l'arrêt qui confirme une partie de vos conjectures et celui qui rectifie l'autre ; c'est ce que j'ai éprouvé. Au reste, quelque anciennes que soient les gloses que je viens de consulter, je suis loin d'accepter toutes les décisions de leur auteur. Il y a du fort et du faible dans tous les scoliastes arabes que j'ai interrogés, et c'est toujours moi, comme de raison, qui juge en dernier

ressort.

Je puis donc aujourd'hui, grâces à la complaisance de M. Fâris et des modernes Oudabâ (littérateurs), présenter au public européen une nouvelle édition, revue et corrigée, de ma traduction du Lâmiyyat alarab. Possesseur de deux commentaires

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