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leur a pas défini ces mots pour les leur ap prendre; on eût été trop embarrassé de le faire. Mais ils ont vu dans quelles circonstances ils sont employés; ils les ont remarquées, et il n'en fallait pas davantage.

Il est nécessaire de s'arrêter sur cette idée, et de s'assurer que ce n'est pas par des définitions que nous apprenons la valeur des mots, mais par l'analyse continuelle des circonstances dans lesquelles nous les voyons employés.

D'abord, les sensations sont les premiers matériaux de nos connaissances; elles deviennent des idées quand nous les éprouvons, comme souvenirs en l'absence des objets qui les ont causées; elles subissent dans nos têtes, comme dans un creuset de chimiste, diverses opérations qui sont des analyses et des synthèses perpétuelles. Elles y sont soumises à l'action d'un agent puissant qui les rapproche et les compare; et cette faculté qu'a notre esprit de les comparer n'est autre chose que celle d'apercevoir entr'elles des ressemblances et des différences. C'est làdedans que rentre la faculté d'abstraire; ainsi, tout se réduit à la comparaison de nos idées, tout dépend d'elle en dernier résultat. Voyonsen des exemples.

Chacun sait que les enfans n'écoutent pas

les longs discours; c'est parce qu'à leur âge ils ne les peuvent pas comprendre. C'est beaucoup qu'ils arrêtent leur attention sur de petites phrases; mais c'est ce qu'ils font, parce que leurs besoins les y ramènent sans cesse. On imagine aisément comment ils apprennent la valeur de l'espèce de mots qu'on nomme des substantifs physiques. Ce n'est pas pourtant sans analyses qu'ils y parviennent; car, lorsque je fais passer sous les yeux d'un enfant, en prononçant leurs noms, une boîte, une montre, une chaise, l'idée qu'il prend de ces mots est composée de celle de la chose et de celle de ma personne et des actions que j'ai faites tenant ces objets, et des situations que j'ai prises, etc., etc. Ce n'est que quand il a vu varier ces diverses circonstances hors la première, qui est la chose dénommée, et hors le nom de cette chose, qu'il a dû rapporter à la sensation de l'objet l'articulation du mot.

Mais prenons-le au-delà de ce point, et voyons comment il apprend la valeur des autres espèces de mots abstraits, des pronoms, des prépositions, des verbes, etc.

Premièrement, il remarque des phrases formant un sens complet, phrases qui, lorsqu'on les lui fit entendre, furent toujours accom

pagnées de l'action, de la situation, enfin de la sensation qu'elles signifient, et que l'enfant éprouvait à l'instant même de l'audition; il se forma donc ainsi dans son esprit une liaison, une association durable entre le signe et la chose signifiée, Mais croit - on qu'il s'apercevait au même moment que la phrase fût composée de divers mots et les mots de syllabes distinctes? Il s'en faut bien la phrase n'était pour lui qu'un tout continu où il ne remarquait point de parties; c'était un fil parfaitement uni, glissant sur le nerf auditif d'un mouvement uniforme, et dont aucun noeud n'interrompait la vîtesse égale. L'idée aussi n'était qu'une masse à ses yeux: Pierre marche, le chapeau est sur la table, ne lui parurent d'abord qu'un tout sans distinction de parties, ni dans la phrase ni dans l'idée qu'elle représente bientôt il en fit l'analyse.

A une certaine époque il connaissait, je suppose, ces deux phrases: Pierre marche, Paul marche. Il les compara; il reconnut leur ressemblance à l'égard du mot marche, qui leur est commun, et leur différence à l'égard des mots Pierre et Paul; et comme il compara en même-temps les idées que ces mots expriment et auxquelles ils sont liés, il en reconnut aussi la ressemblance dans l'action de marcher, et la

différence dans les individus qui faisaient cette action. Dans un autre temps, il compara l'une des phrases précédentes à celle-ci, qui lui était nouvelle : Pierre parle. La différence des mots parle et marche, et celle des actions signifiées par ces mots, lui fit voir à quelle idée correspondait le mot parle; ce qui lui fut encore confirmé par la comparaison des phrases précédentes à cet autre : Paul parle, et par toutes ses comparaisons ultérieures. On verrait de la même manière comment il acquit la valeur des mots dans, sur, etc. Ce fut, je suppose, par la comparaison de ces phrases-ci et des sensations auxquelles elles répondent: chapeau sur table, chapeau sur chaise, montre sur table, montre dans boîte, montre dans armoire, chapeau dans armoire, etc., etc.

Concluons qu'il n'est pas d'idée, si abstraite qu'elle soit, si éloignée du contact immédiat de nos sens, qui n'ait été acquise par ce procédé; poursuivons-en l'application en musique.

Je suppose, comme je l'ai dit plus haut, qu'un enfant ait dans sa tête un certain nombre d'airs qu'il a retenus, attachés aux syllabes de la gamme; voyons ce qui se passera dans son esprit. D'abord, ces airs lui étant devenus familiers, les phrases lui en reviendront souvent à

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la bouche tronquées et en désordre; il en fera la comparaison en mille manières. Il s'en trouvera deux, par exemple, qui auront des sons, communs, et par conséquent les mêmes mots pour désigner ces sons cette remarque ne pourra lui échapper. Supposons qu'il l'ait faite sur ces deux phrases, l'une de l'Amour filial, l'autre de Richard Coeur-de-lion :

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Il sentira pourtant que ces phrases ne se ressemblent pas en tous points; mais comme il ne verra rien dans l'intonation qui les différencie, il sera forcé de reconnaître que c'est par la durée des sons que l'une se distingue de l'autre. Il réitérera ses comparaisons sur d'autres phrases; il arrivera aux mêmes conséquences. Dès-lors, il s'élevera tout seul à ce principe : que les mots sol, ut, si, ré, etc. se rapportent à des inflexions. différentes de la voix, et nullement aux diverses durées des sons. Il voudra de suite faire l'essai de son principe; car c'est bien le sien: il me semble le voir transporté du plaisir de l'avoir découvert, et dans l'impatience de se le confirmer, faire un nouvel assortiment des sons qui

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