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amoindrie de ce double principe que nous venons de distinguer dans les événements généraux du monde.

Les rapports de l'homme avec le sol ainsi qu'avec les divers objets matériels soumis à son usage, offrent quelque chose d'analogue à cette double influence du droit et du fait combinée dans l'ordre social, et dont nous avons marqué à grands traits les principaux caractères.

La propriété, la possession, éléments de nature diverse, qui se combinent, se séparent et se reproduisent réciproquement, sont les deux grands leviers par lesquels l'homme agit sur les choses adaptées à ses besoins.

Comme le droit auquel elle se rattache, et dont elle est une application spéciale, la propriété porte en elle-même le sceau de la fixité, et paraît avoir dans la possession une expression fidèle.

Celle-ci, cependant, produit successif et mobile de la liberté humaine, puise souvent dans cette origine une existence propre. Rivale même parfois de la propriété, elle manifeste ainsi à divers titres une valeur spéciale dont tout législateur s'est préoccupé.

La propriété et la possession se complétant mutuellement l'une l'autre, leur étude comparée est la condition nécessaire pour pénétrer la véritable nature de chacune d'elles.

Cette étude sera donc le préambule naturel des recherches auxquelles nous nous livrerons pour éclairer sous quelques-unes de leurs faces l'importance de la possession, l'utilité et le développement historique des actions qui la protégent.

La propriété n'est point une création arbitraire de l'esprit humain.

Ces institutions puissantes qu'on retrouve dans les civilisations les plus diverses n'ont point leur entière origine dans la réflexion de l'homme; elles jaillissent presque spontanément de sa nature. La législation positive dégage, épure et perfectionne leur appli

1 L'idée de propriété est tout à la fois le principe et le terme de celle d'obligation que la jurisprudence pratique doit, du reste, en distinguer profondément. Toute obligation tend en effet à la conservation ou à l'accroissement des biens du créancier, et en même temps la créance constitue par elle-même une sorte de propriété susceptible de transmission. Aussi les Anglais ont-ils appelé l'obligation propriété en action. V. Toullier, t. VI, p. 221.

cation; mais leur racine est dans la constitution même de l'humanité. C'est d'elles qu'il faut dire ce que Montesquieu a écrit des lois en général : qu'elles sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses.

Interrogeons, relativement aux fondements de la propriété, la condition de l'homme sur la terre.

L'espèce humaine exerce sur les êtres physiques un empire résultant de la destination évidente du Créateur. L'homme, en effet, a besoin des objets extérieurs pour la conservation et le développement de sa vie.

La nature, de son côté, semble réclamer les soins de l'homme et en attendre le perfectionnement de sa beauté 1.

Quand l'Écriture nous montre la terre entière donnée à l'homme par la main de la Divinité, elle ne fait donc que promulguer une grande loi gravée par le Créateur à la surface de l'univers.

Le domaine général de l'humanité sur les objets qui l'environnent est un de ces faits primordiaux qui ne peuvent être l'objet d'un doute ou d'une discussion.

Mais la transition de ce droit collectif à celui de la propriété individuelle est un fait plus complexe et qui mérite d'être examiné de près.

L'espèce humaine constitue une grande famille dont les membres se rapprochent par la similitude des sensations et la communauté des idées. L'homme étend hors de lui, par l'intermédiaire merveilleux de la parole et de l'écriture, la sphère de son existence morale; il s'approprie par la sympathie les biens et les maux de ses semblables, et s'élève par la pensée jusqu'à la notion de la Divinité.

Quelle que soit la hauteur de son essor moral, l'individualité reste cependant le type de sa nature..... Les appétits organiques font descendre son intelligence à des préoccupations essentielle

1 Buffon a traduit dans son magnifique langage cette influence extérieure de l'homme sur ce qui l'entoure : « Vassal du ciel, roi de la terre, il l'enuoblit, la peuple et l'enrichit; il établit entre les êtres vivants l'ordre, la subordination, Pharmonie; il embellit la nature même, il la cultive, l'étend et la polit, en élague le chardon et la ronce, y multiplie le raisin et la rose. »

1. Benedixit que illis Deus et ait : Crescite et multiplicamini et replete terram et subjicite eam et dominamini piscibus maris et volatilibus cœli et universis animantibus quæ moventur super terram. »

ment personnelles. Ses plus hautes facultés, son libre arbitre, sa conscience se fondent en partie sur un noble égoïsme.

C'est dans cette constitution de l'humanité que réside le principe de l'appropriation individuelle.

Sur le sol où elle l'a jeté avec mille besoins, la Providence a préparé pour l'homme le vêtement de sa nudité, l'aliment de son indigence, le point d'appui de sa faiblesse.

Le voilà qui façonne à son usage les objets physiques, et qui, par un travail ingénieux, s'en fait comme des organes nouveaux; il féconde autour de lui le sol par son activité, et réalise par des conquêtes successives l'empire dont le Créateur lui avait donné le germe.

Quel est le mobile qui l'anime et le conduit dans cette œuvre, sinon le sentiment tout personnel d'un besoin à apaiser, d'une jouissance à goùter, d'un désir à satisfaire?

Individualité de besoins, individualité de prévoyance, individualité d'appropriation, telle est la chaîne logique qui rattache donc l'origine du domaine chez les peuples aux racines de la nature humaine, et qui fait de la propriété comme un moi extérieur pour l'homme libre, un appendice de son existence terrestre.

Le caractère individuel assigné à la propriété par son principe, qui est le besoin et la liberté, lui est imprimé aussi par la nature de la condition sous laquelle elle se réalise.

L'intervention du travail dans la constitution de la propriété privée est un fait dont l'évidence frappe tous les yeux.

Examinons d'abord ce qui concerne les biens meubles :

« La propriété mobilière, dit un jurisconsulte 1, n'a toujours eu pour cause que l'œuvre ou le travail personnel de celui qui a produit la chose ou qui s'en est emparé lorsqu'elle n'appartenait encore à personne. »

Il est incontestable, en effet, que le travail, l'invention, la perception des fruits donnent tous les jours naissance à certaines propriétés mobilières. Or ces moyens d'appropriation étant des

1 Traité du domaine privé, par Proudhon, doyen de la Faculté de droit de Dijon, t. I, p. 27.

2 Le travail peut même, dans nos législations modernes, entraîner avec lui la propriété de la matière (Art. 571 C. civ.).

faits essentiellement personnels, ainsi que le dit Proudhon, comment la propriété, qui en est le résultat, n'aurait-elle pas le

même caractère?

Aussi le principe de la propriété individuelle circonscrite dans le cercle des objets mobiliers n'a-t-il encore subi aucune contestation sérieuse.

Mais il est venu rapidement dans l'histoire des peuples un moment où, passant des occupations de la chasse et de la pêche à un état stable, l'homme a résolu de demander à la terre des services plus profitables.

La propriété du sol s'est alors établie, et c'est elle dont la théorie a quelquefois discuté la légitimité.

Ici, toutefois encore, les mêmes causes ont dù produire les mêrnes effets.

La jouissance du sol ne peut se concevoir d'abord sans un acte primitif d'occupation émanant de la personnalité humaine.

Mais cette jouissance n'arrive, en général, à son utilité complète que par un fait plus énergique encore que l'occupation, mais secondaire dans l'ordre logique, c'est-à-dire le travail et la culture.

In sudore vultus tui vesceris pane....., loi divine répétée de génération en génération par l'écho douloureux de l'expérience humaine!

Oui, nos sueurs se retrouvent dans les moissons de nos étés ; et quand la terre paraît nous donner ses fruits, c'est une portion de notre substance qu'elle nous rend avec usure. C'est ce que Rousseau explique fort bien à son Émile :

« Je lui fais sentir qu'il a mis là son temps, son travail, sa peine, sa personne enfin ; qu'il y a dans cette terre quelque chose de lui-même, qu'il peut réclamer contre qui que ce soit, comme il pourrait retirer son bras de la main d'un autre homme qui voudrait le retenir malgré lui 1. »

Le travail de chacun étant, quant au degré de son énergie, éminemment individuel, il en résulte que l'appropriation person

1 Émile, t. I, p. 161, édit. d'Amsterdam.

Locke a exprimé la même pensée moins énergiquement lorsqu'il a dit : « L'homme, comme propriétaire de sa personne, de ses actions, de son travail, eut toujours en lui le grand fondement de la propriété. »

nelle du sol a dû se réaliser en général dans les sociétés civilisées.

Là où le sol n'est employé qu'au pâturage, où le travail de l'homme est presque nul et la production de la terre spontanée, on voit l'indivision se perpétuer jusque dans l'état de nos communaux modernes. Mais partout où le travail intervient avec énergie, la propriété privée marche à sa suite comme son corollaire.

Séparer l'individualité du profit de l'individualité du labeur, ce serait en effet dépraver le travail et asservir l'humanité.

Aussi l'histoire nous montre-t-elle la condition des personnes constamment liée à celle du sol; et lorsque, dans certaines expériences sociales, le législateur a privé l'homme de la propriété exclusive des fruits de son travail, même dans un système de communauté réciproque, il n'a guère produit que des variétés d'esclaves 1.

Après les observations qui précèdent, nous envisagerons sans embarras une question souvent débattue: La propriété est-elle de droit naturel, ou n'est-elle qu'une création du droit civil?

Si l'on ne veut comprendre dans le droit naturel que les lois sans lesquelles aucune partie de l'humanité ne pourrait subsister, celles qui sont communes à l'homme et à la brute, suivant la définition du jurisconsulte romain, on peut refuser à la propriété la sanction théorique du droit naturel; mais si l'on comprend sous ce nom l'ensemble des lois qui sont tellement en rapport avec la nature humaine qu'elles tendent à se reproduire dans toutes les sociétés et sont inhérentes au développement de l'humanité, alors nous devons comprendre la propriété dans ce cadre, et n'accepter que dans le sens d'un état de choses primitif et barbare la proposition de Montesquieu écrivant que les hommes

1 Après avoir décrit, dans son Traité de législation, l'état des Indiens du Paraguay soumis à la communauté de travaux et de biens par leurs chefs spirituels, COMTE se résume en ces termes :

«Il est impossible de considérer attentivement l'état social de ces peuples, leurs mœurs, le degré de développement intellectuel qui leur est propre, leur faiblesse quand ils sont isolés, leur énergie quand ils ont secoué le joug de l'autorité, sans être frappé de l'analogie qui existe entre eux et les esclaves des colonies modernes; la ressemblance est si parfaite, qu'elle a été d'abord aperçue par les hommes les plus disposés à rendre justice au zèle des chefs de ces établisse

ments. »

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