Sidor som bilder
PDF
ePub

dent aucune occasion de l'outrager, se taisent sur ce fait si grave, et qui leur eût fourni de si fortes armes.

« On connaît la célèbre conférence qui, par ordre du gouvernement espagnol, eut lieu à Valladolid, en 1550, entre Las Casas et Sepulveda. Celui-ci prétendait qu'il était juste de faire la guerre aux Indiens pour les convertir. Las-Casas le réfutait par les principes de tolérance et de liberté en faveur de tous les individus de l'espèce humaine; et ces principes obtinrent l'approbation solennelle des Universités d'Alcala et de Salamanque. S'il eût commis l'inconséquence de vouloir substituer les nègres aux Indieus, Sepulveda, qui était un esprit délié et très-exercé dans le genre polémique, n'eût pas manqué de signaler cette contradiction: elle n'eût pas échappé à l'Académie d'histoire de Madrid, qui donna il y a vingt ans une magnifique édition de cet apologiste de l'esclavage, tandis qu'il n'existe pas encore une édition complette des œuvres du vertueux Las-Casas; et cette Académie ne rougissait pas d'approuver ce qu'elle-même appelle une pieuse et juste violence exercée contre les payens et les hérétiques.

[ocr errors]

Si l'on interroge les propres ouvrages de Las Casas, tous déposent en sa faveur.

, Dans le traité curieux et très-rare où il examine si les chefs

du gouvernement peuvent aliéner quelque portion du territoire national, il établit que ce qui imposte à tous exige le consen-. tement de tous , que la prescription contre la liberté est inadmissible, que la forme de l'état politique doit être déterminée par la volonté du peuple, parce qu'il est la cause efficiente du gouvernement et qu'on ne peut lui imposer aucune charge sans son consentement.

[ocr errors]

Ses autres ouvrages présentent la même doctrine; on la trouve spécialement dans celui où il expose les moyens de remédier aux malheurs des indigènes du Nouveau-Monde ; il répète que la liberté est le premier des biens; et que toutes les nations étant libres, vouloir les asservir sous prétexte qu'elles ne sont pas chrétiennes, c'est un attentat contre le droit naturel et le droit divin. Il ajoute que celui qui abuse de l'auto

rité est indigne de l'exercer, ét qu'on ne doit obéir à aucun tyran. Il indique, dans le plus grand détail les mesures à prendre pour soulager les malheureux Indiens. Assurément c'était là l'occasion de proposer l'importation des noirs, s'il eût été capable de s'écarter des principes qu'il avait si bien développés, et néanmoins il n'en parle pas. Il y a plus: un passage de cet écrit, le seul où j'aie trouvé le mot nègres, prouve que déjà on les employait. Les Indiens, torturés par les divers agens de l'autorité publique et par leurs maîtres, le sont encore, dit-il, par les domestiques et par les negres. ››

Parmi les manuscrits de la Bibliothèque nationale, le C. Grégoire en a découvert deux sous le N° 10,536, dont le premier lui paraît être de Las-Casas : on y décide nettement, malgré la donation d'Alexandre VI, que les rois de Castille sont obligés de restituer aux descendans des Incas le royaume du Pérou, que les Castillans sont tenus de rendre aux Indiens les mines, les terres et tout ce qu'ils leur ont pris ; il n'y est pas question des noirs. Le nom de Las Casas est inscrit sur le second manuscrit, C'est une lettre écrite en 1555. L'auteur y met dans un nouveau jour les réclamations des Indiens, et quoiqu'il parle des noirs comme existans en Amérique, supprimer les repartimientos (1) est le seul remède qu'il propose aux malheurs des indigènes. Il s'élève de toute la force de son caractère et de ses principes contre l'esclavage des Indiens et contre ceux qui les y retenaient à qui persuadera-t-on qu'une différence de couleur lui eût fait abjurer, à l'égard des nègres, ses principes et son caractère?

:

Las-Casas eut beaucoup d'ennemis. Deux siècles plus tard, il en aurait eu encore davantage. Dans un tems où les Cortès existaient encore en Espagne, où les Arragonais avaient établi une constitution presque républicaine, il proclamait sans opposition des vérités que le despotisme n'avait pas encore étouffées; quand ce monstre eut

(1) Les répartitions ou le partage que les Espagnols se faisaient entr'eux des Indiens pour les travaux de la culture et des mines.'

tout envahi, Las-Casas eut à ses yeux le tort impardonnable d'avoir abhorré et combattu l'obéissance passive. Il avait défendu des malheureux que la cupidité livrait à la servitude, aux tourmens et à la mort ; il avait soulevé l'indignation de toutes les ames sensibles contre les horreurs dont il avait été témoin : les auteurs de ces crimes s'empressèrent de les nier, et s'efforcèrent de le noircir. Des hommes qui assassinent ne craignent pas de calomnier, et s'il y a quelque chose de surprenant, ce n'est pas que Las-Casas ait été poursuivi par la calomnie, c'est qu'on n'ait pas armé contre lui le poison ou les poignards.

On lui a reproché sérieusement d'avoir cru qu'on pouvait civiliser par la voie douce de l'instruction et des bienfaits ces Indiens, dont la candeur est peinte d'une manière si touchante dans ses écrits et dans ceux de Palafox. On lui reproche encore « trop de véhémence pour faire triompher ses projets relatifs à la liberté, et pour alléger les maux de ses semblables. Un tort de ce genre n'est pas commun; et Las-Casas parlant, écrivant, volant d'un hémisphère à l'autre, voyageant sans cesse pour atteindre ce but, avec un courage qui s'irritait par les obstacles, dut paraître bien bizarre à tant d'hommes qui subordonnaient toutes leurs affections à l'intérêt personnel. »

Des écrivains espaguols ont voulu prouver qu'il avait exagéré les cruautés commises en Amérique. L'entreprise n'est pas facile. Ils ont à combattre le témoignage de tous les missionnaires et de tous les historiens. D'ailleurs, « si ces cruautés ne sont qu'une fiction, qu'on nous explique comment à Saint-Domingue, toute la population indienne qui était si nombreuse, s'est éteinte au point qu'il n'en reste pas un seul individu. »

Mais ces cruautés, aussi incontestables qu'elles sont horribles, est-ce au fanatisme religieux qu'on doit les attribuer, comme le prétend Marmontel dans la préface de ses Incas, et comme d'autres écrivains l'ont dit avant et après lui? Le C. Grégoire soutient que non. Il rappelle

qu'en

qu'en 1777, dans un opuscule intitulé: Lettre d'un lecteur du Journal Français et de l'Année littéraire à M. Marmontel, « on lui prouva démonstrativement que son assertion était faussé en soi et contradictoire sous sa plume; que l'orgueil, l'ambition, la soif de l'or, la débauche, et non le zèle de la religion mal entendu, étaient les passions honteuses qui dominaient les destructeurs du NouveauMonde. »

[ocr errors]

Il va plus loin, il affirme que la religion seule éleva la voix contre les oppresseurs, qu'elle déploya seule ses efforts pour empêcher les vexations, les massacres et pour consoler les opprimés. Il cite en preuve non-seulement les discours et les actes de Las-Casas, mais les sentences des universités d'Espagne contre la doctrine de Sepulveda, et les mesures prises en faveur des Indiens par les synodes ét les conciles tenus, dans le seizième siècle, à Mexico et à Lima.

Il revient ensuite à son sujet, et après avoir résumé les faits qui résultent de ses recherches, il rapporte, sur la foi de trois savans américains de Mexico, de Santa-Fé et de Guatimala, le vœu que forment les habitans de ces contrées, de voir ériger à Las-Casas, ainsi qu'à Christophe Colomb, une statue dans le Nouveau-Monde. Il appelle la peinture et la poësie à célébrer un sujet si digne d'exercer le talent d'un ami de la vertu. Il veut que les amis de la religion, des mœurs, de la liberté et des lettres paient un tribut de respect à la mémoire de celui « qu'Eguiara, dans sa Bibliothèque mexicaine, nommait l'ornement de l'Amérique, et qui, appartenant à l'Espagne par sa naissance, à la France par son origine, peut être nommé à juste titre l'ornement des deux mondes. »

Il termine par des réflexions remplies de l'éloquence du sentiment, et où l'on voit percer dans le défenseur de la vertu calomniée, l'homme vertueux et sensible qui s'est vu souvent lui-même en bute aux traits de la calomnie. "Si l'on demandait, dit-il, jusqu'à quel point une discussion de ce genre intéresse l'espèce humaine, cette question qui An XI. 1. Trimestre.

Р

s'applique à la plupart des faits historiques, peut être rendue de la manière suivante: Importe-t-il que l'histoire soit une suite de vérités et non un tissu de mensonges?

"Importe-t-il que l'humanité gémissante, que la postérité épouvantée des scandales et des crimes qui souillèrent la découverte de l'Amérique, calment leurs douleurs, en admirant quelques hommes célestes qui, par leurs vertus, étaient l'image de la divinité, et par leurs bienfaits les representans de la providence?

,, D'ailleurs n'avons-nous pas des devoirs à remplir envers ceux qui ont quitté la vie, comme envers ceux qui doivent y arriver? et quand le juste, descendu dans le tombeau, ne peut plus repousser les attaques de l'imposture, ceux qui lui survivent ne sont-ils pas plus étroitement obligés de plaider la cause de la vertu ?

" Les grands hommes, presque toujours persécutés, aiment à exister dans l'avenir: placés par leur génie en avant de leur siècle, ils en appellent au tribunal de la postérité ; celle-ci, héritière de leurs vertus, de leurs talens, doit acquitter la dette des contemporains. Qui pourrait regretter d'avoir été calomnié, s'il peut, à ce prix, épargner des larmes à l'humanité ? mais aussi est-ce trop d'obtenir justice quand on n'est plus ?,, G.

LITTÉRATURE.

CRITIQUE.

REVUE LITTÉRAIRE.

MANUEL METROLOGIQUE, ou Répertoire général des mesures, poids et monnaies des différens peuples modernes et de quelques anciens, comparés à ceux de France; par H. MALLET - PREVOST l'aîné. Vol. in-4° de 80 pages. Prix, 2 fr. 50 cent. A Paris, chez Fuchs, libraire, rue des Mathurins.

EN lisant l'histoire ou des voyages, on est souvent arrêté par des noms de poids et mesures dont on ne peut se faire aucune idée, ou dont on se forme une idée inexacte. On en trouvera l'évaluation dans le Manuel métrologique

« FöregåendeFortsätt »