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dans les êtres et particulièrement dans l'homme, c'est le moteur secondaire du développement harmonique des êtres dans l'ordre physique et dans l'ordre moral.

en

Pour bien comprendre cette idée, les philosophes chinois l'analysent avec un grand soin en considérant la Nature, elle-même, dans son essence et dans son principe ou en acte au sein des êtres.

Toute l'école confucéenne, pose d'abord, comme une vérité indiscutable, que tout vient du Ciel; le Ciel est le principe premier de toutes choses, la nature en vient comme le reste. Pour connaître très exactement le sens du mot « Nature », il semble qu'il nous faudrait définir d'abord ce que les Chinois entendent par le Ciel, et rouvrir ici d'interminables discussions; mais cela n'est pas nécessaire, il suffit à notre démonstration de considérer le Ciel, comme le premier principe des choses, sans plus, ainsi que le font ordinairement tous les auteurs chinois.

« Le Ciel, nous dit Tchou-hi, le plus renommé des commentateurs, au moyen de la force en puissance et en acte dans la matière, au moyen des cinq éléments crée tous les êtres; la matière employée pour former les corps visibles ainsi que le principe immatériel formel, viennent l'un et l'autre du Ciel1» et plus loin il ajoute que la nature est une seule et même chose que ce principe immatériel.

Les commentateurs les plus récents tiennent le même langage. Une glose très complète et très étendue, due aux travaux de plusieurs lettres et qui figure dans la grande édition officielle des Seu-Chou publiée en la 8° année de l'Empereur actuel, Koang-Siu, nous fournit à cet égard de précieuses indications sur la pensée philosophique des lettrés modernes.

Voici comment ce commentaire explique le processus de la nature.

« Ce qui du Ciel subsiste par soi est appelé : « voie céleste »; TCHOU-HI, Commentaire du Tchoung-ioung, chap. 1°

lorsque le Ciel communique ses dons à tous les êtres: (son acte) est appelé Tien ming. «Ordre céleste'. »

Ainsi, l'acte par lequel le Ciel va produire sa puissance au dehors est un ordre. Tchou-hi l'avait déjà fait remarquer avec soin, et afin qu'aucune confusion ne fut possible sur ce point, il expliquait le caractère Ming, qui comporte par lui-même l'idée d'une communication de puissance, par le caractère ling qui exprime particulièrement le commandement; caractère que l'on trouve à la fin des édits et des proclamations de l'autorité publique et que l'on traduit communément par l'impératif : obéissez!

Le Ming « Ordre », nous disent les commentateurs, est semblable à l'acte par lequel la Majesté impériale confère une charge, tandis que le Sing, ou Nature, est équivalent à la puissance dont le magistrat est devenu dépositaire.

« Ce Ming, cet ordre exprime le principe primordial, la vertu active du Ciel qui développe les choses, fait le bien et aussi les éléments des choses; les quatre saisons, les cinq éléments, les diverses catégories des êtres viennent de lui comme de leur source 2. »

Avant de se manifester au dehors, la Nature existe donc en puissance dans le commandement céleste; elle y est comme une sorte de pensée, de détermination, de plan préconçu, aussi nous est-il permis de dire qu'elle est alors la raison des choses futures.

Ainsi envisagée, la Nature est toute bonne sans mélange de mal; en ce qui concerne l'homme par exemple elle est le principe immatériel dirigeant de l'humanité, de la justice, de l'ordre, de la prudence, des lois, de toutes les choses et de tous les êtres 3. »

1 Glose du 1o chap. du Tchoung-ioun j.

2 Ibid. 3 Ibid.

XVI.

2

IMPRIMERIE NATIONALE.

Elle existe alors au sein de l'Innommé, au sein du principe primordial.

«Lorsque, dit le commentaire, les hommes et les choses. n'ont pas encore reçu la vie, le principe immatériel qui ne peut qu'être nommé constitue la Nature, bien qu'il n'ait pas encore reçu de nom. Ceci, considéré dans le Ciel, se désigne sous le nom de Ming « ordre1».

La Nature existe donc d'abord dans l'Innommé, sans aucune manifestatien extérieure.

Ici, il nous faut ouvrir une courte parenthèse pour mieux exposer la pensée subtile des docteurs chinois, de l'école officielle. Lorsque ceux-ci envisagent le premier principe des choses, vivant en lui-même, sans aucune manifestation phénoménale, ils le désignent par des expressions dont le sens est exactement l'« Innommé ».

Ce principe primordial est innommé, parce que, seul existant, aucune intelligence ne se trouve en dehors de lui pour le concevoir, aucune bouche humaine n'existe pour lui donner un nom; tandis que, s'il a déjà manifesté sa puissance en communiquant aux êtres la vie et le mouvement, les hommes existant, ceux-ci peuvent le concevoir et donc le nommer.

C'est ainsi que les docteurs actuels de l'école confucéenne reprennent la méthode d'exposition philosophique de Laotzeu lui-même, telle qu'on la trouve dans le premier chapitre du Tao-te-king.

Quoi qu'il en soit, pour les métaphysiciens chinois, la nature est dans son essence un principe céleste, une vue interne du Ciel qui conçoit l'ordre futur du développement ultérieur des choses. Telle est la nature en puissance.

Nous ne nous arrêterons pas à considérer le moment précis où la Nature conçue dans le sein de l'Innommé passe de la puissance à l'acte; nous serions entraînés trop loin de notre

Glose du 1 chap. du Tchoung-ioung.

étude par la nécessité d'exposer les hésitations et les contradictions de l'ontologie chinoise. Il nous suffit de considérer le principe céleste lorsqu'il s'est réalisé dans les choses, lorsqu'il poursuit le cours de ses développements dans l'ordre physique et moral.

Dans l'ontologie chinoise, l'intrinsèque des choses se compose de deux éléments: la matière et le principe immatériel formel li; c'est ce principe qui, venant du Ciel, anime tous les êtres et les pousse dans leur voie. Or la nature, sing, n'est autre que ce principe supérieur et vivifiant qui anime tout et fait développer toutes choses dar l'ordre.

« C'est lui qui fait que les abeilles et les fourmis vivent dans un ordre qui rappelle les lois civiles des hommes; c'est lui qui fait que, malgré leur férocité, les tigres et les loups ont des sentiments paternels pour leur progéniture; c'est lui également qui préside à la révolution des saisons, à la naissance et à la mort des plantes; c'est lui enfin le principe dirigeant de l'âme humaine1. »

Ce principe est essentiellement bon, en raison de son origine, et aussi de sa fin qui est l'ordre.

Lorsqu'ils considèrent l'homme, être libre, la nature est bonne, aiment à dire les Chinois; ils ne font en cela que suivre les idées du célèbre Meng-tzeu, qui prétendait que la Nature est intrinsèquement bonne sans aucun mélange de mal.

Bien que les idées de Meng-tzeu sur ce point fussent contestées par plusieurs philosophes, et notamment par Siuntzeu, qui vivait au III° siècle avant notre ère, l'idée de la bonté radicale de la Nature a toujours prévalu. Si quelques auteurs modernes parlent quelquefois, dans leurs œuvres philosophiques, de la nature mauvaise de l'homme, ils n'attribuent pas au principe formel les mauvaises qualités de la

Commentaire du Tchoung-ioung, chap. 1o.

matière; ils donnent alors seulement au composé le nom de Nature, comme nous le faisons ordinairement dans nos langues occidentales, alors que ce nom est surtout et avant tout, dans le vocabulaire philosophique chinois, celui d'un seul des éléments : l'élément immatériel formel. C'est ainsi qu'on l'entend ordinairement dans les classiques et dans presque tous les commentaires. Voilà pourquoi les mots

sing-penn-chen, c'est-à-dire : la Nature est radicalement bonne, forment un aphorisme courant.

Or, ce qui fixe le sens des mots dans une langue, c'est l'usage général et non pas l'emploi spécial qu'en ont pu faire tels ou tels auteurs particuliers.

La nature est donc un principe de bien qui informe l'àme humaine comme tout le reste. Comment donc se fait-il que l'homme ne soit pas, par suite, toujours bon? car les moralistes chinois constatent, tout comme les nôtres, la malice humaine.

Il faut d'abord distinguer les deux catégories d'hommes, que les psychologues chinois mettent soigneusement à part; d'un côté, les hommes ordinaires qui ne se conforment pas complètement à la Nature; de l'autre, les saints.

Les premiers sont arrêtés dans leur élan vers la perfection naturelle par la matière, par la concupiscence, ou, pour traduire plus littéralement, «par l'égoïsme du désir humain ». Les mauvais désirs crient dans leur cœur, et les empêchent d'écouter la voix de la nature qui leur commande toujours le bien : le bien, c'est-à-dire le développement de toutes leurs facultés en conformité avec l'ordre universel.

Tchou-hi semble croire que l'influence de la matière est si pernicieuse sur les hommes, qu'il y en a qui perdent totalement la connaissance des vérités naturelles.

« Les éléments constitutifs de la matière, dit-il, sont incapables de rester en harmonie, c'est pourquoi tous les hommes ne peuvent avoir le moyen de connaître les lois de leur nature 1. >>

1 Préface du Ta-hio.

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