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VII.

IL résulte des développements qui précèdent, qu'il n'existe point de principes uniformes et généralement admis déterminant avec précision les droits et les devoirs du neutre, relativement au commerce et à la navigation pendant la guerre. Aucune loi universelle, aucun droit commun, aucun usage devenu coutume par la pratique constante et unanime de toutes les nations maritimes, ne vient en aide au législateur ou au publiciste, qui cherche des solutions aux nombreuses questions, soulevées par l'antagonisme des intérêts et que la diversité des opinions complique et obscurcit plutôt qu'elle ne les éclaire. Tout est abandonné à des stipulations particulières de nation à nation, les droits les plus certains, les plus incontestables du neutre ont besoin d'être consacrés par des traités spéciaux, ses prétentions les plus fondées ne sont écoutées, ses intérêts les plus légitimes ne sont respectés que quand il peut invoquer à leur appui la lettre d'une transaction internationale. Dans aucune autre partie du

Droit des Gens, le droit naturel n'est aussi douteux, dans aucune autre il n'a été aussi complétement évincé par le droit positif. Et par quel droit positif? Le plus contradictoire et le plus variable qu'il soit possible d'imaginer. Il n'y a pas de puissance en Europe qui n'ait changé plusieurs fois et souvent en fort peu de temps, de système et de politique à l'égard des droits des neutres, il y en a même, qui, après avoir établi un principe dans un traité avec le voisin de droite, ont admis le principe contraire dans une convention avec le voisin de gauche. L'Angleterre, pour n'en citer qu'un exemple, a reconnu, envers la Russie, le Danemark et la Suède que les navires neutres de ces trois nations qui naviguent en temps de guerre sous le convoi d'un vaisseau de leur gouvernement, ne doivent point être visités aussitôt que les papiers du navire convoyeur ont été trouvés en règle, tandis qu'elle soutient envers les autres Puissances maritimes qu'en tout état de cause, sans convoi ou sous convoi, les navires neutres peuvent être visités par le belligérant qui les rencontre.

Cette incertitude est sans doute un très grand mal, mais les inconvénients qui en résultent, frappent plutôt, ce nous semble, les intérêts généraux de tout le système politique de l'Europe, que les intérêts spéciaux d'un État particulier. En effet l'absence d'une loi universelle, d'un droit commun, obligatoire au même degré pour tout le monde, permet à chaque État de régler le plus conformément à ses intérêts et aux exigences de sa situation, par des stipulations internationales, les obligations et les droits particuliers que la neutralité fait naître. La position de la Belgique nous paraît présenter sous ce rapport des avantages spéciaux. État nouveau, sans antécédents qui l'obligent, elle peut agir dans ces questions avec plus de liberté, que ne le peuvent d'autres États plus anciens et plus puissants qu'elle. La neutra

lité perpétuelle lui ayant été imposée par les Puissances dans un intérêt européen et formant une des conditions essentielles de l'équilibre sur le continent, tout ce qui peut affermir cette neutralité, la consolider et en assurer le maintien, présente une importance majeure pour ces mêmes Puissances et doit compter de leur part sur un accueil empressé. Et rien ne contribue autant à ce but que des arrangements conclus avec les principales d'entr'elles, à l'effet d'asseoir, sur des bases définitives et réciproquement consenties, le régime des droits et des devoirs de cette neutralité à l'égard du commerce et de la navigation. Tant qu'il y aura à ce sujet absence de stipulations internationales avec les Puissances maritimes, et partant doute et incertitude à l'égard du système qu'on suivrait, des principes qu'on défendrait, la neutralité belge ne sera ni forte vis-à-vis de l'étranger, ni utile et sûre pour le pays même.

Et qu'on ne dise pas que rien ne presse, qu'au milieu d'une paix profonde, au sein d'une situation qui paraît éloigner pour longtemps toute chance de guerre, il n'y a aucun danger de remettre le règlement de ces questions, qu'il sera toujours temps d'y songer quand des perturbations graves sembleront prochaines et que la paix générale se trouvera réellement compromise. Il nous est impossible de partager cette opinion. Les préoccupations qui surgiraient dans un pareil moment de tous côtés et pour tous, ne permettraient à personne de donner à l'examen de ces questions l'attention et la maturité réclamées par la gravité des intérêts qui s'y rattachent. Pour avoir négligé de négocier en temps utile avec une liberté d'action parfaite, on serait peut-être forcé de céder aux besoins du moment, à l'urgence de la situation et d'accepter des stipulations, dans lesquelles on sacrifierait des intérêts essentiels et dignes de toute protection, à la nécessité de sortir du dépourvu, où l'on aurait été surpris par les événements.

Qu'on nous permette de citer à l'appui de notre opinion, ce qu'ont fait des Puissances dont on peut bien invoquer l'exemple quand il s'agit d'une politique prudente et prévoyante à la fois. La Prusse, les États-Unis de l'Amérique du Nord, et plus récemment encore la France ont eu soin de régler dans des traités conclus par eux à des époques où la guerre paraissait pour le moins aussi éloignée qu'elle le semble maintenant, les questions les plus importantes, auxquelles la neutralité donne lieu. Et cependant la neutralité pour ces pays n'est qu'un fait éventuel, une question de convenance du moment, une position qu'on prend et qu'on abandonne selon les intérêts variables de la politique, tandis que pour la Belgique, elle est le régime nécessaire, obligé, permanent, la condition sine qua non de son existence, hors de laquelle, nous le disons avec une conviction profonde, dans une conflagration générale il n'y aurait pas de salut pour le pays.

L'occasion de compléter ainsi notre droit public se présente tout naturellement dans la négociation et la conclusion des traités de commerce et de navigation. On a déjà introduit dans quelques-uns de ces traités des stipulations pour mettre les navires belges à l'abri de tout embargo en cas d'hostilité, pourquoi ne chercherait-on pas à régler de la même manière les conditions de l'exercice du droit de blocus, de celui de visite, le régime de la contrebande de guerre, les droits de pavillon? Qu'on le sache bien, tant que les questions auxquelles ces matières donnent lieu, n'auront pas été réglées entre la Belgique et les principaux pays maritimes, la neutralité belge restera incomplète, stérile et mal assurée.

Quand on considère les nombreux et importants travaux d'organisation qui ont occupé le gouvernement et la nation depuis la régénération politique du pays, quand on tient compte

des difficultés de toutes espèces qu'on a dû vaincre pour réaliser tant et de si grandes choses, on doit reconnaître qu'il y aurait injustice à reprocher au passé de n'y avoir pas songé. Aussi nous contentons-nous d'appeler la sollicitude éclairée de la Législature sur cette tâche principale, qu'il lui reste encore à remplir, et de l'heureux accomplissement de laquelle dépendent en grande partie la sécurité et la prospérité futures de la Belgique.

FIN.

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