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Beaucoup d'enfans naturels parvenus à des postes éminens, aux richesses, à la célébrité, ont fait passer leur bonheur en proverbe. Mais ce ne fut pas à la chance de leur naissance qu'ils durent leur fortune, mais aux effets de cette cause. Sans nom, sans ressources, sans parens, la nécessité laborieuse, ange tutélaire de tous les malheureux, leur montra la patrie et la postérité. Ces fils de la nature. échoués sur les rives du monde social, en firent le tour dans un esquif. Ils s'élancèrent vers ce qui était négligé et sur ce qui n'avait point été tenté. N'ayant point à lutter contre les affections filiales dans les cas périlleux, ils entreprirent des choses extraordinaires; et audacieux à la fois par calcul et par enthousiasme, ils démontrèrent aux hommes réunis ce qu'un seul homme, repoussé de la société, pouvait vaincre et surmonter, pour mériter son admiration et son estime.

La sensibilité n'a pas besoin de cette observation pour apporter ses soins à la conservation des enfans naturels ; mais la politique continuera de la méditer.—Si l'on pouyait supposer l'absence de la pitié nationale, j'en appellerais aux bénéfices que le corps social en retirerait, en faisant sur eux des essais dont la réussite serait applicable ensuite à la masse générale. On nous conseille d'établir des fermes expérimentales de culture.....Ne pourrait-on aussi en essayer d'éducation? Toutes les sciences isolées en apparence, partent toutes d'un centre commun et ne forment qu'un même tissu.

Pour établir une bonne éducation dans les asyles ouverts aux enfans délaissés, jetons un coup d'oeil sur les principes qui dirigeaient à cet égard le gouvernement antérieur à 1789.

Les seigneurs hauts-justiciers étaient assez généralement tenus de pourvoir à la subsistance des enfans exposés ou délaissés.

Dans quelques pays de coutumes, les généraux de paroisses en étaient chargés.

Dans le premier cas, c'était une suite d'usurpation des

droits régaliens. Le haut-justicier qui s'était emparé du droit de vie et de mort, s'empara de même des enfans délaissés, parce que toute chose délaissée sur le fief appartenait au maître du fief. Les jurisconsultes appèlèrent l'une de ces prérogatives, droit de glaive, et l'autre, droit d'épave.

Dans le second cas, il parut juste que les hommes que la terre nourrissait, alimentassent l'enfant délaissé sur cette

terre.

Mais dans les pays de droit écrit, comme dans les provinces coutumières, il périt un grand nombre d'eufans abandonnés, et surtout à l'époque où les enfans naturels des nobles, cessèrent de faire partie de l'ordre de la noblesse. Alors l'humiliation des mères réjaillit plus que jamais sur les fruits de leur égarement; la dureté des mœurs éteignit trop souvent la compassion; on répugnait de toucher à un être issu d'un commerce clandestin ; on ne le soignait pas du moins avec l'intérêt dû à son abandon; et l'on ne vit plus dans l'adoption des enfans délaissés qu'une charge pénible et dispendieuse, qu'une diminution dans les produits des seigneuries, et qu'une contribution onéreuse pour les paroisses, à ajouter aux impositions royales et féodales, aux corvées exigées par le roi et la seigneurie, et aux séquestres apposés par de durs propriétaires.

La condition des filles victimes de la séduction devint insupportable. Restaient - elles sur le territoire ?... elles n'éprouvaient que dédaius et amertumes; elles étaient frappées de la malédiction de leurs pères : elles quittaient bientôt une vie jonchée d'ignominies. Sortaient-elles du hameau natal?.... les souvenirs de leur enfance, un plus déchirant souvenir encore, celui de leur tendresse abusée, faisaient chanceler leurs pas. La misère s'imissait à leur opprobre; dépouillées de l'opinion pour une fragile erreur, elles renonçaient à l'opinion dans toutes les circonstances: si quelquefois les coupables de leur désastre, agités par la bonne conscience, ou vaincus par la compassion, s'unissaient à elles par des liens légitimes, ne croyez pas que

la société, dans les campagnes surtout, se contentât de cette réparation.... Lors de la publication des hans, on omettait de joindre à leurs noms la qualification d'honnêtes filles. Au hameau, rien de ce qui a blessé les mœurs et les usages ne s'oublie; il n'est point d'expiation qui en efface la plaie le trait qui l'avait ouverte, y restait toujours malgré vingt ans de vertus maternelles ; et long-tems après la mort de l'infortuée, on montrait encore son premier né, en disant: Il fut conçu avant le mariage.

Sans doute si dans l'âge des surprises et des enchantemens, une vierge comblée de la tendresse de ses parens, l'idole de sa mère, la beauté de son hameau, pouvait sonder l'abime où précipitent trop souvent l'ignorance naïve, l'imprécaution naturelle à son sexe, la séduction. enivrante, l'égalité de fortune et quelquefois la supériorité du rang.... Si à quinze ans, premier printems de la vie, à l'époque de la première floraison, une jeune personne, brillante d'attraits, environnée d'hommagés, avait la force de lutter avec les penchans les plus doux et de résister aux lois décevantes de la nature.... Si elle savait alors se rendre compte de l'opinion publique, immobile et silencieuse quand elle est favorable, agitée et orageuse quand elle est incertaine, armée de tous les supplices quand elle juge à mort; de cette opinion inexorable dans le choix de ses victimes, et irréfléchie dans le choix de ses preuves, capricieuse dans l'énoncé de ses sentences et sans révision quand elle les a portées ; de ce sceptre magique que porte rarement la main des bons, et de ce glaive exterminateur dans la main des méchans; de cette mégère châtiant presque toujours l'erreur comme le crime, et la faiblesse comine les forfaits, frappant du caillou qui fit broncher la jeunesse bouillante le front blanchi du vieillard vertueux, et suspendant à ses fourches patibulaires les holocaustes de ses proscriptions, sans du moins élever à côté leurs trophées ou leurs couronnes civiques: oui, sans doute, je serais le premier, du hant de cette tribune, à rappeler toute la rigueur de ces préjugés antiques....: et

voilant la nature pour être plus impassible qu'elle, je rouvrirais les tombes de Vesta, si les hommes du jour présent ressemblaient aux hommes du jour passé, s'ils respectaient les roses du jardin social et les familles où la confiance les admet comme dépositaires, si le métier de séducteur, n'était pas devenu un art libéral, professé dans les sociétés du bon ton, applaudi sur nos théâtres, enseigné dans nos romans et prôné souvent, jusqu'à la démence, et par ses coryphées et par ses dupes!

Mais il faut l'avouer, nous sommes corrompus..... Il n'y a que les instituteurs suprêmes qui puissent ramener aux mœurs par l'éducation, et à la bonne éducation par l'influence de la religion du cœur sur les sentimens de la nature.

Je me rapproche de mon sujet immédiat, pour faire connaître un abus meurtrier, provenant de la charge des enfans délaissés, autrefois supportée par les paroisses ou les seigneurs.

L'opprobre attaché aux naissances hors la loi, inspira aux malheureuses mères une foule de pensées pour y échapper en secret. Il y en eut qui, aux approches de l'enfantement, poursuivies par la honte, arrêtées par la terreur, se traînèrent la nuit vers les bords d'une commune étrangère. Eu vain elles supplièrent la douleur d'être silencieuse! des cris perçans les décélèrent..... Voyez les habitans voisins de sa retraite...., ils accourent, croyant que des malfaiteurs profitent de l'absence du jour pour égorger.... C'est un enfant qui nait! Ses cris changent tout à coup leur attendrissement en férocité! Le seigneur ou la commune serout chargés de la nourriture et de l'entretien de cet enfant.... On le saisit avec sa mère, on les transporte sans ménagement sur une autre commune, on les y délaisse sans secours!

Dans mon adolescence, je fus témoin d'un pareil forfait. · Celui qui venait de le diriger s'en faisait gloire. Il avait ‹épargné à sa paroisse la nourriture d'un enfant, disait-il, et il le disait comme s'il eût sauvé la vie d'un citoyen!

Mais, hélas! à quel fil est suspendue la vie de cet enfant? Résistera-t-il à l'inclémence des airs, à la dureté de l'homme, à l'absence de l'art, lorsque tant de fils de famille échappent, dès leur première heure, à tous les soins. et à toutes les espérances? Et ces cris du nouveau né qui, dans nos ménages, changent tout à coup la douleur cuisante des mères en voluptés inexprimables et qui font couler les premières, les douces larmes de la paternité; ces vagissemens plaintifs qui appellent le sein nourricier et qui s'appaisent quand la tendresse maternelle l'a présenté, ne provoqueront-ils pas, dans cette circonstance horrible, les fureurs de Thieste ?... Grands Dieux ! N'achevons pas de si tristes présages. Je me bornerai à dire que le nombre des infanticides était effrayant et l'est peut-être encore, malgré la loi de Henri II qui prononce la mort, même faute de déclaration de grossesse ; que cette loi sévère, qui devait être proclamée au prône des paroisses tous les aus, ne l'était pas toujours; que dans certaines contrées, les déclarations étaient souvent reçues par un magistrat trop jeune ou par un magistrat trop âgé ; que dans d'autres, des administrations d'hôpitaux s'en étaient déchargées sur un préposé à gages; que la vie des filles enceintes fut trop de fois compromise, soit par la prétention des tribunaux d'interpréter les lois et surtout celle d'Henri II, en outrant sa rigueur satisfaite d'une déclaration faite à deux hommes irréprochables, soit par les dangers résultans de quelques aphorysmes hypothétiques de la médecine légale, et cependant faisant foi en jugement; soit par les effets terribles de fignorance d'officiers. de santé dans leurs rapports et de leur opiniâtreté à y persister. — Avec tant d'écueils pour l'honneur des mères et la vie des enfans, comment le crime d'infanticide n'eûtil pas été fréquent ?

Lorsque le sentiment de l'humanité l'emporta sur le sentiment pénible de la honte et la férocité des mœurs, l'enfant abandonné fut placé dans un hospice. Honneur sans doute, à jamais honneur à Vincent de Paule, à tous les

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