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monie avait exclusivement ce privilége. Cette assertion est pleinement renversée par ce qui précède toute mélodie bien faite porte nécessairement en soi l'empreinte de la modulation qu'on y a suivie, et l'oreille peut l'y apercevoir distinctement. C'est même la seule raison pourquoi une suite de notes, semées au hasard sur le papier, peuvent ne faire qu'un chant insoutenable ou même inexécutable, parce que l'oreille y voudrait vainement découvrir cette tendance tonique qui peut ne pas s'y trouver, si l'on n'a pas eu l'intention de l'y mettre. A la vérité, l'harmonie peut donner une teinte plus forte à la modulation, mais en cela elle ne fait que confirmer le jugement que l'oreille a porté d'avance; et quoiqu'un même chant puisse recevoir plusieurs basses différentes, cela ne détruit point ce que je viens de dire; cela fait voir seulement que la même phrase peut appartenir à divers tons par des notes qui soient communes à ces tons en quoi il n'y a rien d'étonnant, puisque ce n'est qu'à la faveur de ces notes communes que l'oreille consent qu'on la mène d'un ton à un autre. Mais, qu'on y fasse attention, jamais l'oreille ne suppose de changement de modulation sans une absolue nécessité; car, si ayant supposé une certaine tonique aux pre

mières mesures d'un chant, elle en découvre une autre pour les mesures suivantes, à laquelle les premières mesures puissent convenir, elle modifie de suite sa première hypothèse pour la réduire à la seconde : de façon que si l'on répète le chant après cet essai, elle prend cette fois, dès le début, l'impression de la tonique qui convient au plus grand nombre possible de

mesures.

Soit, par exemple, ce début de chant:

| mi mi rẻ ut | si si rẻ fa | mi ut

l'oreille y peut prendre d'abord l'impression du mode majeur d'ut, ou celle du mode mineur de la. Il est plus probable pourtant qu'elle prendra la première împression, parce que rien ne l'avertit qu'un la doive ensuite paraître pour justifier la seconde. Cela étant, j'ajoute cette finale à la phrase:

| mini rẻ ut | sĩ sĩ rẻ sỉ | la ut mit | la -
I

si

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Il en résulte qu'à l'entrée des deux dernières mesures, l'oreille est surprise d'avoir mal préjugé le ton, car elle attendait l'accord d'ut pour repos. Ne pouvant donc concilier le ton d'ut avec les deux dernières mesures, elle veut con

cilier le ton de la avec les cinq premières, et c'est à cette intention qu'elle désire de revenir sur ses pas; alors, reconnaissant que l'unité de ton règne dans ces sept mesures, elle en est satisfaite et prononce que la phrase entière est en la, mode mineur. Il n'y aurait que la force d'une basse qui pût désormais l'obliger à considérer ce morceau de mélodie comme étant la réunion de deux phrases en différens modes; mais certainement cette basse ne serait pas celle qu'elle préfère, car elle doit naturellement préférer celle qu'elle suppose d'avance.

Supposons, en second lieu, qu'ayant entendu plusieurs fois la phrase précédente qui a donné l'impression du mode mineur de la, on vienne à entendre celle-ci qui commence de la même manière :

mi

】 mî mi ré ut | sí si ré fa | mi ut | mî mi ré ut | sí si ré si | ut mi solmi | ut

cette fois l'oreille est aussi surprise d'entendre les deux dernières mesures à la suite des cinq autres, qu'elle l'était précédemment de ne les y entendre pas. Elle revient en arrière pour reconnaître s'il règne dans ce chant l'unité de ton qu'elle désire; elle l'y trouve en effet sous le mode majeur d'ut.

Supposons encore qu'après les lectures pré

cédentes on termine la même phrase commé ici:

Įmi mi ré ut | si si réfa | mi ut | mi mi ré ut | si ut ré si | sol si ré si | sol

alors nouvelle surprise à l'entrée des deux dernières mesures, surprise suivie d'un nouvel essai pour reconnaître l'unité de ton. Mais cette unité ne règne plus dans le chant, et il est bien réellement composé de deux phrases distinctes: la première, en ut, mode majeur; la seconde, en sol, même mode. Je dis en majeur d'ut, la première phrase, et non pas en mineur de la, parce que l'autre phrase, qui est en sol, succède beaucoup mieux à la première hypothèse qu'à la seconde; c'est-à-dire, que la nouvelle tonique sol arrive mieux comme dominante d'ut, que comme sensible bémolisée de la.

Supposons enfin que la même phrase soit terminée de cette autre façon :

| mi mi ré ut | sí si ré fa | mi ut | mi mi ré ut | siuț rësi | mi solsisol | mi

l'oreille, mise encore en défaut par les deux dernières mesures, cherche vainement l'unité de ton dans le tout; ne l'y trouvant pas, elle se résout à y distinguer deux phrases, la première en la, mode mineur, et la seconde en mi, même mode. Je dis en la, mode mineur, la

première phrase, et non pas en ut, modè majeur, parce que la seconde phrase ne succéderait pas si bien comme médiante, que comme dominante de la première.

Telles sont les vraies règles par lesquelles l'oreille décide du ton et de la succession des tons dans la mélodie; et loin que l'harmonie lui soit nécessaire à cet effet, j'ajoute que l'harmonie elle-même dérive de cette opération vraiment préliminaire et fondamentale. Enfin, il est si vrai que la mélodie a le privilége de faire sentir la modulation, que même elle n'est bonne qu'à proportion de cette propriété, et qu'aussi, quand on y arpège des accords, leur succession y est soumise aux mêmes règles que dans l'harmonie, règles qui se rapportent principalement à l'exacte expression du ton. Généralement toutes les fois que le ton devient indéterminé, l'oreille est au supplice; c'est ce qui arrive quand on accumule les transitions dans un court espace. On accorde assez volontiers le nom de musique savante à des pièces qui nous étonnent par ce débordement de modulation. Il est vrai qu'on ne peut guère leur contester ce titre, car elles sont bien l'effet d'une science profonde, mais malheureusement unie à un goût dépravé.

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