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Il semble donc que le nom de Çâlivâhana, alors qu'il commence d'apparaître dans les inscriptions datées en ère Çaka, ne soit que l'expression plus tardive des souvenirs antiques que conservait la tradition. Plus près des faits, celle-ci est d'abord exacte avec l'inscription de Bâdâmi. Nous la voyons s'altérer à partir de Brahmagupta: cependant l'ère Çaka maintient son nom, en vertu de la tradition primitive. Mais à mesure que la légende défigure de plus en plus l'histoire, que le Çaka ne garde qu'un rôle de vaincu qui s'efface dans la gloire du victorieux Çâtavâhana, le nom de ce dernier devient celui de l'ère elle-même : parce qu'il a vaincu Nahapâna, Çâtavâhana dénomme l'ère, il la dénomme tardivement parce qu'il a fallu que la légende prît le temps d'empiéter assez sur l'histoire pour enlever au nom de l'ère le caractère que les faits y avaient marqué.

Il est bien clair que ce dernier point n'a pas la valeur d'une preuve absolue; réuni à ceux qui précèdent il leur ajoute, toutefois, et reçoit d'eux cette valeur que se prêtent mutuellement des indices de sortes diverses orientant tous la recherche vers une même solution.

LES INDO-SCYTHES

ET

L'ÉPOQUE DU RÈGNE DE KANICHKA,

D'APRÈS LES SOURCES CHINOISES,

PAR

M. ÉDOUARD SPECHT.

La Chine est sans contredit une des nations qui nous offre le plus de documents historiques. Dès la plus haute antiquité, des chroniqueurs officiels consignèrent jour par jour les événements remarquables de ce pays; à côté d'eux, une foule de véritables historiens se sont succédé d'àge en âge depuis Ssema-ts'ien 1, mettant en œuvre ces informations et recueillant avec soin, dans ces sources qui ne nous sont malheureusement pas accessibles, tous les renseignements relatifs aux rapports de la Chine avec les peuples voisins.

Ils ont également utilisé, sur ce point particulier, les renseignements fournis soit par des voyageurs étrangers venus en Chine, soit par des Chinois qui

1 Sse-ma-t'sien est né vers l'an 145 avant J.-C. M. Chavannes a entrepris la traduction de cet auteur; les deux premiers volumes ont paru.

avaient parcouru l'Asie. Les historiens chinois se font remarquer surtout par leur précision; ils enregistrent rigoureusement ce qu'ils ont vu et appris.

Les découvertes archéologiques faites dans l'Inde viennent tous les jours confirmer l'exactitude de la relation du fameux voyageur chinois Hiouen-thsang; les monnaies anciennes trouvées dans l'Asie centrale ne font que vérifier les assertions des historiens chinois. Le petit nombre de faits relatifs à l'histoire de l'Asie occidentale que nous pouvons relever dans les historiens de cet empire sont précieux pour nous, parce qu'ils nous font connaître les événements qui se sont produits à l'ouest ou au nord de la Chine.

Les vastes contrées bornées à l'Occident par l'empire des Arsacides et des Sassanides, et à l'Est par la Chine propre ou la Tartarie, ne sont entrées dans le domaine de l'histoire que grâce aux historiens chinois. Les renseignements fournis par ces derniers corroborent et complètent ceux des auteurs grecs et des historiens arabes.

L'histoire de l'Inde est loin de nous offrir les mêmes ressources; aussi M. de Gobineau a-t-il pu juger sévèrement le manque de précision et de données chronologiques qui distinguent ce que l'on est convenu d'appeler les chroniques indoues, bien qu'elles ne méritent guère ce nom 1. Après le remarquable cours fait à la Sorbonne par Bergaigne sur l'Histoire de l'Inde, on avait eu l'espérance que, grâce

1 Essai sur l'inégalité des races humaines, t. II,

p. 354.

aux découvertes des archéologues, les inscriptions et les autres documents recueillis soit dans l'Inde même, soit dans les autres pays limitrophes, pourraient fournir un jour aux savants européens les documents nécessaires pour écrire enfin l'histoire de cette grande presqu'île. C'est, en effet, sur cette base solide qu'il convient de se maintenir si l'on veut obtenir des résultats positifs, et il peut être dangereux de s'en écarter pour s'appuyer sur des données précaires de légendes dépourvues d'autorité historique. C'est la leçon qui me semble se dégager d'un essai récent1, tendant à bouleverser les idées auxquelles on s'était sagement arrêté sur l'époque du règne du fameux roi indo-scythe Kanichka.

Le règne de Kanichka, qui constitue une des périodes les plus importantes de l'histoire de l'Inde, a été souvent étudié. Par suite de la pénurie de renseignements relatifs à ce prince et de l'incertitude de la chronologie indienne, les auteurs européens n'ont pas été d'accord sur la date de son avènement. Lassen le plaçait entre les années 10 et 40 de notre ère 2. M. Fergusson, dans un savant mémoire 3, avait proposé de fixer en 78 de notre ère la date du couronnement de Kanichka; c'est cette date qui avait été généralement adoptée par tous les indianistes comme la plus probable.

Aujourd'hui M. Lévi, se basant principalement

1 Voir l'article de M. Lévi, Journ. asiat., janvier-février 1897. 1 Lassen, Indische Altherthumskunde, 2o édit., t. II, , p. 806. 3 J. R. A. S., 1880, p. 259.

sur les Actes de saint Thomas, croit pouvoir refaire toute cette chronologie, sans avoir préalablement examiner la valeur historique de cet ouvrage, qui a été placé par le Concile de Rome de 494 parmi les livres apocryphes.

Ces Actes rapportent que saint Thomas, après avoir séjourné chez le roi Gondopharès, alla dans le royaume du roi Misdeos où il fut tué.

M. Lévi identifie Misdeos avec le second successeur de Kanichka, Vâsudeva, roi des Kouchans qui sont les Yué-tchi des Chinois, autrement dit les IndoScythes. Ce prince serait donc contemporain de saint Thomas, martyrisé, selon la plupart des auteurs catholiques, à une date incertaine1et, selon M. Lévi, le 21 décembre 68 après Jésus-Christ, date à laquelle les chrétiens de saint Thomas placent le martyre de l'apôtre. Les inscriptions de Vâsudeva portant les dates de 83, 87 et 98 de l'ère de Kanichka, il en résulte que Kanichka aurait régné 50 ans environ avant notre ère, puisqu'il y a un intervalle d'au moins 98 ans entre l'avènement de ce souverain et Vâsudeva.

C'est en s'appuyant sur cette donnée si fragile de l'identification de Misdeos avec Vâsudeva que M. Lévi croit pouvoir renverser tous les travaux de ses devanciers. M. Lévi est muet sur les recherches des

1 Tillemont, Hist. eccles., t. I, p. 357. «On ne sait point en quelle année saint Thomas a fini sa vie, sinon que saint Nil (moine grec du Iv° siècle) dit assez nettement qu'il n'a souffert le martyre qu'après saint Pierre et saint Paul, martyrisés en l'an 66. »

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