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D'UNE

NOUVELLE MÉTHODE

POUR

L'ENSEIGNEMENT DE LA MUSIQUE.

Préliminaire.

QUAND je travaillais à créer une Méthode d'enseignement pour la musique, parce qu'il n'en existe point, j'étais loin de présumer qu'elle acquerrait quelque importance; encore moins que je me trouverais engagé moi-même dans ce genre d'instruction où paraissent avoir si peu de part les sciences exactes dont je me suis toujours occupé.

Toutes mes vues aboutissaient à composer un Traité élémentaire de musique, une exposition vraiment analytique des principes de cet art, qui pût servir aux maîtres à réformer eux-mêmes leur mode d'enseignement, vicieux sous tant de rapports; mais, comme je ne m'abusais point sur la difficulté qu'il y aurait à le leur faire agréer, quel que pût être d'ailleurs son mérite que je ne m'exagérais pas non plus, je n'y ai travaillé que faiblement, m'y mettant quelquefois avec ardeur,

comme s'il devait être grandement utile, et bientôt l'abandonnant, découragé par l'dée que ma faible voix ne serait pas entendue.

Je raisonnais en moi-même : un Traité élémentaire sur la musique, disais-je, est un livre inconnu aux bibliothèques. Ainsi, par ce titre que voudra-t-on entendre? des solféges, sans doute, tels qu'il en existe à foison. Cependant, j'y traiterai la musique à la manière des sciences exactes, par la méthode de déduction; je pourrai être entendu des savans. Mais qu'importe que je le sois d'eux? les savans ne font pas autorité en musique.

La musique renferme pourtant une science, disais-je encore, puisqu'elle est un art soumis à des lois physiques qu'il ne faut qu'observer et recueillir pour en composer un corps de doctrine. Oui, sans doute, il y a une science dans la musique, et une science de laquelle l'art doit dépendre; mais ne prendra-t-on pas cela pour un paradoxe? A la vérité, M. de Destutt-Tracy, dans sa logique, a dit formellement qu'un art dépend toujours d'une science; que c'est la science qu'il faut créer pour procéder avec méthode, et qu'ensuite on en tirera facilement des conséquences utiles pour la pratique. M. de Tracy a bien eu raison de le dire, même en termes généraux ; mais, si je le répète en termes particuliers pour la musique, ne dois-je pas craindre d'être contredit?

Dans bien des momens de pareilles réflexions, j'aurais volontiers livré mes idées à quelque musicien de renom, qui aurait eu plus que moi le

crédit de les faire valoir; car j'avais toujours devant les yeux les peines infinies que se donnent ceux qui veulent apprendre un peu de musique, et je sentais la possibilité de les faire finir.

D'un autre côté, en considérant le grand nombre de livres qu'on a écrit sur cet art; en voyant que tous traitent de l'harmonie et supposent des idées acquises en mélodie, qui ne sont exposées nulle part, j'avoue que je me défiais beaucoup de mes idées préliminaires, parce que je n'en pouvais pas concilier l'importance avec le peu de cas qu'on en paraît faire généralement, ou avec l'oubli dans lequel on les laisse. Si elles avaient du prix, disais-je, nos grands musiciens ne les auraient-ils pas employées? ou bien peut-on croire qu'elles ne se soient pas présentées à leur esprit?

C'était pourtant l'un ou l'autre. Alors, je n'eus qu'un parti à prendre pour me déterminer; ce fut de balancer des noms fameux en musique par des noms imposans en philosophie; je le fis : Bacon, Descartes, Locke, Condillac, Destutt-Tracy, furent mes enseignes, et je pus me livrer à mes idées les plus chères sans scrupule et sans orgueil. L'un me disait le doute est le premier pas vers la vérité; l'autre, qu'il faut se faire des idées exactes de la valeur des mots, sans quoi l'on ne voit que confusion et disputes; celui-ci, de bien examiner l'ordre de la génération des idées, et de s'y conformer dans toute exposition de matières; celui-là, de recueillir des faits nombreux et variés, d'examiner ce qu'ils renferment, et de n'admettre

que

F

pour vrai que ce qu'on en voit sortir..... Avec de tels principes, si je les comprenais bien, la musique se présentant à mes recherches comme un champ tout neuf à défricher, pouvais-je n'y pas faire d'heureuses cultures? Tout autre que moi les eût faites de même; l'esprit du siècle est trop avancé pour que la découverte pût tarder long-temps.

Il n'était donc pas si mal-aisé de la faire; il l'était beaucoup plus pour moi de la faire recevoir, et je n'aurais jamais osé l'espérer ou l'entreprendre, si je n'avais considéré que mes propres forces; mais bientôt je vis que je devais tout attendre de l'époque seule où je me trouve heureusement placé. En effet, aujourd'hui tous les esprits sont ouverts aux vérités nouvelles, ou, si l'on veut, aux nouvelles applications d'anciennes vérités : les découvertes extraordinaires se succèdent si rapidement depuis un quart de siècle, qu'on n'ose presque plus croire à l'impossibilité d'aucune. L'amour de la vérité est devenu une vraie passion; l'ancienneté des erreurs ne les rendant pas plus respectables, on peut les attaquer sans ménagement; et personne ne se croyant plus intéressé à les défendre, chacun, dès qu'il les voit signalées, se dispose à les bien examiner. Comment la vérité ne sortirait-elle pas du concours de tant d'examens? Cette tendance générale des esprits est donc extrêmement favorable au progrès des lumières et des découvertes, en même-temps qu'elle en est la suite inévitable; d'ailleurs, elle ne peut effaroucher

que l'erreur ou la mauvaise foi, qui sont deux si grands fléaux pour la société.

Ainsi, j'avais lieu de croire que mes idées seraient examinées soigneusement, si toutefois je les présentais appuyées d'un résultat utile. Il ne me fallait plus que les mettre moi-même à exécution; c'est ce que j'ai fait avec d'autant plus d'espoir de succès, que j'avais sous les yeux un exemple encourageant: je veux parler de la révolution opérée en chimie de nos jours. Ne sait-on pas qu'elle est due à l'exacte application des mêmes principes? Qu'on lise la belle préface de Lavoisier, à la tête de ses Elémens de chimie, on y verra signalées les grandes idées de Condillac et de Bacon, comme étant le fil d'Ariadne qui doit nous tirer en tous temps du labyrinthe des erreurs.

Je déduisis donc promptement de mon système ses conséquences pratiques; je disposai mes moyens, je les mis autour de moi en action. Le succès a répondu complètement à mon attente, et mes concitoyens ont vu avec étonnement les effets que je vais décrire.

De jeunes enfans de sept à neuf ans ont pu chanter au bout de huit mois, à livre ouvert, une classe étendue de morceaux de musique dans tous les tons, tous les modes, et à toutes les clefs; un autre élève de l'âge de douze ans, dont, par conséquent, l'intelligence est plus affermie, a pu faire les mêmes choses au cinquième mois, et si une pièce de musique renferme de vraies difficultés ; trois ou quatre lectures consécutives les mettent

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