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la prise de possession et l'installation après prestation de serment.-A ce sujet, nous ferons une remarque qui n'est pas sans opportunité. La Révolution de 1848 a repoussé tout d'abord le serment des fonctionnaires. Le Gouvernement provisoire, par son décret du 25 février, a délié de leur serment les fonctionnaires de l'ordre civil, militaire, judiciaire et administratif; il a usé du droit que confère la force des choses en temps de révolution. Mais par un autre acte du 1er mars, considérant « que depuis un demisiècle, chaque nouveau gouvernement qui s'est élevé a exigé et reçu des serments qui ont été successivement remplacés par d'autres à chaque changement politique, » le Gouvernement provisoire a décrété que les fonctionnaires publics de l'ordre administratif et judiciaire ne prêteraient pas de serment.-Par ce décret, il a méconnu toutes les traditions nationales, il a enlevé à l'institution nouvelle, que la République veut donner aux magistrats, son véritable caractère; et cependant il a déclaré dans l'un des motifs, que tout citoyen qui accepte des fonctions ou continue à les exercer contracte spécialement l'engagement sacré de servir la République et de se dévouer pour elle! Ainsi, au moment même où il proclame cet engagement comme sacré, il abolit le serment, c'est-à-dire l'acte religieux qui seul peut lui conférer ce caractère!La Constitution a rétabli le serment pour le Président et le Vice-Président de la République ; elle en a donné la formule: pourquoi donc les magistrats et fonctionnaires de la République, membres vivants du pouvoir exécutif, seraient-ils affranchis de la prestation du serment qui les rend, sinon plus obligés, du moins plus respectables dans l'exercice de leurs fonctions? Pourquoi habituer les peuples à séparer les fonctions publiques de tout lien avec l'idée religieuse qui ne crée pas sans doute, mais qui sanctionne tous les devoirs ? Pourquoi enfin le serment, s'il est utile pour le Président de la République à l'égard de la nation, seraitil inutile pour les magistrats et les fonctionnaires dans leur rapport avec le premier magistrat, la Constitution et la nation entière dont ils sont les délégués? La Constitution de la République française continue nos traditions nationales en inscrivant le nom de Dieu en tête de ses Déclarations : les lois organiques ne doivent-elles pas y être également fidèles en rétablissant le serment

qui met aussi le magistrat et le fonctionnaire en présence de Dieu et du Peuple français?

Qu'on nous pardonne cette digression; elle se rattache d'ailleurs aux impressions que nous avons reçues du réquisitoire où l'autorité des maximes de nos anciens jurisconsultes est rappelée dans toute sa force. Ces hommes du XVIe siècle étaient des hommes non-seulement de grande science, mais de grand dévouement aux principes d'ordre et de liberté. Le XIXe siècle ne perdrait pas à s'inspirer quelquefois de leurs principes et de l'exemple de leurs vertus. Ils n'avaient pas devant eux la forme républicaine, mais ils considéraient sans cesse la res publica, l'intérêt général et l'on sent, en lisant les œuvres de M. Dupin, combien leur séve forte et généreuse qui a nourri l'ancien avocat, anime encore l'esprit du magistrat qui achève aujourd'hui de placer sous nos yeux le tableau instructif et résumé de dix-huit ans de travaux, d'une seule période de cette vie qui suffirait à l'illustration de plusieurs.

F. LAFERRIÈRE.

Du rejet du projet de loi sur l'organisation judiciaire.

Par M. E. BONNIER, professeur à la Faculté de droit de Paris.

Un principe dont le maintien intéresse essentiellement la stabilité de l'ordre social, mais dont l'autorité avait paru fortement ébranlée par la révolution de février, l'inamovibilité de la magistrature vient de recevoir la plus éclatante consécration par le vote du 10 avril 1849. En rendant cette décision mémorable, l'Assemblée nationale a heureusement consolidé l'indépendance que les passions politiques, aussi aveugles en 1848 qu'en 1815, s'étaient efforcées de ravir à l'autorité judiciaire. Déjà de nombreuses sollicitations assiégeaient la Chancellerie, lorsque la sagesse du pouvoir législatif est venue rassurer la conscience publique, qu'allaient affliger de nouveaux scandales. Si l'Assemblée

dont la mission va expirer a quelquefois rendu de fâcheuses décisions, et celle qui a désorganisé le conseil d'État n'est pas une. des moins regrettables, cette fois du moins les honorables précédents de 1830 n'ont pas été méconnus, et ce respect pour les traditions et pour les droits acquis, sans lequel il n'y a point de pouvoir fort et durable, a prévalu sur les préjugés révolutionnaires. Vouloir, au contraire, considérer l'inamovibilité des magistrats comme incompatible avec le gouvernement républicain, suivant la déplorable assertion d'une dictature soumise à la pression des clubs, c'eût été s'engager dans une voie périlleuse, c'eût été entamer une lutte plus redoutable peut-être pour la République que pour la magistrature, dans un pays où une aussi ancienne et aussi juste considération s'attache à l'autorité judiciaire.

On se rappelle qu'aux termes de la Constitution de 1848 (art. 87), les magistrats ne peuvent être révoqués ou suspendus que par un jugement. Mais cette disposition ne s'appliquait point aux juges actuellement en exercice, sur le sort desquels il devait être statué par la loi d'organisation judiciaire. « La loi d'organi»sation judiciaire, porte l'article 114 de la Constitution, déter» minera le mode spécial de nomination pour la première com» position des nouveaux tribunaux. » D'après cet article, tout ce que la législation nouvelle semblait accorder aux membres des tribunaux existants, c'était de ne point les soumettre nécessairement aux conditions de capacité qui pourraient être établies; mais il leur fallait tout au moins recevoir une nouvelle institution. Or l'institution, d'après l'opinion générale et d'après la pensée du gouvernement lui-même, ne devait être donnée qu'en connaissance de cause.

Dans nos observations sur l'organisation judiciaire d'après la Constitution', nous avions fait ressortir tout ce qu'il y aurait de funeste dans un précédent de cette nature. Avec l'instabilité de nos institutions politiques depuis un demi-siècle, l'inamovibilité accordée aux magistrats jusqu'à la première révolution seulement, ressemblait beaucoup à un bail de courte durée. Le projet

1 V. notre article sur l'organisation judiciaire d'après la Constitution, dans cette Revue, t. V, p. 714, et les développements que nous avons donnés sur la réforme judiciaire dans le Correspondant du 12 novembre 1848.

de loi qui vient d'échouer aggravait encore la position de la magistrature, en exigeant des réductions considérables sur le personnel, réductions qui, dans le système de ce projet, devaient être effectuées immédiatement. Ainsi, lors même que la Chancellerie, résistant à de nombreuses et puissantes sollicitations, n'eût voulu introduire aucun élément nouveau dans le personnel, elle eût toujours été obligée, pour en ramener le chiffre aux limites fixées par la loi, de procéder à une épuration. L'injonction faite au pouvoir exécutif de procéder, dans le délai de deux mois, à l'institution de la nouvelle magistrature, était devenue la seule disposition importante du projet, déjà fort mesquin, nous l'avons reconnu ', tel qu'il avait été primitivement conçu, et qui l'était devenu bien plus encore depuis le retranchement consenti par la commission de toute la partie vraiment organique, c'est-à-dire de tout ce qui avait trait aux conditions de candidature. Aussi ne pouvait-on plus reconnaître dans ce triste avortement la loi organique promise par la Constitution: il n'en restait plus qu'une réunion de dispositions transitoires plus ou moins homogènes, destinées à frapper dans le présent les positions les plus honorables, sans assurer aucune garantie pour les nominations à venir.

C'est contre l'article 38 du projet, qui prescrivait ainsi la réorganisation, ou plutôt la désorganisation de la magistrature actuelle, que notre honorable ami, M. de Montalembert, a dirigé une lutte couronnée d'un succès inespéré. Nous disons inespéré; car les esprits les plus opposés à cette déplorable innovation avaient peu de confiance dans le vote de l'Assemblée nationale. M. de Montalembert a pris avec une généreuse chaleur la défense de cette magistrature qui, « constituée par l'empire, dotée de » l'inamovibilité par la charte, a, depuis trente-quatre ans, in>> spiré non seulement au pays, mais à l'Europe entière, un » profond respect pour ses lumières et pour son intégrité. » Il a fait remarquer que l'immixtion des magistrats dans le domaine de la politique tenait surtout à la loi sur les annonces judiciaires, aujourd'hui abrogée. Enfin, abordant les considérations les plus

V. même article sur l'organisation judiciaire, p. 725 et suiv.

élevées, il a demandé que le magistrat fùt, comme le prêtre, placé dans une sphère supérieure, inaccessible aux crises de notre société. « Les révolutions, a-t-il dit, passent sur la tête du › prêtre sans l'incliner. Je vous demande de faire en sorte qu'elles > passent sur la tête du juge sans le frapper. Que le fleuve du » progrès roule son cours entre deux rives inébranlables, entre » le temple de la loi et le temple de Dieu, entre le sanctuaire de » la justice et le sanctuaire de la vérité. »

Aux motifs éloquemment développés par l'orateur est venue se joindre une considération qui n'a pas peu contribué à la détermination d'une partie de l'Assemblée : cet état précaire dans lequel on voulait placer la magistrature française, allait précisément coïncider avec l'époque des élections. C'eût été là placer une arme dangereuse entre les mains du ministère, et les choix faits dans une situation pareille eussent été stigmatisés à l'avance par l'opinion. M. Jules Favre s'est fait l'organe de cette défiance légitime, et il est arrivé, par d'autres motifs, aux mêmes conclusions que M. de Montalembert: malgré les efforts de M. Crémieux pour défendre son malencontreux système de l'incompatibilité d'une magistrature inamovible avec le gouvernement républicain, l'Assemblée a adopté, à une majorité de 344 voix contre 322, un amendement suivant lequel chacun des magistrats inamovibles actuellement en fonctions devait recevoir une institution nouvelle du pouvoir exécutif, et les réductions prescrites par le projet ne devaient avoir lieu qu'au fur et à mesure des extinctions.

L'adoption de cet amendement a décidé du sort de la loi, dont toute la portée se trouvait ainsi, du moins pour le moment actuel, réduite à la prescription d'une pure formalité. La pensée primitive de la réforme impliquait tout à la fois des garanties pour l'avenir et un remaniement du personnel existant. Or, d'une part, nous l'avons vu, on avait fait disparaitre tout ce qui, dans le projet de la commission, avait trait aux conditions de candidature; d'autre part, l'Assemblée venait d'en réprouver toute la partie révolutionnaire: il ne subsistait plus que quelques innovations d'un intérêt tout à fait secondaire, telles que la prohibition pour les avocats de plaider auprès d'un tribunal dont ferait partie un de leurs parents ou alliés. Le meilleur parti à prendre

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