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Nous aimons mieux faire cette concession que de discuter encore les paroles du ministre.

Il a dû reconnaître lui-même, nous en sommes certains, que sa condescendance envers une commission peu bienveillante était au moins inutile, et qu'il devait conserver intact son droit constitutionnel de réintégrer et de nommer, sauf à n'user de ce droit inaliénable, quant aux nominations, que dans une sage mesure et en tenant compte des votes de l'Assemblée; et quant aux réintégrations, en suivant sa première pensée.

Il a dû reconnaître aussi que si une loi était nécessaire pour abroger le décret du 17 avril, cette loi existait, la plus solennelle de toutes la Constitution.

Il a dû reconnaître, enfin, qu'en admettant que ce décret eût conservé, depuis la Constitution, quelque force légale, il pouvait s'en servir lui-même pour lever des suspensions, comme on s'en était servi pour les prononcer, par de simples arrêtés ministériels pris en vertu de la délégation renfermée dans ce décret lui-même; qu'ainsi la nécessité d'une loi n'était pas une raison sérieuse; que dans quelque hypothèse qu'il se place. quelque législation qu'il invoque, le décret ou la Constitution, il ne lui était point permis de déserter, d'abdiquer un droit écrit dans l'un et dans l'autre de ses actes; droit dont au surplus il a déjà fait usage, ainsi que ses prédécesseurs, ce qui rend cette tardive abdication plus inexplicable encore 1.

• Au nombre des suspensions qui ont été levées, les plus récentes sont celles des tribunaux de Perpignan et de Prades. Le ministre lui-même annonça cette mesure dans la séance du 3 mai; il la motiva principalement sur ce fait, «que les suspensions avaient été prononcées par une simple commission extraordinaire, sans approbation du ministre de la justice, avec improbation même, autant que je puis le penser. » Cette formule dubitative ne couvre pas l'évidente erreur du ministre, d'abord sur le fait et ensuite sur l'induction. Il devait savoir mieux que personne que toutes les suspensions prononcées dans les départements, furent sanctionnées en masse par un décret spécial du gouvernement provisoire. Ce décret est du 24 mars. L'article 1o est ainsi conçu : « Les suspensions provisoirement prononcées contre des magistrats par les commissaires extraordinaires du gouvernement sont approuvées. Elles dureront jusqu'à ce que le ministre de la Justice en ait autrement ordonné. » On voit que ce décret, comme celui du 17 avril,. délégue le ministre de la justice pour prononcer et lever les suspensions, ce qui n'a pas empêché de soutenir qu'il fallait une loi!... Au reste ces commissaires motivalent rarement leurs arrêtés de suspension. Cependant, ils ne résistaient pas toujours au plaisir d'expliquer l'usage qu'ils faisaient de leurs pouvoirs illimités. Dans un département méridional, un juge føt suspendu pour s'être compromis dans les élections. Peu de jours après, le même commissaire suspendit un autre ́

Faut-il essayer de l'expliquer? Devons-nous rechercher encore les motifs qui ont détourné le garde des sceaux de son opinion première, si vraie, si juste, pour l'enchaîner fatalement à ce système de perplexités et d'ajournements qui lui a fait refuser à la magistrature, à l'opinion publique, à l'Assemblée constituante, à lui-même, cette légitime réparation qu'il semble avoir livrée à plaisir, ainsi que la destinée de l'ordre judiciaire tout entier, au hasard des événements et aux téméraires innovations de l'esprit de parti, qui trouvera la porte ouverte pour leur donner carrière et essayer de les conduire jusqu'au bout, selon deux expressions déjà relevées et que nous réunissons involontairement, car elles furent dictées par des pensées bien différentes.

Ne soulevons pas le voile qui doit couvrir les délibérations d'un conseil de ministres. Ne recherchons pas si une question, très-simple en elle-même, n'a pas été compliquée, sous prétexte d'analogie, d'une autre question entièrement distincte, et qui demandait à son heure une solution à part. Rejetons aussi la pensée que de vaines considérations personnelles, des rancunes politiques, aient pénétré dans l'esprit des dépositaires d'un pouvoir qui, à son avénement, prit grand soin de nous rassurer à cet égard.

Mais en dehors et au-dessous du conseil s'agitent aujourd'hui, comme toujours, des haines jalouses et d'ambitieuses médiocrités.

« Sous tous les régimes, dit le savant magistrat de la cour de cassation, que nous aimons à citer encore, il est des gens toujours prêts à contester l'aptitude des fonctionnaires dont ils envient la place. On peut s'attendre qu'ils ne feront pas défaut dans ce temps d'âpre égoïsme où les passions surexcitées font entreprendre avec facilité tant de mauvaises choses auxquelles, à une époque moins troublée, on n'aurait pas songé sans rougir.

magistrat suspect parce qu'il avait eu le talent de ne pas se compromettre. Un troisième fut suspendu pour avoir douté de la durée de la République. Enfin un quatrième, un dignitaire de cour d'appel, fut atteint par mesure de sûreté publique, sous prétexte d'un charivari dont l'origine équivoque fut plus tard expliquée en justice Ces arrêtés nous rappellent le bon temps; on les croirait datés d'un quintidi ou de l'un des jours sansculotides. Eh bien, ils subsistent encore ! Ils se sont ainsi revêtus d'autres dates et d'autres signatures! L'Assemblée n'y ajoutera pas la sienne.

>> Si encore la République, destinée à corriger tant d'abus, devait nous mettre à l'abri de l'esprit de dénigrement et de la dénonciation calomnieuse! Mais qui pourrait l'espérer ?

Depuis que je suis né j'ai vu la calomnie
Exhaler les venins de sa bouche impunie
Chez les républicains comme à la cour des rois.

(VOLTAIRE, Tancrède.)

» Sous le coup de cette sorte d'inquisition qui va pénétrer dans tous les rangs de la magistrature, il n'est pas un magistrat, si haut que l'aient placé son caractère, son savoir et le mérite de ses services, qui n'ait sujet de s'inquiéter; car s'il est sans reproches il ne sera pas sans ennemis, et à l'heure qu'il est les ennemis ont beau jeu.

>> On aura donc ce spectacle attristant de nos meilleurs magistrats condamnés peut-être à se défendre des plus absurdes imputations et à justifier pièce à pièce chaque côté de leur vie. Les passions politiques venant en aide à défaut de griefs saisissables : à l'un, on reprochera ses opinions de telle époque; à l'autre, la date de sa nomination; à celui-ci, un vote; à celui-là, son nom, sa famille. Dans tout cela que de misère, que de sources d'injustice et d'arbitraire, que de causes d'abaissement pour la magistrature! >>

Ces vérités retentirent aussi au sein de l'Assemblée nationale, et exercèrent sur son vote du 10 avril une influence décisive. Elles trouveront de l'écho dans l'Assemblée législative, qui ne sera pas moins jalouse que sa devancière des droits et de la dignité de la magistrature.

Elle va être saisie immédiatement du projet de loi d'organisation judiciaire.

Mais l'étude de ce projet, les lenteurs indispensables des bureaux, des commissions, de la discussion elle-même, qui portera peut-être sur des questions graves et de nombreux détails, éloigneront le terme d'une solution définitive. Plusieurs mois peuvent s'ajouter encore aux longs mois d'incertitude et d'amovibilité qui ont pesé, qui pèsent sur la magistrature. C'est assez,

c'est trop, a dit le ministre lui-même. L'assemblée nouvelle partagera cette légitime impatience; elle éprouvera le besoin de réparer le temps perdu en stériles essais, en vains discours. Si on lui présente un de ces anciens projets destinés à réglementer un nouveau mode et de nouvelles conditions de candidature, à changer plusieurs autres éléments de notre organisation judiciaire, elle ne voudra pas assurément, sous prétexte de cette organisation future, que les tribunaux actuels continuent à demeurer en suspens: une disposition d'urgence serait alors votée pour garantir leur stabilité trop longtemps attendue.-Cette disposition unique serait peut-être en ce moment la meilleure loi. C'est de la république et de l'empire que date notre législation en pareille matière; elle a été consacrée par le temps; on peut faire autrement, on ne fera guère mieux. Il se peut, toutefois, que l'expérience elle-même ait signalé quelques imperfections dans le système des présentations et des candidatures; on a vu, d'ailleurs, que la Constitution avait sur ce point une disposition formelle à laquelle il faut sincèrement obéir. Mais le travail qu'elle ordonne pour l'avenir a divisé et peut diviser encore les meilleurs esprits; tous sont d'accord qu'il est urgent d'instituer les tribunaux actuels, et de raffermir ainsi une de nos institutions. fondamentales imprudemment ébranlée.

Au reste, quel que soit le projet de loi, nous demanderons la permission d'en dire notre avis, et de montrer, dans un second article, que le principe républicain et le principe absolu de l'inamovibilité, loin d'être incompatibles, peuvent, au contraire, se prêter une force nouvelle, et assurer par un heureux concours le règne de la justice humaine, sans laquelle, après Dieu, il n'y a pas de gouvernement possible.

UN MAGISTRAT.

« Je regrette profondément que la loi sur l'organisation judiciaire n'ait point été votée, et que cela tienne en suspens l'organisation de la justice et la situation des magistrats. C'est un état anormal qui emporte avec lui de graves inconvènients. Je le déplore; mais enfin heureusement cette situation ne se prolongera pas longtemps, car je regarde comme un des premiers et des plus impérieux devoirs de l'assemblée future de pourvoir à cette nécessité de notre société. » (Discours du garde des sceaux, Moniteur du 4 mai.)

RAPPORT

Fait à l'Assemblée nationale par M. BRAVARD-VEYRIÈRES, représentant du peuple, professeur à la Faculté de droit de Paris'.

I.

Citoyens représentants, c'est pour la troisième fois que la proposition du citoyen Astouin, ayant pour but d'étendre le privilége qui garantit le salaire des ouvriers, revient devant vous. Renvoyée d'abord au comité des travailleurs, elle y subit diverses modifications. Sur les observations de ce comité, M. Astouin, qui d'abord ne réclamait rien moins qu'un privilége illimité pour la garantie des salaires, se borna à demander que le privilége accordé pour un mois par l'article 549 du Code de commerce fût étendu à trois mois. Le comité des travailleurs avait été d'avis, en outre, qu'il fût créé un privilége au profit des ouvriers civils, et que l'on apportât des modifications aux dispositions du Code de procédure sur la contribution et l'ordre. Mais la pensée d'une telle innovation, qui n'a trouvé d'appui ni dans le comité de législation, ni dans la Commission formée par les bureaux, est aujourd'hui à peu près complétement abandonnée.

Quoi qu'il en soit, la proposition de M. Astouin fut portée pour la première fois à la tribune, sur le rapport du comité des travailleurs, le 21 juillet dernier. L'Assemblée, après avoir entendu plusieurs orateurs pour et contre, et M. Astouin lui-même, frappée des inconvénients multiples que pouvait entraîner l'ex-' tension de cè privilége, et des altérations qu'en devraient éprouver plusieurs dispositions essentielles de nos láis, n'hésita pas à

1 Au nom d'une Commission nommée pour examiner la proposition de M. Astouin', relative à l'extension du privilége dont les ouvriers jouissent pour leur salaire. La proposition de M. Astouîn, qui était d'abord relative au privilége illi– mité des salaires, et qui a subi diverses modifications, a occupé deux fois l'Assemblée nationale. C'est le résultat du troisième examen fait par une Commission spéciale que nous recueillons ici comme point de doctrine. La Commission comptait parmi ses membres trois jurisconsultes MM. THOMINE-DESMASURES, : BRAVARDVEYRIÈRES et VALETTE. (Note des directeurs de la Revue.)

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