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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1900.

UNE INSCRIPTION

DU

ROYAUME DE NAN-TCHAO,

PAR

ÉDOUARD CHAVANNES.

INTRODUCTION.

L'inscription dont on va lire plus loin la traduction a été gravée en l'an 766 de notre ère, sous le règne de Ko-lo-fong, roi du Nan-tchao , et érigée dans la ville de Tai-ho tch'eng Fu, capitale de ce roi, à 15 li au sud de la ville préfectorale de Ta-li, dans la province de Yun-nan. Ce monument subsiste encore de nos jours dans l'endroit même où il fut placé; mais il est fort endommagé, et, sur 3,800 mots que comptait l'inscription, on n'en peut guère déchiffrer maintenant que 800; l'estampage que je dois à l'obligeance de quelques missionnaires français en Chine, est même loin de présenter un aussi grand nombre de caractères lisibles. On s'explique aisé

1

J'exprime ici tous mes remerciements au P. Le Guilcher, à

XVI.

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IMPRIMERIE NATIONALE,

ment l'état de dégradation de cette stèle en appienant que, lorsque l'épigraphiste Wang Tch'ang E

(1724-1806) la découvrit, elle gisait à terre et était connue dans la région sous le nom significatif de « pierre à aiguiser les couteaux1». En réalité, la teneur de cette inscription resterait pour nous lettre close si le texte complet ne nous en avait pas été conservé dans le Yun-nan t'ong tche₺ dont la première édition date de 1691. Ce texte a été réédité par Wang Tch'ang dans le chapitre CLX du Kin che tsoei pien, publié en 1805, et par Che Fan du Tien hi

dans la 7° partie du VIII livre publié en 1807. Ce sont les pages du Tien hi contenant cette inscription que nous reproduisons ci-après.

Sur le verso de la stèle étaient gravés les noms des principaux officiers du royaume de Nan-tchao; cette nomenclature n'a guère d'autre intérêt que de nous faire connaître quelques titres et quelques fonctions publiques; on la trouvera, ou du moins on trouvera les fragments qui en ont subsisté sur la stèle, dans le cLx chapitre du Kin che tsoei pien.

Mg Excoffier et aux RR. PP. Havret et Chambeau qui ont bien voulu s'occuper de me procurer cet estampage. Cette pièce se compose de quatre feuilles de papier collées de manière à former un rectangle; mais la feuille supérieure de gauche devrait en réalité se trouver à droite des feuilles de droite; des quelques cas où le texte du Kin che tsoei pien présentait de légères différences avec celui du Tien hi, un seul a pu être contrôlé au moyen de cet estampage; dans les autres cas, le texte s'est trouvé illisible.

1

л (Tien hi, VIII, 7, p. 14 vo).

Sans refaire l'histoire du Nan-tchao1, il importe de rappeler quels sont les événements auxquels il est fait allusion dans l'inscription.

Pi-lo-ko, père et prédécesseur de Ko-lofong, est le véritable fondateur du royaume de Nantchao. Lorsqu'il monta sur le trône en l'an 7282, il ne possédait qu'un petit territoire qui est le district actuel de Mong-hoa, au sud de Ta-li fou. Comme son nom de famille était Mong, on appelait ce pays le Mong-cho tchao, c'est-à-dire le Tchao demeure de (la famille) Mong; on lui donnait aussi le nom de Nan-tchao ou tchao méridional. Le mot tchao est un mot de la langue thaïe qui signifie « roi »; on le retrouve encore aujourd'hui dans le titre du roi de Siam et dans celui de tous les chefs laotiens de l'Indo-Chine centrale. Il est probable que, comme on l'admet généralement aujourd'hui3, la famille princière du Nan-tchao, sinon toute la population de ce pays, appartenait à un rameau de la race thaïe.

Au nord du Nan-tchao ou tchao méridional s'éche

1 Le chapitre de l'histoire des Tang relatif au Nan-tchao a été traduit par M. E. H. PARKER (The early Laos and China, dans China Review, vol. XIX, p. 67-106). L'histoire du Nan-tchao a été racontée par le même sinologue (The old thai, or Shan Empire of Western Yunnan, dans China Review, vol. XX, p. 337-346) et par M. E. ROCHER (Histoire des princes du Yun-nan, dans Toung pao, vol. X, p. 1-32, 115-154, 337-368, 437-458).

2 Seizième année k'ai-yuen.

3 C'est l'opinion soutenue par M. E. H. PARKER dans les articles. précités de la China Review, et par M. Pierre LEFÈVRE-PORTALIS (L'invasion thaïe en Indo-Chine dans T'ong pao, vol. VIII, p. 57).

lonnaient cinq autres principautés qui formaient avec lui les six tchao. On rencontrait d'abord les trois Lang, ainsi nommés parce que les habitants étaient appelés des Lang A1; les trois Lang étaient : 1° le Che-lang tchao, qui occupait le territoire actuel de Mong-ts'e-ho. dans la sous-préfecture de Lang-kiong2; 2° le Teng-chan tchao, qui est aujourd'hui la préfecture secondaire de Teng-tch'oan JI; 3° enfin le LangKiong tchao, qui correspond à la sous-prefecture moderne de Lang-k'iong.

Plus au nord était le tchao de Yue-si

dont la capitale était sur l'emplacement de la ville actuelle de Li-kiang fou. On l'appelait aussi le Yue-si Mo-so tchao et cette dénomination indique que, dès cette époque, cette région était habitéc par des tribus mo-so d'origine tibétaine *.

Le plus septentrional des six tchao était celui de

1 Tien hi, VII, 1, p. 57 ro.

2 Cette identification et celles qui vont suivre sont tirées du Tien hi, VII, 2, p. 5 ro. Cf. DevéRIA, La frontière sino-annamite,

P. 120, n. 1. 3 Le mot

de lieux; il est Tien hi, I, 2, p. rondissement

chan se retrouve dans un grand nombre de noms souvent écrit tan ou (prononcé kien, ap. 19 vo); c'était un mot indigène qui signifiait «ar(Tien hi, I, 1, p. 22, r°); il correspond au mot siamois ou laotien qu'on écrit Xieng ou Keng (Parker, China Review, vol. XIX, p. 75, n. 65; DɛVÉRIA, La frontière sino-annamite, p. 101, n. 1).

se prononce

• Le dictionnaire de K’ang-hi indique que le mot ici so · Les Mo-so ont été étudiés par le P. Desgodins (Notes ethnographiques sur le Thibet», dans Annales de l'Extrême-Orient, juillet 1879), par TERRIEN DE LA COUPERIE (Beginnings of writing

Mong-hi, dont le nom rappelle celui de l'ancienne commanderie de Yue-hi1qui occupait le même territoire. Cette principauté s'étendait sur toute la vallée de Kien-tch'anget avait pour capitale la ville actuelle de Ning-yuen fou

, qui est située dans le sud-ouest de la province de Se-tch'oan, non loin de la petite rivière Nganning, affluent de gauche du Ya-long kiang2.

Tant que les six tchao restaient divisés, aucun d'eux n'était redoutable; il était de l'intérêt du gouvernement chinois de maintenir cet état de désunion qui les affaiblissait. Mais P'i-lo-ko, roi du Nantchao, était ambitieux et le représentant de la Chine dans les régions du sud-ouest était vénal; il le gagna par des présents; puis, sûr de n'être pas inquiété de ce côté, il attaqua et vainquit les cinq autres

around Tibet, dans Journal of the Royal Asiatic Society, 1885, n. s., vol. XVII, p. 454-470, avec des fac-similés de deux manuscrits mosso), par DEVÉRIA (La frontière sino-annamite, p. 164-166, avec un fac-similé de manuscrit mosso), par M. C. E. BONIN (« Note sur un manuscrit mosso», dans Actes du XI Congrès international des Orientalistes, 2o section, p. 1-10). Les Mo-so sont de race tibétaine; les six tchao n'étaient donc pas tous de race thaïe.

1 DEVERIA, La frontière sino-annamite, p. 120, n. 1: «En dépit des auteurs chinois qui veulent que le second de ces caractères se prononce souei, les habitants le prononcent hi. On doit donc dire Yuê-hi»

2 Cette contrée est décrite par Marco Polo sous le nom de Gaindu, qui n'est autre que K'iong-tou I, ancienne ville qui se trouvait au sud-est de la ville actuelle de Ning-yuen-fou. D'après Colborne Baber, qui a décrit la vallée de Kien-tch'ang, le pays de Gaindu devait être habité, au temps de Marco Polo, par des Menia, tribu de langue tibétaine (Travels and researches in Western China, p. 82).

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