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DROIT ADMINISTRATIF.

Du pouvoir réglementaire des préfets en général, et spécialement en matière de police municipale.

Par M. SERRIGNY, professeur de droit administratif à la Faculté de Dijon.

1° Les préfets ont-ils le pouvoir de faire des règlements obligatoires sous la sanction pénale établie par l'article 471, no 15, du Code pénal, hors des cas où ce droit leur est accordé par un texte de loi formel?

2° Spécialement, ont-ils le pouvoir sur toutes les matières de police municipale dans lesquelles l'article 11 de la loi du 18 juillet 1837 l'accorde aux maires des communes ?

Telles sont les deux questions que je me propose d'examiner, et sur lesquelles la jurisprudence de la cour de cassation me paraît s'être complétement égarée.

Pour résoudre la première question, il faut d'abord se faire une idée nette du pouvoir réglementaire sous une sanction pénale. Qu'est-ce que faire un règlement obligatoire sous une peine d'amende ou de prison? C'est évidemment faire un acte qui participe du pouvoir législatif; car le législateur seul peut établir des règles de conduite obligatoires pour les citoyens, règles dont l'infraction les expose à une peine. Ce principe de raison et de droit public est consacré par l'article 4 de notre Code pénal, qui porte: « Nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent » être punis de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi » avant qu'ils fussent commis. » Il résulte clairement de ce texte qu'une loi est nécessaire pour rendre obligatoire une règle de conduite imposée aux citoyens, sous peine de voir l'infraction qualifiée de contravention emportant une peine.

Il est vrai que d'après l'article 471, n° 15, du même Code, ceux qui contreviennent aux règlements légalement faits par l'autorité administrative, et spécialement par l'autorité municipale, sont passibles de la peine qu'il établit. Cette exception à la règle ci-dessus n'existe qu'en apparence; car, du moment que le rè

glement administratif doit être légalement fait, c'est-à-dire en vertu d'une délégation du pouvoir législatif, il en résulte que le règlement procède de Pautorité de la loi, et participe à son caractère; toute la différence entre les deux cas, c'est que la règle de conduite est tracée immédiatement par le législateur aux citoyens, dans un cas, et que, dans l'autre, elle est prescrite par son délégué. Or ce que l'on fait par son mandataire, on est censé le faire soi-même.

Ces principes d'éternelle raison sont consacrés par notre Constitution. Aux termes de l'article 18, tous les pouvoirs publics, quels qu'ils soient, émanent du peuple. Le peuple français délègue le pouvoir législatif à une assemble unique (art. 20).

Du moment que le pouvoir réglementaire participe de la nature du pouvoir législatif, il ne s'agit plus que de savoir si les préfets ont reçu le droit de faire des règlements d'une manière générale, ou seulement dans certains cas spéciaux. Or, bien loin que notre législation ait donné ce pouvoir aux préfets par une délégation générale, on rencontre, au contraire, des textes qui le leur refusent d'une manière positive. Ainsi on lit dans la loi en forme d'Instruction, des 12-20 août 1790, chap. Io, § 1o, ce qui suit : « Les administrations de département ( aujourd'hui les pré» fets) ne peuvent faire ni décrets, ni ordonnances, ni règlements; » elles ne peuvent agir que par les voies, ou de simples délibé» rations sur les matières d'intérêt général, ou d'arrêtés sur les » affaires particulières, ou de correspondances avec les adminis» trations de district (les sous-préfets), et par elles avec les muni»cipalités. » Ce texte n'est que le développement d'un principe écrit dans l'article 5, section 3, de la loi des 22 décembre 1789janvier 1790.

Voilà quelle est la règle écrite dans la loi organique des administrations départementales, règle implicitement reconnue et confirmée par les lois spéciales qui ont jugé convenable de désigner aux préfets le pouvoir réglementaire en certains cas spéciaux, suivant cet axiome de droit: Exceptio firmat regulam in casibus non exceptis.

Ainsi, par exemple, les préfets peuvent faire des règlements sur les frais de contraintes, de garnisaires et autres poursuites en

matière de contributions directes, à la condition que ces règlements ne pourront être exécutés qu'après avoir reçu l'autorisation du gouvernement (L. 15 mai 1815, art. 51).

Ils peuvent faire certains règlements sur la pêche dans les rivières navigables ou non, sous la condition que ces arrêtés seront approuvés par le gouvernement (L. 15 avril 1829, art. 26; -junct. ord. 15 nov. 1830, art. 8).

Ils ont dù faire des règlements pour l'exécution de la loi du 21 mai 1836 sur les chemins vicinaux, et sur les matières énoncées en l'article 21 de cette loi, sous l'approbation du ministre de l'intérieur (même art 21).

Ils doivent en faire, chaque année, pour déterminer l'époque de l'ouverture et celle de la clôture de la chasse, dans chaque département (L. 3 mai 1834, art. 3), pour déterminer : 1o l'époque de la chasse des oiseaux de passage, autres que la caille, et les modes et procédés de cette chasse; 2° le temps pendant lequel il sera permis de chasser le gibier d'eau, dans les marais sur les étangs, fleuves et rivières (art. 9 ib. ); ils peuvent en faire pour régler les autres objets mentionnés dans le même article.

Ils peuvent faire des arrêtés pour l'exécution des ordonnances. sur la police, la sûreté et l'application des chemins de fer, mais sous la condition qu'ils seront approuvés par le ministre des travaux publics (L. 15 juillet 1845, art. 21;- ord. 15 nov. 1836, art. 1").

On voit par là qu'après avoir posé en principe que les préfets ne peuvent faire de règlements généraux pour leurs départements, les lois dérogent à cette règle et autorisent, en certains cas, ces règlements, quelquefois sans condition de les soumettre à l'approbation de l'autorité centrale exécutive, d'autres fois avec l'obligation de les soumettre à l'approbation soit du chef de la puissance exécutive, soit du ministre auquel la matière réglementée appartient. Donc il n'est pas exact de dire que les préfets ont de plein droit, et par une délégation inhérente à leurs fonctions, l'exercice du pouvoir réglementaire.

Cependant le système contraire est formellement consacré par la jurisprudence de la cour de cassation, et notamment par deux arrêts en date des 23 avril 1835 (V. Sirey, 35, 1, 736) et

12 septembre 1845 ( V. Sirey, 45, 1, 852). Voici les motifs du dernier de ces arrêts :

« Vu les articles 13 de la Charte constitutionnelle; 3, titre II, de la loi des 16-24 août 1790, et 9, no 3, de celle du 18 juillet 1837 ;

» Attendu qu'il appartient au roi, suivant le premier de ces articles, de faire les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois; qu'il peut, dès lors, par des actes généraux ou spéciaux de son autorité souveraine, ordonner toutes les mesures de sûreté générale qui se trouvent énoncées dans l'article 3, titre XI, de la loi des 16-24 août 1790; que la loi du 18 juillet 1837 n'a nullement modifié cette institution absolue, puisque le n° 3 de son article 9 charge, au contraire, les maires, sous l'autorité de l'administration supérieure, de faire exécuter ces mesures;

» Que les préfets, qui sont les mandataires de la puissance royale, ont donc le même droit, chacun dans sa circonscription administrative; qu'il suit que les arrêtés qu'ils prennent à cet égard sont pleinement légaux et obligatoires. »

que

Je ne crois pas qu'il fût possible, même sous l'empire de la Charte, d'exprimer une doctrine plus manifestement erronée et inconstitutionnelle que celle consacrée par cet arrêt. Quoi! de ce la charte donnait au roi le pouvoir réglementaire comme un attribut inhérent à ses fonctions, on devait en conclure que les préfets ont le même droit, chacun dans sa circonscription administrative! Autant vaudrait dire que chaque préfet avait, dans son département, tous les attributs que la charte donnait au roi pour le territoire de la France entière. Quel rapport y a-t-il entre cette proposition : la charte donnait au roi le pouvoir réglementaire; donc elle donnait par cela même aux préfets le même pouvoir ? Aucun ; il n'y a pas la moindre relation entre la prémisse et le conséquent. Il fallait renverser la proposition, et dire : Le pouvoir réglementaire n'appartient qu'à ceux à qui le législateur l'a délégué or il ne l'a pas délégué aux préfets d'une manière générale, donc il ne leur appartient pas de plein droit.

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Ajoutez que l'argument de la cour de cassation, entièrement vicieux sous l'empire de la charte, n'a plus l'ombre de prétexte

aujourd'hui, puisqu'on ne trouve, dans la Constitution nouvelle, aucun texte qui ait reproduit, au profit du président de la Répu blique, la délégation générale du pouvoir réglementaire que la charte avait faite au roi.

Concluons donc que la première question posée ci-dessus doit être résolue négativement.

La seconde question offre plus de difficulté que la précédente, qui, à mon avis, n'en présente aucune, nonobstant l'autorité de la cour de cassation. Cette deuxième question est complexe, il faut distinguer trois hypothèses dans lesquelles elle peut se présenter.

Première hypothèse. Il s'agit d'un arrêté de police municipale pris directement par un préfet pour une commune déterminée de sa circonscription départementale. Il n'est pas douteux, dans ce cas, que l'arrêté du préfet ne soit vicié d'excès de pouvoir. En effet, la loi du 18 juillet, article 11, ne donne au préfet que le droit d'annuler ou de suspendre les arrêtés des maires. Le projet de cet article contenait, en outre, le droit de les modifier; mais l'excellent rapport fait par M. Vivien à la chambre des députés nous apprend que le mot a été retranché, sur l'observation de la commission que le droit de modifier emportant celui de disposer, le pouvoir du maire se résoudrait en une simple proposition et passerait tout entier au préfet; que le projet aurait, par un seul mot introduit dans la loi, consommé la destruction du pouvoir municipal. C'est d'après cela que l'article 11, § 4, de la loi citée a réduit le pouvoir des préfets au droit d'annuler ou de suspendre les arrêtés municipaux (V. Moniteur de 1836. p. 953, col. 1).

On objecterait vainement ici la règle que qui peut le plus peut le moins, et que le droit d'annuler étant plus considérable que le droit de modifier, l'un des pouvoirs doit entraîner l'autre par voie de conséquence. La réponse est que le droit d'annuler et celui de modifier sont deux pouvoirs de nature différente, et que la règle citée ne s'applique qu'aux choses de nature identique. Il arrive tous les jours qu'une autorité a le droit d'annuler des actes qu'elle n'aurait pas le pouvoir de faire ni de modifier. Ainsi la cour de cassation a le droit d'annuler les arrêts et les jugements des cours

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