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bons couplets faits à tête reposée, que trois cents mauvais ou même médiocres composés impromptu.

» Sijétais riche, je voudrais avoir à ma table, dans les longues soirées d'hiver, non des improvisateurs, mais des troubadours. Après un repas délicat, mes convives se réuniraient dans le vaste salon, autour du large foyer, pour entendre l'amourense chanson ou la plaintive ro-. mauce.... Que sais-je? Peut-être parviendrais-je à persuader à nos poëtes qu'ils devraient chanter ainsi les faits des tems passés, ceux même de notre âge. Ainsi Homère et les anciens poëtes grecs chantaient de mémorables histoires. La poësie reprendrait son ancienne utilité : elle ne se contenterait plus de plaire, elle instruirait, elle formerait aux vertus. Mais j'oubliais: quand pourrait-on jouer à la Bouillotte ?... »

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MÊLANGES.

A. D.

INCONVENIENS d'une passion mal réglée pour les Lettres.

Je me promenais cet été dans la vallée du nord de Montmartre. Je vis sous un bouquet d'ormes plantés à mi-côte, à côté d'une fontaine, un jeune homme dont l'air triste et sérieux semblait annoncer un amant affligé ou jaloux. Il avait un livre qu'il ouvrait, fermait, rouvrait et refermait tour à tour. Je passai assez près de lui pour voir qu'il lisait des vers, et je crus déchiffrer en tête de la page Narcisse. Je me doutai que c'était le poëme du malheureux Malfilâtre, et j'imaginai que le lecteur pourrait bien être un poëte qui prenait une leçon de bons vers dans l'ouvrage d'un homme avec lequel il paraissait avoir une conformité de misère.

Je le laissai et je continuai ma promenade. Une heure après, je repassar par la même endroit ; le jeune homme n'y était plus; mais j'aperçus un papier à la place où je l'avais rencontré. Voyons, me dis-je, c'est peut-être un

poulet de sa dame, ou quelqu'échantillon de sa muse. Cè n'était ni l'un ni l'autre, mais une lettre d'ami.

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Je la lus; elle me parut moins l'ouvrage d'un homme d'esprit, ce qui aujourd'hui n'eût été ni extraordinaire ni original, , que celui d'un homme de sens, ce qui est moins commun et meilleur. Elle contenait des avis sages, applicables à bien des jeunes gens qui se croient capables de tout, parce qu'ils ont la tête farcie de phrases ; et je crois leur rendre service en publiant cette lettre dont ils pourront faire leur profit.

« Je réponds, non jeune misanthrope, à la déclamation épistolaire que vous m'avez adressée contre ceux qui ne rendent pas justice à votre amour et à votre talent pour les Belles-Lettres. Vous appelez ces gens-là des barbares, ils pourraient dien n'être que raisonnables. Je vous vois froncer le sourcil à ces mots; calmez-vous, et écoutez-moi.

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» Si vous étiez dominé par ce génie impérieux qui, éloignant Malfilâtre et Gilbert d'une profession utile et modeste, fit mourir le premier de faim et le second à l'hôpita!, je vous plaindrais d'être né sous une aussi maligne étoile, et je ne chercherais pas à opposer à un penchant irrésistible des conseils dont je sentirais l'impuissance; mais je crois qu'il est encore tems de vous faire entendre raison.

» Si quelqu'un vous connaît un peu, c'est moi qui vous suis depuis dix ans. Vous avez fait de bonnes études, vous êtes né avec de l'esprit, vous tournez agréablement des vers, votre prose est facile, vous avez du goût et de l'instruction, votre imagination a de la saillie; vous êtes à vingtcinq ans un jeune homme intéressant et d'un mérite distingué. Mais permettez-moi de vous le dire, je ne vois point en vous l'étoffe du génie, c'est du génie pourtant que vous croyez avoir, et vous prenez pour lui l'effervescence et l'exaltation.

» Les idées fortes qui jettent la lumière sur toute une génération, les grandes conceptions qui commandent l'admiration des contemporains et de la postérité, les créations enfin du beau et du vrai ne sont pas de votre domaine;

vous cultivez avec succès des plantes connues, mais vous n'en faites pas naitre de nouvelles. Vous ferez, j'en con viens, une épître gracieuse, un roman tendre et amusant, une comédie agréable, peut-être même quelques scènes intéress...tes de tragédies; je vous accorde encore le talent de joliver un article de politique et de philosophie, et d'y jetor per fois quelques traits d'éloquence et de force; mais dans to t cela vous n'imprimerez pas ce charme profond et toujours nouveau qui attache sur tout un écrit Tatteation et le souvenir des lecteurs. Les écrits de cette trempe sont des ouvrages d'or massif, et les vôtres n'y ressemblent que par la superficie.

» Vos talens sont de nature à vous procurer quelques diners, quelques applaudissemens de lycées et de salons, mais jamais à vous donner une réputation qui aille audelà de votre pays et de votre siècle. Ce n'est que pour des réputations de ce genre qu'il est permis de se livrer exclusivement aux lettres. La gloire alors tient lieu de fortune. Mais se passer de fortune sans gloire, c'est un dénuement trop absolut Vous courez ce risque, mon cher ami, par votre engoument littéraire qui vous fait envisager avec répugnance et dédain les occupations simples et utiles.

» Vous vous gendarmez contre les hommes en place qui ont peu de confiance dans la capacité de ceux qui font le métier d'auteurs. Vous ne tolérez pas qu'on regarde le talept d'homme de lettres comme exclusif de celui d'homme d'affaires. Peu s'en faut que, dans votre fureur contre une pareille bérésie, vous ne remontiez au déluge pour chercher des faits qui la réfutent. Vous citez Moise, qui faisait des lois et des cantiques; David, qui savait régner et faire des odes; S lomon, le plus sage des rois et le plus lascif des poetes; Xénophon, Démosthènes, Cicéron, Sénèque, Machiavel, Bocace, Bacon, et en France de Thou, qui dressait des arrêts et composait l'histoire; Richelieu, qui abattait la tyrannie, foudroyait la Rochelle, et faisait dos tragédies à la sourdine; Bernis, qui fut ministre et

poëte

poëte érotique; Turgot, qui se délassait de l'aridité des calculs par de jolis vers; Necker, qui poussa l'éloquence jusqu'à la mêler avec l'arithmétique; Calonne, qui écri vait en homme de lettres et administrait en homme d'Etat Mirabeau, qui réunissait au plus haut degré la magie oratoire à la profondeur des discussions politiques.

» Ces hommes-là, vous écriez-vous après ce déborde ment de citations, ne donnent-ils pas le plus éclatant dé menti aux barbares qui supposent de l'incompatibilité entre la culture des lettres et les grandes professions publiques? Pense-t-on que l'homine qui sait composer un livre ne saura pas faire une lettre de bureau ?..

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» Qui, mon ami; Thomas qui était un écrivain d'un certain ordre, n'a jamais pu, lorsqu'il était secrétaire dé M. de Praslin, faire passablement une lettre d'affaires. Il y a quelque différence entre une académie et un bu reau. Les discoureurs académiques ne savent pas raisonner avec simplicité: ils font de belles, phrases comme un danseur fait de beaux pas. La littérature chez les hommes d'affaires est un excellent accessoire à l'éducation qui leur convient; mais elle ne doit pas en être la partie principale. Cest un bon levain dans une pâte saine. Il est nécessaire de savoir s'exprimer avec élégance et pureté; mais il ne faut pas appliquer ce talent à des choses fu+ tiles ou d'un mince intérêt. Si, par exemple, vous dirigiez les vôtres vers des objets d'une utilité positive et matérielle; si au lieu d'inventer quelques scènes romanesques, et de vous abandonner à des divagations métaphysiques, vous vous saisissiez d'une affaire épineuse, et que débrouillant sa complication vous en fissiez un exposé net et simple qui en facilitât la décision, vous feriez un usage profitable de votre intelligence et de votre plume. Le bruit des bravos ne chatouillerait pas votre oreille, mais vous auriez l'approbation et l'estime de l'homme de sens.

» Ce sont les hommes de sens, dont un jeune homme doit rechercher le suffrage et l'appui. Je ne suis pas étonné de l'abandon où l'on vous laisse, et de la détresse qui en An XI. 1er. Trimestre.

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résulte. A quoi aboutissent vos vers, vos romans, vas comédies, vos essais moreaux et philosophiques? Ce sont des fleurettes qui ne rapportent rien; c'est du froment qu'il vous faut. Faites donc germer le froment dans votre terrain. :

» N'employez vos talens qu'aux choses solides ; il vaut mieux être possesseur d'un champ de bled que d'un parfetre. Adoptez un état c'est par un état qu'on prend de Faplomb dans la société. Il ne s'agit pas de brilloter; mais de vivre, mais d'être citoyen. Je ne vous dis pas de faire un divorce absolu avec votre Muse, mais je vous conseille de la traiter en amie qu'on visite, quand on n'a rien de mieux à faire. Une femme aimable et simple, une bonne femme bien attachée à ses enfans et à son mari, est elle seule proférable aux neuf nymphes du Parnasse. Méritez am pareil trésor; mais, je vous le répète, vous ne l'obtiendrez qu'avec un état. Un homine sans état est un surnuméraire dans le monde. Un littérateur qui, avec des talens suba4ternes, cherche la gloire, est nn faux Jason qui tente sur un mauvais esquif la conquête de la Toison-d'Or. C'est u somnambule égaré dans la région des rêves Réveillezvous, mon ami, sortez de cette région, et entrez dans relle des réalités; c'est-là que l'homme qui produit et soutient une famille, est compté pour quelque chose parini ses semblables. »

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Les leçons contenues dans cette lettre ne sont pas neuves; mais il n'y a pas de mal de les répéter. Si elles étaient suivies, il y aurait moins de folliculaires, et la Tittérature ne compterait que des hommes nés pour Thonorer. Elle ne serait point avilie par ces libellistes de parti qui, ne pouvant avoir de réputation par leur mérite, cherchent à s'en faire une en attaquant celle des autres.

Ces esprits frêles et glacés s'imaginent refroidir l'admi ration des contemporains pour la gloire du siècle des lumières. La raison fera toujours avoiler leurs efforts. Ce

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