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Aperçu des dernières réformes qui ont été opérées en Prusse en matière d'organisation judiciaire et de procédure civile et - criminelle.

Par M. BERGSON, docteur en droit.

Nous avons, il y a deux ans, exposé l'ensemble des réformes qui ont été introduites par les lois du 17 et du 21 juillet 1846 dans l'ancienne procédure prussienne. Nous y avons vu que la conception hardie du grand Frédéric de supprimer l'institution des mandataires et défenseurs légaux, reprise et développée par ses successeurs, a altéré profondément l'esprit général de la procédure civile et a conduit à une fusion à peu près complète de la procédure civile et criminelle; que ce singulier système n'a jamais pu être mis en pratique en toute sa pureté et a, dès l'origine, manqué en grande partie son but *.

Nous avons vu ensuite que l'ancien système prussien dans lequel la procédure civile s'était tant rapprochée de l'instruction criminelle, s'est montré, sous ce dernier rapport, tout aussi vicieux; que par la théorie des preuves légales, par ses distinctions entre les preuves complètes et incomplètes, les peines ordinaires et extraordinaires, par les renvois ou sursis d'instance, il avait amené les plus graves perturbations dans l'administration de la justice. « On avait substitué, comme l'a très-bien dit M. Dupin sur la théorie des preuves légales, les raisonnements d'une subtile dialectique aux notions simples du bon sens, et la science abstraite des preuves à l'étude morale des faits. >>

Enfin, en examinant le caractère des réformes opérées en 1846, nous avons vu le législateur entrer franchement dans une nouvelle voie avec tous les ménagements dus à un long passé. Dans la procédure civile, sans abolir formellement le système du Code général, il a introduit des principes empruntés à la procédure allemande et à celle des provinces rhénanes, cherchant ainsi à réunir les avantages de ces trois éléments, dans lesquels,

1 V. la Revue de 1847, p. 41 et 130.

V. ibid., p. 47 et 151.

3 Dans son discours de rentrée du 3 novembre 1847, p. 65.

toutefois, le premier ne pouvait manquer, après une assimilation graduelle, d'être absorbé en définitive par les deux autres. Pour la procédure criminelle, il s'est vu dans la nécessité de se rapprocher encore davantage du système français, tout en retranchant de ce système, selon l'expression d'un auteur espagnol 1, ce que les forces digestives du peuple ne lui paraissaient pas encore pouvoir supporter. Il vient enfin de compléter son œuvre, en comblant les lacunes qu'il y avait laissées, en 1846, et que j'ai indiquees alors. La nouvelle procédure criminelle qui avait été limitée au ressort de la cour criminelle et de la cour de chambre de Berlin a été communiquée à la monarchie entière. Le jurymagistrat a cédé la place au jury véritable. Les traces nombreuses des anciennes idées qui étaient restées visibles dans les § 6, 16, 20, 22, etc. de la loi du 17 juillet ont disparu; l'ancienne organisation judiciaire est mise en harmonie avec les besoins de l'époque; enfin leur nom véritable et une juste influence ont été restitués aux mandataires et défenseurs légaux.

Après avoir rappelé l'esprit genéral de la législation dont j'ai rendu compte, je puis me borner ici à une analyse sommaire et rapide des deux ordonnances royales du 2 et du 3 janvier. Je traduis aujourd'hui, par ordonnances, ce qu'alors j'ai appelé lois malgré l'identité de l'expression (verordnung), le langage constitutionnel s'étant en Prusse depuis lors rapproché également de celui de la France. Cependant la royauté qui vient d'octroyer au pays une constitution considérée à ju te titre comme fort libérale semble jalouse de conduire jusqu'au bout la tâche qu'elle s'est imposée, à savoir, ainsi que nous l'avons dit dans la dernière chronique (p. 855), d'achever seule la réforme commencée du haut en bas dès 1806. ·

Nous commençons par un extrait de l'exposé des motifs :

« Les dispositions des articles 92 et 93 de l'acte constitutionnel rendent nécessaires, d'une part, une organisation autant que possible uniforme des tribunaux inférieurs sous forme de colléges, forme qui n'y existe à présent qu'en partie; d'autre part, l'introduction de la procédure d'accusation et de l'institution du

1 V. la Revue de 1848, p. 225.

2 V. ibid., p. 47, 149, 853.

ministère public en matière d'instruction criminelle, ainsi que des dispositions législatives relatives à la composition des tribunaux du jury. La loi du 17 juillet 1846, qui a été publiée pour la cour criminelle et celle de chambre de Berlin, a servi de base pour l'introduction générale de la procédure orale et publique et de l'institution du jury dans les anciennes provinces. Cette loi s'est montrée très-efficace pendant les deux années de sa mise en vigueur, et a besoin, sur quelques points seulement, de modifications conseillées par l'expérience. De ce nombre sont notamment la restriction de la voie d'appel, en ce que le recours contre l'État des faits établis en première instance ne sera plus admis qu'autant que des faits nouveaux ou des preuves nouvelles auront été produits; car le recours admis sans restriction contre l'ensemble des faits tel qu'il a été constaté, ne saurait se concilier avec le principe que le juge, sans être astreint aux règles positives sur les preuves établies jusqu'à présent, ne devra plus se prononcer que d'après son intime conviction, puisée dans l'ensemble des débats qui ont eu lieu. Il a fallu, en outre, abroger la révision admise dans la loi du 17 juillet, et la remplacer par la voie de nullité, laquelle, d'une part, assure une protection complétement suffisante à l'accusé contre des vices importants de l'instruction et contre des erreurs essentielles des juges, et, d'autre part, paraît propre à exclure des pourvois mal fondés contre les décisions criminelles. Enfin il a paru convenable de limiter le principe qu'une instruction déjà commencée devant les tribunaux doit sans restriction être arrêtée sur la réquisition du ministère public. A l'appui de la restriction en vertu de laquelle il sera réservé à la décision du tribunal de statuer s'il devra être donné suite à l'instruction déjà commencée, on peut citer non-seulement l'expérience de la législation rhénane, mais encore les égards dus aux tribunaux, investis par l'État du pouvoir de punir. Ces modifications de la loi du 17 juillet forment l'objet des §§ 11, 47, 76, 126 et suiv., 130. La loi contient de nouvelles dispositions relatives à la formation du jury. La législation rhénane, en vigueur dans une partie de la monarchie pendant une longue suite d'années, offre un exemple qui mérite d'être imité dans cette institution encore nouvelle pour les pro

vinces orientales, autant pour satisfaire par là à leur égard aux exigences de l'époque, que pour amener l'harmonie nécessaire d'institutions importantes dans la monarchie entière. En conséquence, les dispositions de cette législation relatives à la capacité de faire partie du jury (§§ 30-36 de l'ordonnance), à la confection des listes et au mode d'en extraire le jury (SS 64-68), ont été adoptées. Elles ont servi également de modèle pour la composition des tribunaux de cinq juges, pour la manière de procéder lors de la mise en accusation, la formation du jury dans chaque instruction, et pour le mode dont le verdict sur la culpabilité doit être rendu (SS 68, 75, 83, 105). Nous croyons pouvoir manifester la conviction que par là il a été satisfait autant aux vœux de la grande majorité de la nation qu'aux nécessités commandées par la sécurité et l'énergie de la procédure criminelle, par rapport à une institution entièrement nouvelle dans les anciennes provinces. La section relative au mode de procéder en matière de contraventions de police a été empruntée presque sans modifications à la loi du 17 juillet 1846, laquelle, sur ce point encore, s'est montrée efficace. >>

L'ordonnance du 2 janvier est divisée en quatre sections: la première concerne l'abolition de la juridiction patrimoniale, la deuxième celle de la juridiction privilégiée, la troisième l'organisation des tribunaux, et la quatrième contient des dispositions générales.

Pour faire apprécier l'importance des réformes contenues dans la première section, il suffira de rappeler qu'il a existé jusqu'à présent dans la monarchie prussienne 6,555 justices patrimoniales, dont 623 relevaient du ressort de la cour de chambre de Berlin, et 988 se trouvaient dans le ressort de la cour supérieure de Breslau.

Le § 1 prononce l'abolition de toute juridiction des princes médiatisés, des villes et des propriétaires fonciers en matière civile et criminelle, ainsi que celle de la juridiction ecclésiastique, lorsqu'il s'agit de la dissolution, de la non-validité ou de la nullité des mariages. Toute justice sera exercée désormais au nom du roi et par des juges nommés par l'État.

D'après le § 2, cette abolition a lieu sans indemnité; les charges,

ainsi que les bénéfices de ces diverses juridictions passeront à l'État. Le § 3 promet de respecter les services des juges qui sont investis actuellement de l'exercice de ces juridictions.

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SECTION II, 9. Les juridictions privilégiées de certaines personnes, immeubles et droits ainsi que celle du fisc, sont abolies. Chacun est soumis aux tribunaux ordinaires du ressort, et les immeubles à ceux de leur situation. Les corporations et êtres moraux sont justiciables des tribunaux du ressort où leur syndic a son domicile. § 10. La juridiction militaire en matière criminelle et celle des étudiants seront réglées par des lois spéciales. § 11. Les contestations concernant la famille du roi continueront à être régies par les statuts de la maison royale (hausgesetze). · - § 12. Les contestations relatives à la dissolution, la non-validité et la nullité des mariages seront portées de nouveau devant le juge personnel 1. — § 13. Est abolie également la juridiction spéciale en matière des mines. — § 14. La confirmation des adoptions et l'autorisation de vente des immeubles, appartenant à des mineurs, rentrent dans les attributions des tribunaux ordinaires. § 15. Sont exceptées les personnes et choses exemptées en vertu du droit particulier de certaines provinces ou de certains statuts. § 18. Les juridictions actuellement établies seront conservées autant qu'elles peuvent être mises en harmonie avec les dispositions précédentes jusqu'à ce qu'il soit procédé à une organisation judiciaire géné→ rale et uniforme. En conséquence, la justice sera exercée en première instance par des tribunaux d'arrondissements et de villes et par des juges uniques, en deuxième instance par des cours d'appel, et en dernière par la cour suprême de Berlin. Des tribunaux de commerce et d'industrie seront établis dans les localités où le besoin s'en fera sentir.

I, Tribunaux de première instance. § 19. Le ressort d'un tribunal d'arrondissement comprendra environ 40 à 70,000, en moyenne 50,000 habitants. En conséquence on réunira, dans les territoires où il n'y a eu que des juges uniques (landrath), ces derniers pour former des tribunaux composés de six juges au moins et d'un président, dont le siège sera établi au chef-lieu. La loi du 28 juin 1844 y avait rétabli la juridiction ecclésiastique.

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