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Il n'était donc pas si mal-aisé de la faire; il l'était beaucoup plus pour moi de la faire recevoir, et je n'aurais jamais osé l'espérer ou l'entreprendre si je n'avais considéré que mes propres forces; forces; mais bientôt je vis que je devais tout attendre de l'époque seule où je me trouve heureusement placé. En effet, aujourd'hui tous les esprits sont ouverts aux vérités nouvelles, ou, si l'on veut, aux nouvelles applications d'anciennes vérités : les découvertes extraordinaires se succèdent si rapidement depuis un quart de siècle, qu'on n'ose presque plus croire à l'impossibilité d'aucune. L'amour de la vérité est devenu une vraie passion; l'ancienneté des erreurs ne les rendant pas plus respectables, on peut les attaquer sans ménagement; et personne ne se croyant plus intéressé à les défendre, chacun, dès qu'il les voit signalées, se dispose à les bien examiner. Comment la vérité ne sortirait-elle pas du concours de tant d'examens? Cette tendance générale des esprits est donc extrêmement favorable au progrès des lumières et des découvertes, en même-temps qu'elle en 'est la suite inévitable; d'ailleurs, elle ne peut effaroucher que l'erreur ou la mauvaise foi, qui sont deux si grands fléaux pour la société.

Ainsi, j'avais lieu de croire que mes idées

seraient examinées soigneusement, si toutefois je les présentais appuyées d'un résultat utile. Il ne me fallait plus que les mettre moi-même à exécution; c'est ce que j'ai fait avec d'autant plus d'espoir de succès, que j'avais sous les yeux un exemple encourageant je veux parler de la révolution opérée en chimie de nos jours. Ne sait-on pas qu'elle est due à l'exacte application des mêmes principes? Qu'on lise la belle préface de Lavoisier, à la tête de ses Elémens de chimie, on y verra signalées les grandes idées de Condillac et de Bacon, comme étant le fil d'Ariadne qui doit nous tirer en tous temps du labyrinthe des erreurs.

Je déduisis donc promptement de mon système ses conséquences pratiques; je disposai mes moyens, je les mis autour de moi en action. Le succès a répondu complètement à mon attente, et mes concitoyens ont vu avec étonnement les effets que je vais décrire.

De jeunes enfans de sept à neuf ans ont pu chanter au bout de huit mois, à livre ouvert, une classe étendue de morceaux de musique dans tous les tons, tous les modes, et à toutes les clefs; un autre élève de l'âge de douze ans, dont par conséquent l'intelligence est plus affermie, a pu faire les mêmes choses au cinquième

mois; et si une pièce de musique renferme de vraies difficultés, trois ou quatre lectures consécutives les mettent tous en état de les vaincre d'eux-mêmes, et de la chanter couramment. Si je leur délivre, la veille, des parties qui leur soient inconnues d'un morceau d'ensemble, ils peuvent le lendemain exécuter cet ensemble avec pureté et correction; ils savent donc étudier seuls, sans instrument et sans maître, une musique proposée. Dans ce cas, ils ne manquent point d'en faire l'analyse, et de remarquer à la lecture les changemens de ton et de mode qui se succèdent dans le cours du morceau : mettre des paroles à un air ne leur est pas plus difficile. On conçoit, en effet, qu'ils doivent le faire aussi couramment, aussi vîte qu'ils peuvent en lire les notes; enfin, ils prennent sous la dictée, avec mesure et volubilité, toutes les notes des airs qu'on leur chante, et chaque jour ils m'apportent par écrit des airs qu'ils ont notés d'euxmêmes, les sachant par cœur, ou qu'ils ont saisis, phrase par phrase, à ces orgues dits de Barbarie, qui parcoùrent la ville.

Les personnes qui ont vu particulièrement naître et se multiplier ces résultats, n'en étaient pas moins frappées à l'origine qu'elles l'ont été à la fin. Les progrès étaient si rapides, qu'on les

mesurait distinctement d'une semaine à l'autre. Pour moi, je ne trouvais d'étonnant en tout ceci que l'étonnement même des spectateurs. Je ne réfléchissais pas que chacun ne pouvait juger ce qu'il voyait qu'avec ses propres idées, et par comparaison à ce qu'il avait vu jusqu'alors; que moi-même j'avais amené cet étonnement des esprits en cachant mes moyens à tous les yeux, quoique ce ne fût que pour me ménager l'agrément d'opérer avec tranquillité, à l'abri des critiques prématurées.

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Pendant que je travaillais à Bordeaux à produire ces effets, j'adressai à Paris, à la Société d'instruction élémentaire, le manuscrit contenant l'exposition de ma méthode. Je proposais à la Société de l'introduire dans ses écoles, comme étant un. moyen très-économique et presqu'infaillible de rendre populaire en France la connaissance de la musique. J'accompagnais ma proposition de quelques considérations morales que je crus propres à l'appuyer. La Société répondit à mon hommage par des lettres flatteuses, où j'appris qu'elle s'était interdit jusqu'à nouvel ordre d'ajouter aucune autre branche d'étude à celles qui occupent aujourd'hui exclusivement les élèves de ses écoles. Dans le même temps, j'envoyai un Mémoire pareil au

Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Au surplus, il ne faut regarder l'ouvrage que je publie aujourd'hui que comme une exposition rapide de mes idées, qui manque peut-être de détails suffisans en quelques points; mais je ne pouvais pas y en mettre davantage, sans changer tout-à-fait de plan. Cependant j'espère en avoir assez dit pour être entendu de ceux qui voudront bien me lire avec réflexion. C'est dans le Traité élémentaire dont j'ai parlé, et dont je m'occuperai désormais plus sérieusement que je n'ai fait jusqu'ici, qu'on pourra trouver un corps complet de doctrine musicale.

Maintenant je vais exposer avec détail les considérations particulières et les réflexions générales qui m'ont conduit insensiblement à la découverte de ma méthode, ainsi que les rapprochemens, les comparaisons que j'ai faites de la musique aux autres sciences; prévenu de cette idée, que l'esprit n'a qu'une manière de raisonner, qu'une manière de se conduire dans la recherche de la vérité, quel que soit le sujet sur lequel il s'exerce. Parmi ces considérations, il en est plusieurs, sans doute, que le lecteur aura faites aussi bien que moi; mais il est nécessaire que je les lui remette sous les yeux, pour qu'il parvienne à connaître le véritable

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