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sultats. Aussi, après un exposé succinct de la situation de l'armée du Danube à l'époque où, après avoir cédé successivement à l'ennemi les rives de la Thur, de la Toss et de la Glatt, Masséna l'établit dans la position formidable de l'Albis, l'auteur décrit avec plus de détails qu'il n'en avait promis, sa première opération offensive qui la rendit maîtresse du Saint-Gothard et des cantons de Schwitz et d'Uri; la tentative infructueuse du prince Charles, pour passer l'Aar, et la diversion de l'armée du Rhin qui l'attira avec une partie de ses forces vers Manheim.

Cette suite d'événemens le conduit au passage de la Limat.

Il faut lire dans l'ouvrage même les intéressans détails. de cette action, ses difficultés rebutantes, la volonté forte et l'esprit de ressources qui les ont surmontées, l'importance de son objet, la grandeur de ses résultats, dont les principaux furent l'évacuation de la Suisse par les troupes de la coalition, et selon l'expression de l'auteur, la destruction du prestige de l'invincibilité des Russes.

Quoique cette relation soit l'objet essentiel du C. Dedon, et qu'il l'ait traitée avec étendue, conformément à son intention de la rendre didactique, nous n'essaierons pas d'en donner l'analyse ; à la guerre, les moindres circonstances out une influence considérable. Il faut tout voir, tout estimer, et surtout dans une opération du genre de celle-ci, où se combiuent des obstacles si variés et des moyens si divers. Je passe donc sur cette partie où je ne puis ni rien omettre, ni tout dire, et je me borne à en recommander fortement la lecture aux militaires qui étudient leur art.

Après une narration rapide des évènemens, c'est-à-dire, des victoires qui furent la suite du passage de la Limat, tels que la bataille de Zurich, où s'acheva la défaite des austro-russes; les deux combats de Mutten, où fut battu deux fois Suwarow; la seconde défaite de Korsakow entre la Thur et le Rhin, et enfin la retraite de l'ennemi sur

la rive droite de ce fleuve, le lecteur arrive à cette époque où un gouvernement généreux et fort remplaça un gouver nement faible et soupçonneux. L'armée du Rhin s'organise, reçoit Moreau à sa tête, et pour la troisième fois se dispose, sous ce digne chef, à franchir le Rhin à la vue d'un ennemi formidable.

Le passage qui fait le second objet de l'écrit du chef de brigade Dedon, offrait moins de difficultés que celui de la Limat, mais il n'est pas moins instructif en présentant quelques obstacles d'une autre espèce; et la comparaison de l'un avec l'autre peut fournir une ample matière aux méditations de l'homme de guerre.

Après le passage du Rhin, de Rechlingen, se déroule une liste nombreuse de victoires, Engen, Maskirch et Biberach qui décidèrent le succès de notre invasion en Allemagne; les savantes marches de Moreau pour éloigner Kray de ses retranchemens d'Ulm, ce passage du Danube sans bateaux qui rejeta les Autrichiens sur la rive droite de ce fleuve, l'expiation d'Hochstedt, le passage du Lech, la conquête de la Bavière, un armistice qui nous livra trois places fortes, le passage de l'Inn, enfin Lambach et Hohenlinden, qui déterminèrent Vienne à la paix. Tous ces événemens, à l'exception des trois derniers qui ne sont qu'indiqués, sont traités avec un développement et un intérêt qui prouvent, comme je l'ai dit plus haut, que l'auteur donne plus qu'il ne promet.

Je ne dis rien du style; cependant le lecteur trouvera ces relations écrites avec cette élégante clarté et cette simplicité noble qui conviennent à ce genre d'ouvrages; de plus, il y rencontrera des discussions profondes sur plusieurs des événemens qu'elles comprennent et qui décèlent dans le C. Dedou une logique pure, et une connaissance distinguée de l'art militaire. F-y.

MÊLANGES.

L'HOMME DE LETTRES DANS LA SOCIÉTÉ.

RIEN de plus embarrassant que le rôle d'un homme de lettres dans la société; il doit oublier qu'il est auteur pour être seulement homme du monde ; et cependant on exige qu'il justifie sa réputation d'auteur: s'il s'y refuse, l'envie est là, toute disposée à prendre au mot sa modestie.

La curiosité des hommes, l'amour-propre des femmes, veillent sur lui, recueillent avidement toutes ses paroles, interprètent son silence on le presse, on l'interroge : mais à peine a-t-il commencé une réponse, que la question change: il met de la liaison dans ses idées avec des gens qui n'en ont pas ; il déraisonne, précisément parce qu'il a l'esprit juste. On le trouve lourd et pédant, et il est éclipsé par un fat qui a du jargon et une belle jambe, qui tient tête à tout un cercle, et sait flatter jusqu'aux femmes laides, jusqu'à la vanité des sots.

auleurs.

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Il est des hommes qui croient qu'un poëte est une variété de l'espèce humaine. Tout le monde sait l'histoire de ce dîner où se trouvait La Fontaine, chez une marchande de la cité, qui tenait bureau de bel-esprit. Elle avait dit la veille à son bonhomme de mari Tu auras du plaisir demain ; j'aurai à dîner plusieurs Ces gens - là sont donc bien amusans? Sans doute; ça ne dit, ça ne fait rien comme les autres. Ah, ah! je t'en remercie, ma bonne, il faudra nous en divertir. Le dîner commence; le mari ne voit rien d'extraordinaire ; on ne dit mot pendant tout le premier service, et nos beaux esprits mangent comme des sots. Le marchand impatienté tire sa femme par la manche, et lui dit assez haut: Mamour, quand est-ce donc qu'ils commenceront?

Rivarol ne racontait jamais cette anécdote sans un mouvement de dépit involontaire ; il me disait: 6 Je ne vois rien de plus hu›› miliant que d'aller colporter son esprit chez ces Midas, qui ⚫ vous appellent à leur festin pour le plaisir de leur société, " et vous montrent comme une lanterne magique qu'ils ne

savent pas même annoncer. Il se vengea trop cruellement, peut-être, d'un négociant de Hambourg, qui avait voulų servir à son dîner l'esprit d'un homme que Voltaire appelait l'aimable Français. Rivarol se promit de garder un silence obstiné, pour déjouer l'espoir d'une assemblée nombreuse. Cependant, fatigué de questions et d'éloges, il répondit exprès par une forte balourdise; elle fut telle qu'on s'écria tout d'une voix : Fi! monsieur de Rivarol, fi! Eh bien! messieurs, répondit-il, je n'ai encore dit qu'une bêtise, et vous criez tous au voleur!

Je suis loin d'approuver une sortie aussi dure contre des gens qui s'étaient préparés à lui payer un tribut d'admiration dont il était plus jaloux que personne. Rivarol mit en viager un fonds de talent qu'il aurait dû placer sur la postérité : on pourrait lui appliquer ce qu'il a écrit sur M. Necker: Il a échappé à la France et à sa réputation.

Mais revenons à l'homme de lettres, qui va dans le monde,, soit pour l'observer, soit pour se délasser de ses travaux. Il quittera difficilement l'esprit du cabinet pour prendre celui du salon. Nous voyons le guerrier, l'artiste, le magistrat, employer à leur insçu des figures et des termes relatifs à leur profession, si bien qu'on peut facilement connaître l'état d'un homme d'après sa conversation. L'homme du monde doit donc avoir un avantage prodigieux sur l'homme de lettres, par cela seul qu'il est uniquement homme du monde. Il est là sur son terrain, il connaît à fond les rapports d'ambition, les haines, les amitiés, et ce qui est plus essentiel encore les faiblesses de tous ceux qui

l'entourent.

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L'homme du monde regarde les convenances comme sa grande affaire, parce que plaire est son unique soin; l'homme de lettres méprise un succès de société, et ne se donne pas la peine de briller devant des juges qu'il récuse; et tandis qu'observateur dangereux et censeur redouté, il froisse tous les amours-propres, l'homme du monde, habile à les consoler, reste maître du champ de bataille.

Qu'il est aimé, celui qui rend aimable !

N'oublions pas d'ailleurs, que l'esprit écrit est diamétralement opposé à l'esprit parlé. Le premier exige un plan, une distribution dans les parties, un choix d'expressions. Le second plaît

par son désordre, par une aimable négligence qui se laisse entraîner au torrent des digressions. Cette différence a souvent été sentie lorsqu'on a voulu décrire un conte ou une anecdote qui avait fait les délices d'une soirée ; ce n'était plus qu'un tableau sans couleur: il faut en conclure que l'esprit parlé met en action ce que l'esprit d'auteur ne peut mettre qu'en récit, ainsi tout l'avantage appartient à l'homme du monde. Il a pour lui la saillie et la gaîté qui embellissent les choses les plus communes. et qu'on ne peut fixer sur le papier.

Le célèbre Nicole disait : Je suis battu toujours dans le salon, mais je serais sûr d'avoir raison au bas de l'escalier. Il ne faut donc pas exiger qu'un homme supérieur excelle dans ces petits détails qui font briller l'homme du monde. Marmontel luimême était si peu aimable, qu'on disait: Je vais lire ses contes pour me dédommager de l'ennui de l'entendre, On n'est pas toujours aussi équitable envers les gens de lettres; o on condamne souvent ce qu'ils ont écrit parce qu'on les juge d'après ce qu'ils disent. Leurs distractions habituelles, une malheureuse franchise qui choque l'envieuse médiocrité, doivent les perdre dans la société. Je renvoie mes lecteurs à l'excellent chapitre de SaintRéal, sur la difficulté de parvenir avec de l'esprit.

Concluons que le monde ne convient qu'à l'auteur qui veut ⚫ le peindre et prendre la nature sur le fait. A trente ans on ne supporte plus ce bruit, cette incohérence, ces gens que Mme de Lambert appelle fugitifs d'eux-mêmes, ces gens qui, vous serrant la main et caressant de l'œil votre ennemi, ressemblent assez à un somnambule qui cherche à retrouver son lit entre la veille et le sommeil. Tout cela doit déplaire à tout homme qui a le sentiment de sa dignité, qui aime mieux que la fortune ait tort avec lui que d'avoir les torts que donne la fortune, et qui, dans sa retraite occupée, méprise l'oisive petitesse des grands. Un grand principe de sagesse, c'est d'étendre son esprit et de resserrer son cœur. L'amitié seule est digne de posséder dans son sein le favori des Muses; nous lui dirons avec Delille:

. Du fond de ta retraite habite l'univers. »

H. GASTON.

SUR

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