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II.

LES actes de la conférence, comme on a pu le voir, ne renferment que peu de détails explicatifs sur la nature de la neutralité perpétuelle, que les Puissances assignent à la Belgique. Les traités survenus depuis entre ce pays et différents États de l'Europe, pas plus que les grands actes de droit public, posés par les cabinets dans les quatorze dernières années, ne contiennent des renseignements propres à éclaircir davantage cette matière. Dans le silence des documents officiels et authentiques, il convient de s'adresser à l'histoire, pour rechercher si dans les exemples de neutralité qu'elle présente, il se trouve des faits ou des principes applicables à la situation de droit public qu'on a faite à la Belgique. Afin de donner à ces exemples toute l'autorité et la valeur désirables, nous allons les prendre de préférence dans l'histoire moderne.

La neutralité perpétuelle, imposée à un pays comme condition essentielle de son existence politique, n'est pas un fait

entièrement nouveau dans le droit public de l'Europe. Les traités de Vienne de 1815 ont placé la Suisse, quelques provinces du royaume de Sardaigne et le territoire de la république de Cracovie sous le régime de cette neutralité. Avant ces actes, le recez de la députation de l'Empire, publié le 25 Février 1803, par suite du traité de Luneville, avait stipulé pour le collége des villes impériales, composé des villes libres et immédiates d'Augsbourg, Lubeck, Nuremberg, Francfort, Brême et Hambourg, la même condition. « Ces villes jouissent, dit l'art. XXVII du recez, d'une » neutralité absolue, même dans les guerres de l'Empire. A cet » effet elles seront franches à perpétuité de toute contribution >> militaire ordinaire et extraordinaire et dans toutes les ques» tions de paix et de guerre, dispensées pleinement et néces» sairement de tout concours aux votes de l'Empire (1). »

Il n'est pas nécessaire de s'arrêter à ce premier exemple d'une neutralité perpétuelle dans le droit public moderne, la condition politique de ces villes n'offrant aucun point de comparaison avec celle de la Belgique. En effet tout en jouissant de la pleine supériorité et de toute juridiction quelconque dans toute l'étendue de leurs territoires (2), ces villes ne possédaient pas la souveraineté politique proprement dite. Elles faisaient partie de l'empire qui seul l'exerçait et qui stipulait pour elles dans toutes les transactions politiques. En outre le document qui établit cette neutralité perpétuelle, est loin d'avoir un caractère de droit public aussi éminent et aussi général que les actes de la conférence de Londres et les traités qui ont consacré l'indépendance de la Belgique. Le recez de la députation de l'Empire n'est qu'une série de dispositions relatives au

(1) Voyez MARTENS : Recueil t. VII, p. 487. (2) Voyez même endroit art. XXVII.

remaniement territorial que la paix de Luneville avait rendu nécessaire, n'ayant d'ailleurs d'intérêt et de valeur que pour l'Empire seul. Il formerait même un arrangement tout d'ordre intérieur, dépourvu d'une portée politique plus générale, sans l'intervention de la France et de la Russie, sous la médiation desquelles cet acte a été conçu (1).

Il n'en est pas de même de la neutralité de la Suisse. Cette neutralité repose sur un acte de droit européen et existe au même titre que celle de la Belgique. Pour en bien saisir le caractère il est nécessaire de rappeler les faits, sous l'empire desquels ce régime a été appliqué à la Suisse.

La position géographique de la Suisse ainsi que l'intérêt de ses voisins et le sien propre lui avaient permis de rester neutre dans la plupart des guerres qui eurent lieu en Europe jusqu'à la fin du 18me siècle. Les événements de la révolution française changèrent cet état de choses, la Suisse dut reconnaître le protectorat politique de la France dont les conditions. furent arrêtées par le traité du 27 Septembre 1803. Dans cet acte la Suisse s'engage à n'accorder aucun passage sur son territoire aux ennemis de la France, elle promet même de s'y opposer à main armée, s'il était nécessaire. Mais d'après l'article 5 du traité, cette stipulation ne doit préjudicier ni déroger en rien à sa neutralité, dont il n'est fait d'ailleurs aucune autre mention. Les Puissances ne pouvaient reconnaître dans ces dispositions l'assurance d'une neutralité vraie et parfaite, aussi se sont-elles toujours abstenues d'y donner leur adhésion.

En 1818, lorsque les armées alliées s'avancèrent pour porter la guerre sur le territoire de la France, une diète extraordinaire, réunie à Zurich, proclama le 18 Novembre la neutralité

(1) Voyez MARTENS: Recueil VII, p. 442 suiv.

de la Suisse, et décréta l'envoi d'un corps de troupes sur les frontières pour la défendre. On envoya en même temps des députés auprès des Puissances en guerre, pour obtenir d'elles la reconnaissance de cette neutralité. L'empereur Napoléon déclara vouloir la respecter, tandis que les Puissances alliées refusèrent de la reconnaître. Sans exiger la coopération effective de la Suisse à la guerre contre la France, ces Puissances lui demandèrent de ne pas s'opposer au passage des armées, qui pour entrer dans ce dernier pays allaient traverser le territoire suisse. La diète n'ayant ni le pouvoir ni la volonté de repousser cette demande, le passage eut lieu. Le 20 Décembre 1813, une nombreuse armée sous les ordres du prince de Schwartzenberg, passa le Rhin en trois endroits différents, à Bâle, Lauffenbourg et Schaffhouse; les troupes de la diète se retirèrent et les forces des Alliés traversèrent la Suisse pour envahir l'Alsace et la Franche-Comté.

Au congrès de Vienne la neutralité perpétuelle de la Suisse fut reconnue et garantie par toutes les Puissances; mais ce ne fut qu'au mois de Novembre 1815, après les événements produits par le retour de l'empereur Napoléon de l'île d'Elbe, que cette neutralité, solennellement proclamée dans la déclaration des Puissances en date du 20 Mars 1815, reçut tous les caractères d'une stipulation de droit public européen. Dans l'intervalle qui s'écoula entre la première déclaration de cette neutralité et sa confirmation définitive, la Suisse fut obligée d'accéder en quelque sorte à la coalition, qui venait de se former contre la France. Les actes qui amenèrent cette accession, ainsi que les termes dans lesquels elle eut lieu, présentent un grand intérêt pour la question de la neutralité : à ce titre il convient de mentionner cet épisode avec quelque détail.

A la nouvelle du retour de Napoléon en France, la diète

suisse avait ordonné l'armement et la mise sur pied de tout le contingent fédéral, afin d'assurer la défense des frontières. Mais les Puissances alliées lui demandèrent un concours plus actif, en lui proposant d'accéder aux principes et aux engagements établis dans le traité de Vienne du 15 Mars 1815.

Voici comment les ministres des quatre Puissances s'expriment dans une note, adressée le 6 Mai 1815, à la diète à Zurich (1): « Dès le moment où Bonaparte a reparu en France, >> toute la Suisse s'est déterminée par une volonté unanime et

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énergique à prendre les armes pour défendre ses frontières et » écarter les désordres de tout genre, dont l'Europe est menacée » par le retour de cet usurpateur. Dans cette crise inattendue » et sans exemple, la confédération helvétique, guidée par son antique loyauté, s'est jointe d'elle-même au système de l'Eu» rope et a embrassé la cause de l'ordre social et du salut des peuples. Elle a senti qu'aussi longtemps que le volcan, rallumé » en France, menacerait d'embraser et de bouleverser le monde, >> les avantages inappréciables dont les Puissances aiment à voir jouir la Suisse; son bien-être, son indépendance, sa neutra» lité, seraient toujours précaires et exposés aux attaques du pouvoir illégal et destructeur, qu'aucun frein moral n'est capable d'arrêter. Réunies par le même vou, d'anéantir ce » pouvoir, les Puissances rassemblées au congrès de Vienne » ont proclamé leurs principes dans le traité du 25 Mars, ainsi » que les engagements, qu'elles ont pris pour les maintenir. >> Tous les autres États de l'Europe ont été invités à y accéder » et ils se sont empressés de répondre à cette invitation. Ainsi » le moment est arrivé, où les augustes Souverains dont les soussignés sont chargés d'accomplir ici les ordres, s'atten

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(1) Voyez MARTENS, N. R., II, p. 166 suiv.

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