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même la transaction de l'école écossaise, entre le spiritua lisme pur et la doctrine de la simple sensation, n'auraient pas trouvé en lui un adepte. Il avait étudié et approfondi tous les auteurs qui ont traité de l'économie politique, et ses réflexions ont été consignées dans quelques fragmens qu'on a dû retrouver après sa mort.

Ces travaux sur les sciences positives avaient absorbé ses premières années, et laissé peu de place à l'étude des arts d'agrément. Il lui vint enfin à l'esprit d'étudier la musique; mais sa fortune ne lui permettait pas de prendre un maître, et d'ailleurs, il avait appris tant de choses dans les livres qu'il crut pouvoir y trouver aussi le germe de la science qu'il voulait se rendre familière. Quel ne fut pas son étonnement, lorsqu'il chercha, dans les traités soi-disant élémentaires de musique, des principes déduits les uns des autres et dérivant d'abord de faits constatés par des expériences faites avec soin? Il demande à ces livres un ensemble systematisé de vérités, avec l'indication des moyens de constater l'exactitude des énoncés, de faire servir une acquisition intellectuelle à d'autres conquêtes ; il ne trouve, au lieu d'une science, qu'un pêle-mêle d'affirmations jetées ça et là, sans discernement et sans liaison, des articles de foi imposés à la croyance des néophytes, sans preuves comme sans explications, et, à la suite de ce chaos, un assemblage de points noirs qu'on lui dit renfermer tout ce qu'il faut savoir en musique. Surpris de trouver, pour la première fois, son intelligence en défaut, il aime mieux accuser les bornes de son esprit que l'obscurité des livres ; il lit de nouveau, il réfléchit, et cette capacité, que n'ont point trouvée rebelle les spéculations les plus abstraites des nombres et des théories économiques, ne peut arriver à comprendre cette proposition : une ronde VAUT deux blanches, une blanche VAUT deux noires. Le moindre écolier conçoit cela, dira-t-on; voici pourtant qu'une tête jetée dans le même moule que celle de Pascal est arrêtée devant ces mots. Galin (et je tiens ce fait de sa bouche) prend son compas,

mesure la surface de la ronde et celle de la blanche, il compare la blanche aux deux noires, et sa perplexité s'augmente à mesure qu'il examine. Le voici qui les rapproche d'une autre manière, il découpe ces figures, les pèse au trébuchet, et ne trouve, au bout de ses tentatives, que le dépit de ne pas comprendre. Il faudra que six mois plus tard, assis le soir près de son foyer, et cherchant à trouver les notes de la gamme qui forment l'air populaire : j'ai du bon tabac, puis les récitant de manière à reproduire ce chant : ut, rẻ, mi, ut, rẻ, rẻ mi, fa fa, mi mi, il remarque que le deuxième ré passe moins rapidement dans la prononciation que le premier et le troisième; que les deux premiers mi sont prononcés chacun, en moins de temps que le troisième et le quatrième, et voilà notre penseur qui, s'il était au bain, renouvellerait la folie sublime d'Archimède, et courrait sans vêtement par la ville, en criant: j'ai trouvé! Et pourquoi ce long doute ? parce que les mots ont été mal employés par des auteurs qui ont compté sur les sous-entendus pour être compris, et qui ont formulé leur code des durées en termes qui signifient autre chose que la mesure du temps.

Trouvant les livres insuffisans pour le guider, Galin songe à demander du secours à un instrument: il achète une flûte, et s'évertue à reconnaître les sons produits par les combinaisons du doigter, puis à reproduire quelques airs qui sont restés dans sa mémoire. Il s'aperçoit bientôt que, selon que le point de départ du même air est plus haut ou plus bas, le doigter change, bien que les rapports des sons entr'eux restent les mêmes. Aussitôt qu'il a reconnu ce fait, il ne veut plus d'un intermédiaire qui lui donne des sons absolus; ce sont des relations qu'il lui faut ; il veut une langue uniforme pour la même idée; sa flûte est brisée, et désormais, sa voix seule combinant sous mille formes les syllabes de la gamme, il s'élève, à force d'essais et de comparaisons, à la découverte des propriétés des sons dans la mélodie. C'est en entendant revenir les mêmes suc

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cessions de mots dans des airs différens, ou dans des phrases dont l'effet n'est pas identique, qu'il distingue deux circonstances dans le chant, le rhythme et l'intonation; c'est alors que, remarquant le retour périodique d'un son plus intense que les autres, il découvre la division de la durée en mesures, la subdivision de celles-ci en unités, des unités en moitiés, en tiers, en quarts, etc., et qu'enfin, il devine ce que veulent dire ces mots : une ronde vaut deux blanches.

Quand il a mesuré assez de sons et de durées pour avoir la conscience des faits primordiaux de la musique, il reprend les livres, et cette fois il traduit, à l'aide de ses propres observations, ce que leur langage a d'incomplet ou d'obscur; puis, frappé de l'idée que la route qui l'a conduit au but peut être ouverte à tous, il conçoit le plan d'un ouvrage qui doit n'être, pour ainsi dire, que l'histoire de son éducation par lui-même. Pour se convaincre qu'il a surpris un des grands secrets de l'organisation humaine, il tente sur des intelligences toutes neuves des expériences analogues à celles qu'il a faites sur sa propre pensée, et le besoin d'une communication rapide et certaine lui fait trouver une portée muette, sur laquelle sa volonté se tracera à mesure qu'il lui conviendra de la manifester; il observe curieusement l'action qu'il exerce sur ses jeunes élèves, rectifie certains procédés, en imagine d'autres, et amène sa doctrine au point de pouvoir présenter autant de preuves. de fait que d'argumens rationnels.

Avant de publier un traité de musique élémentaire auquel il compte consacrer plusieurs années, Galin, par une inspiration providentielle, trace à la hâte le plan général de la réforme qu'il projette, et ce qu'il donne comme de simples aperçus compose un des plus beaux ouvrages qu'ait produits le génie de l'homme. Ce n'est point par l'éclat d'un style ambitieux qu'il cherche à recommander sa doctrine, son expression ne vise qu'à peindre nettement la pensée fondamentale de son enseignement; mais aussi quelle force dans ces raisonnemens si bien enchaînés, dans ce

récit naïf des épreuves auxquelles ont été soumis ses jeunes. élèves! Quel lecteur ne se rendra pas à l'évidence de ces preuves si clairement exposées ?

Un esprit méthodique a compris Galin, et le concours de M. Mainebeau qui reste chargé de soutenir la méthode dans la ville où elle a pris naissance, permet à l'inventeur de venir chercher à Paris la perte des illusions dont il s'était bercé. Dépourvu de la qualité la plus nécessaire pour réussir dans ce que la simplicité de quelques niais appelle le monde savant, il arrive avec peu de savoir-faire et beaucoup de savoir. Long-temps inconnu de tout ce qui n'est pas son petit auditoire de la rue Notre-Dame-des-Victoires, il se demande ce qu'est devenu cet avenir de célébrité qu'il a rêvé dans tant de veilles laborieuses, il doute de lui, et n'ose plus compter sur le jour de la justice. Enfin, l'ascendant irrésistible du génie va l'emporter, sa réputation franchit la sphère étroite de sa modeste académie, et ce Platou de la musique va être révélé à l'univers par deux des journaux les plus répandus. Mais la nullité envieuse veille déjà depuis long-temps; un homme, dont les publications postérieures à celles de Galin ne permettent guère de douter qu'il n'ait largement profité des découvertes de son devancier, est instruit de la réparation qui se prépare. Il court au journal de l'opposition, demande «< comment » les principes libéraux s'accommoderont avec le panégyrique d'un homme du 12 mars, d'un des plus fougueux champions de la duchesse d'Angoulême, d'un royaliste quand même; » puis, du même pas, il va près de la feuille royaliste prévenir le scandale que doit causer un journal bien pensant faisant l'apologie d'un • libéral effréné que la vio

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lence de ses opinions a fait chasser de la cité fidèle, dévouée » avant tout aux Bourbons, » et le même jour la corbeille des rebuts du Constitutionnel et du Journal des Débats reçoit le compte-rendu des travaux de Galin.

Cependantses disciples entraînent à ses cours de nouveaux prosélites, l'évidence des faits parle trop haut pour que la vé

rité reste désormais étouffée. Alors l'esprit de spéculation songe à exploiter la mine nouvelle qui vient d'être ouverte. Un homme se présente à Galin comme un chaud partisan de ses idées ; il offre au savant son activité pour donner à l'enseignement plus de publicité; Galin doit être la tête, lui, le bras, il se contentera du rôle modeste d'agent de la pensée du maître; celui-ci, délivré des mille petits soins qu'il faut s'imposer pour se mettre en évidence, pourra se livrer à ses recherches favorites, rassembler et classer les matériaux de son grand ouvrage; il n'aura qu'à surveiller et à diriger le moniteur intelligent qui se dévoue à lui comme les apôtres au Christ, et qui affrontera s'il faut le martyre pour la foi nouvelle. Galin le présente à ses élèves, (j'étais alors du nombre) comme son futur suppléant; il lui expose dans des conférences particulières quelques-unes de ses vues, et quinze jours sont à peine écoulés, que la portée muette de Galin, entourée d'un cadre différent, est donnée effrontément par le contrefacteur comme son invention; jamais, dit-il, il n'a connu Galin, seul il a trouvé une méthode; il ment, il n'a volé qu'un tableaų; il barbouille une enseigne avec le pinceau dérobé à Raphaël; mais il n'est pas peintre; et bientôt, voulant publier livre contre livre, comme il a élevé autel contre autel, il donne la mesure de sa profonde nullité à titre de créateur d'un système d'enseignement.

Galin ne doit pas vivre assez pour lire cet ouvrage que son plagiaire n'aurait peut-être pas exposé à une critique dont il connaissait la portée; sa frêle constitution, usée par des travaux sans nombre, minée par une maladie organique a reçu la plus rude atteinte. Se voir contester la propriété de la science qu'il a créée! échanger contre la perspective d'un débat judicaire cette existence honorée qu'il attendait comme prix de tant d'efforts! J'ose affirmer que le chagrin d'avoir aussi mal placé sa confiance, entra pour beaucoup dans les progrès rapides que son mal fit depuis cette époque.

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