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LA DÉCADE

PHILOSOPHIQUE, LITTÉRAIRE

ET POLITIQUE.

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AN XI de la République Française. Ier TRIMESTRE. 10 brumaire.

REP.FRA

INSTITUT NATIONAL.

EXTRAIT de la notice des travaux de la classe des sciences morales et politiques, pendant le dernier trimestre de l'an 10. Par le C. GINGUENĖ,

secrétaire.

LE C. Delisle de Sales a terminé son Tableau du règne de Louis XV, de ce règne qui semble être placé entre l'époque où les ressorts du Gouvernement monarchique furent trop tendus et celle où ils se sont brisés, pour expliquer de la manière la moins équivoque, c'est-à-dire par les faits, comment l'une conduit inévitablement à l'autre.

LE C. Lévesque, dans un Mémoire sur l'Histoire, l'a considérée comme science et comme art. Comme science, elle est le registre des faits. Chaque jour elle fait de nouveaux progrès, puisqu'elle s'enrichit de faits nouveaux. Les contemporains sont curieux de savoir tout ce qui se passe autour d'eux. Dans les tems de calme, cette curiosité s'empare des gens oisifs; elle est la passion de tous dans des tems où tous sont dans l'agitation et l'inquiétude. Pour satisfaire leur impatiente avidité, on a imaginé les journaux qui leur offrent chaque jour l'histoire de la journée. On affecte de les mépriser; mais ils sont An XI, 1er Trimestre. N

bien plus fidèles que les traditions et les bruits publics qui ont été long-tems les seuls matériaux de l'Histoire.

ceux que

Les faits stériles, qui n'ont pas d'influence sur l'avenir, perdent sans cesse de leur valeur. On les élague; et de l'on conserve, se forment les annales. Les contemporains les aiment d'autant plus qu'elles sont plus détaillées. « Si l'annaliste a du talent, on sera long-tems sans » lui en avoir d'obligation, parce que le talent n'est pas » ce qu'on lui demande. La diffusion est un vice qu'on lui » pardonne, parce qu'elle le rend petit comme la plu>>-part de ses lecteurs. »

L'Histoire, considérée comme science, fournit la matière à l'Histoire considérée comme art. C'est celle-ci qu'on appelle l'Histoire proprement dite, et dont les Grecs et les Romains nous ont laissé de beaux modèles.

Elle est destinée à la postérité, et ne conserve que ce qui peut l'instruire ou lui plaire. Bien des événemens qui fixent l'attention des contemporains perdront toute leur importance; elle les rejette. Bien des hommes qui ont de la réputation de leur tems, ne seront plus que des hommes ordinaires; elle ne daigne pas les nommer. Elle exige deux sortes de critique: l'une qui, dans les contradictions, les exagérations, les mensonges des annales, démêle la vérité; l'autre, plus difficile encore, qui, dans un chaos d'événemens, sáit distinguer ceux qui méritent d'occuper un sage lecteur. Elle peint à grands traits, et fait plus d'impression que les annales, parce que, dans celles-ci, des faits vulgaires étouffent les grands événemens, et des hommes vulgaires les grands hommes.

Il est bien difficile d'écrire l'Histoire pour les contemporains. L'auteur veut être historien, et ses lecteurs veulent qu'il ne soit qu'annaliste ; il veut être impartial, et ses lecteurs sont passionnés. S'il lutte contre son siècle, il n'aura des amis que dans les siècles où il ne vivra plus.

« Mais, dit le C. Lévesque, les témoins de notre révo»lution doivent être dans une disposition favorable pour » écrire l'histoire des siècles passés. Ils ont vu tant de

» grands renversemens, tant de grandes calamités, tant » de grandes conceptions, tant de grandes actions, un si » grand homme, que tout ce qui n'est pas sublime leur » semble petit. De tout ce qu'ils ont vu de grand, ils ont » appris à voir grandement. Voir grandement, c'est em» brasser d'un coup-d'oeil beaucoup d'objets, c'est réduire beaucoup d'objets à l'unité. Quand on voit ainsi, on s'exprime en peu de mots. »>

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LE C. Romme, associé, professeur de mathématiques, a communiqué à la classe un écrit intitulé: Marées observées au port de Rochefort, sur la rivière de Charente, pendant le cours de deux lunaisons. D'accord avec les physiciens, les astronomes et les géographes, d'accord avec lui-même dans les observations qu'il fit l'année dernière sur le même phénomène, il explique ces marées par le principe de la gravitation de la lune.

LE C. Bernardin de Saint-Pierre a lu, dans la séance suivante, des objections contre ce principe, faites d'abord de vive voix, précédemment consignées dans l'avertissement du quatrième volume de ses Etudes de la Nature, et auxquelles il a donné de nouveaux développemens.

On avait cru jusqu'à présent que la découverte de l'Amérique était due à Christophe Colomb: c'était un de ces points de l'histoire sur lesquels tous les auteurs sont d'accord, et qui pouvait être considéré comme l'un des plus certains. Cependant il s'est élevé à ce sujet, dans ces derniers tems, des doutes qui ont paru assez fondés à plusieurs savans, et qu'ils ont jugés dignes de leur attention. On vient d'annoncer dans les papiers publics qu'il existait, dans la bibliothèque de Saint-Marc, à Venise, une carte d'André Bianchi, faite en 1436, dans laquelle se trouvait une grande île nommée Antilia, située dans l'ouest des iles Açores; ce qui prouve, dit-on, que l'Amérique était connue avant la découverte qui en a été faite par Christophe Colomb; on ajoute que le savant Morelli, biblio

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thécaire de Saint-Marc, va publier cette carte. Cette annonce a donné lieu au C. Buache d'examiner de nouveau la carte de Bianchi qui était connue depuis 1783, par l'édition et les commentaires qu'en a donnés Formaleoni, à la suite de son ouvrage intitulé: Saggio sulla Nautica antica de Veneziani.

La première idée qui se présente à la vue de cette carte, où l'on trouve en effet une grande île nommée Antilia, placée dans l'ouest des Açores, et le commencement d'une autre île située au nord d'Antilia, et nommée Ysola de la man Satanaxio, c'est que ces deux îles sont des parties de l'Amérique ou quelques-unes des iles connues aujourd'hui sous le nom d'Antilles, puisqu'il n'existe aucune autre terre dans tout l'espace compris entre les Açores et l'Amérique. La carte de Bianchi ayant été faite eu 1436, il paraîtrait donc naturel d'en conclure que l'A- mérique ou quelques-unes de ses parties étaient connues avant les voyages de Christophe Colomb. C'est aussi l'opi- . nion qui a éte adoptée par Formaleoni; mais cette opinion ne peut se soutenir après un examen sérieux de la carte de Bianchi, comparée à d'autres monumens également authentiques qu'il convient aussi de consulter.

Il existe une lettre (1) du savant Paolo Toscanelli, l'auteur du Gnomon de Sainte-Marie de Florence, datée du 25 juin 1474, et dans laquelle il est fait mention de l'île Antilia. Cette lettre fut adressée d'abord à Fernando Martinez, chanoine de Lisbonne, qui avait consulté Toscanelli, de la part du roi de Portugal, sur la possibilité de retrouver les Indes. Elle fut envoyée ensuite à Christophe Colomb, en réponse à une lettre qu'il avait écrite à Toscanelli sur le voyage qu'il se proposait d'entreprendre. Il n'est question dans la lettre de Toscanelli que de la route qui lui paraît la plus courte pour aller aux Indes, et des

(1) Cette lettre se trouve dans un ouvrage du jésuite Ximenès, intitulé: Del Vecchio e nuovo Gnomone Fiorentino ; et dans une lettre de M. Barros aux auteurs du Journal des Savans, janvier 1758.

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