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pas les concessions territoriales en échange du service militaire ou des redevances, les bénéfices, les emphytéoses, la condition des lètes? Il est vrai toutefois que la constitution féodale du moyen âge trahit des tendances et admet des principes qui paraissent avoir été réellement inaugurés par le génie germanique. Rien n'est plus éloigné à coup sûr des habitudes de la centralisation romaine que ce fractionnement de la société en groupes rattachés entre eux, non par une loi commune, émanant d'une autorité unique s'imposant à tous, mais par le double lien d'une protection et d'un dévoùment réciproques. Le roi n'est plus ici que le premier des suzerains: à ses droits suprêmes correspondent de suprêmes devoirs. En vain la tradition romaine, appelant à son aide la consécration de l'église, essaiera-t-elle de lui rendre l'autorité des anciens césars: le germe du self-government a été déposé au sein du monde moderne, et ne sera plus étouffé. Avec les assemblées représentatives pour organes, se fondera un gouvernement d'une forme nouvelle, inconnue de l'antiquité, et d'un cadre assez flexible ou assez large pour donner place au rôle nécessaire de classes nombreuses de citoyens jusqu'alors non comptées dans l'état.

Cette transformation considérable résume à peu près à elle seule tout le changement apporté par le germanisme dans l'ordre des idées politiques et sociales. Il nous reste à considérer quelles modifications morales et intellectuelles devaient s'accomplir en même temps, et à rechercher ce qu'allait devenir le génie classique aux prises avec la première influence du génie barbare et avec l'aspect d'un monde nouveau.

A. GEFFROY.

LES COALITIONS

DE PATRONS ET D'OUVRIERS

Les lois sur les coalitions de patrons ou d'ouvriers vont de nouveau être soumises à l'examen de l'assemblée nationale. L'opinion publique suivra sans nul doute avec un vif intérêt la réouverture des débats législatifs sur ce grave sujet. Chacun sent aujourd'hui que le maintien de la paix publique est intimement lié à l'apaisement des relations entre les classes industrielles; mais comment éviter le retour des grèves stériles et des conflits désastreux qui ont troublé les dernières années de l'empire avant d'aboutir à la catastrophe de l'année 1871? Quelques personnes attribuent presque exclusivement à la loi de 1864 et à l'abrogation des articles du code pénal interdisant les coalitions les crises qui ont surgi dans nos grands centres manufacturiers, et demandent qu'on revienne simplement à la loi de 1849. Certains partisans de la liberté critiquent aussi, toutefois en un sens contraire, la législation de 1864; suivant eux, les concessions faites à cette époque sont insuffisantes : les obstacles dont on a entouré dans la pratique le nouveau droit en rendent l'usage à la fois stérile et dangereux; l'application du droit commun aux délits commis par les grévistes serait seule conforme à la justice et aux véritables intérêts du pays. Entre ces deux opinions extrêmes, on trouve de nombreuses propositions qui ont pour but d'améliorer la loi de 1864 en modifiant plusieurs termes équivoques ou incohérens, sans accepter pourtant soit le retour à la loi de 1849, soit la suppression des pénalités spéciales. D'autres enfin voudraient maintenir le droit de coalition, mais le réglementer et poser certaines limites à la liberté. Entre ces divers partis, quel est le meilleur? Et d'abord faut-il rétablir l'interdiction des coa

litions (1)? C'est à ces questions que nous allons essayer de répondre.

I.

Tandis que chez nous on parle de revenir sur la réforme opérée en 1864, les peuples dont l'industrie est parvenue au plus haut degré d'activité marchent d'un pas ferme dans la voie de la liberté. Les Anglais et les Suisses s'y étaient engagés bien avant nous; les Belges et les Allemands nous y ont suivis. Chez ces quatre nations, le principe de la liberté est définitivement consacré; on a reconnu la nécessité de supprimer les vieilles lois prohibitives et d'accorder dans sa plénitude le droit de coalition. En Angleterre, on le sait, la réforme, proposée par Joseph Hume et défendue par Huskisson, date de 1824. Dès cette époque, le ministre anglais déclarait que « les lois contre les coalitions avaient plus que toute autre cause contribué à les multiplier et aggravé les maux auxquels on voulait porter remède. » De son côté, le comité d'enquête disait dans son rapport que « non-seulement les lois existantes étaient insuffisantes contre les coalitions, mais qu'elles produisaient l'irritation et la défiance, et donnaient aux crises ouvrières un caractère de violence qui les rendait éminemment dangereuses pour l'ordre public. »

En aucun pays, les relations des ouvriers et des patrons n'ont été plus réglementées qu'en Angleterre. Le premier statut sur ce sujet remonte au XIVe siècle. Sous le règne d'Édouard III, en 1350, le taux des salaires fut fixé pour les principales professions du royaume. Sous Édouard VI, un autre act constate que des travailleurs «< ont conspiré et se sont liés par des sermens, au grand dommage des sujets de sa majesté, pour fixer le nombre d'heures de la journée de travail, » et frappe les coupables de peines rigoureuses: amende de 40 livres, pilori, dans certains cas l'oreille tranchée. Depuis cette époque, trentesept acts furent successivement votés par le parlement pour régler les difficultés relatives aux rapports des maîtres et des ouvriers; cependant le but ne fut jamais atteint. Lorsque la loi de 1824 abrogea cette longue série d'ordonnances, on venait, depuis vingt ans, d'assister à des grèves terribles. Les trades-unions s'étaient multipliées malgré de nombreuses entraves; leurs menées souterraines, leurs violences et leurs crimes étaient bien faits pour effrayer l'opinion publique. Dès 1807, le père de Robert Peel se plaignait du peu de sécurité dont jouissait la propriété industrielle. « Beaucoup de capitalistes, disait-il, songent sérieusement à transporter leurs biens et leurs familles dans d'autres pays où ils pourront trouver plus de protection.»>

(1) C'est là ce que demande le projet de loi déposé récemment par M. PeltereauVilleneuve et plusieurs autres députés.

En 1810, 30,000 ouvriers des filatures de Manchester et des environs se mettaient en grève, et se laissaient entraîner à de graves désordres; en 1811, les ouvriers bonnetiers de Nottingham protestaient contre l'introduction des machines par une véritable insurrection. Les luddites, c'est ainsi qu'on les désignait du nom d'un de leurs chefs, pillèrent et brûlèrent les manufactures. Pendant six ans, leurs ravages continuèrent, les mesures les plus sévères durent être prises contre eux : en une seule année, on en pendit 18 à York. Dans les cas ordinaires, on appliquait aux grévistes la loi martiale. La loi de 1824, en établissant la liberté des coalitions, n'a pas subitement arrêté le mal; depuis cette époque, l'industrie anglaise s'est vue troublée par de nombreux conflits. Cependant il est un fait incontestable : malgré les réclamations d'une partie des manufacturiers, malgré les excès commis par les trades-unions et les souffrances qui en sont résultées, la liberté a été constamment maintenue. Les modifications successives apportées à la législation ont laissé intact le principe consacré dès 1824.

Aujourd'hui, après une aussi longue expérience, après les nombreuses enquêtes parlementaires qui ont éclairé toutes les faces du sujet, on peut penser que l'Angleterre doit être édifiée sur la nécessité de prohiber ou d'autoriser les ligues d'ouvriers ou de patrons. Eh bien! le résultat de ces cinquante années de pratique est une loi que le parlement a votée l'année passée; cette loi fait tomber les dernières barrières auxquelles venaient se heurter les coalitions. Moyennant certaines conditions de publicité, elle offre l'existence légale aux trades-unions, et, tout en assurant l'ordre général et le respect de la liberté individuelle par des mesures très rigoureuses prises contre les perturbateurs, elle donne une entière facilité à l'entente des entrepreneurs ou des ouvriers. Les ligues des employeurs, comme on dit en Angleterre, et celles des travailleurs sont affranchies de toute entrave, pourvu qu'on n'ait recours ni à la fraude ni à la violence; dans ce dernier cas, des peines sévères rappellent aux plus ignorans la différence qui existe entre la liberté et le mépris des droits d'autrui.

De grands progrès se sont ainsi réalisés; on voit aujourd'hui des grèves durer plusieurs semaines sans entraîner de désordres sérieux. Celle toute récente des mécaniciens de Newcastle a offert un spectacle saisissant: près de 10,000 ouvriers chômèrent pendant cinq mois, surexcités par des ligues et des meetings formés dans tout le royaume, luttant contre l'introduction des ouvriers étrangers, allemands ou belges, auxquels les patrons voulaient, par une tactique légitime, ouvrir leurs ateliers, et obtenant enfin une transaction qui leur assurait certains avantages au point de vue de la réduction des heures de la journée de travail. Durant ce long et

malheureux conflit, l'ordre ne fut pas un seul instant compromis, la justice n'eut à réprimer que de rares actes d'intimidation. De pareils faits ne se produisent pas sans agir vivement sur l'opinion; le parlement en a tiré des conclusions favorables à la liberté. Ses récentes discussions à propos du bill sur les trades-unions ont prouvé qu'en somme aucun parti ne regrettait le rappel des anciennes lois.

L'exemple de l'Allemagne n'est pas moins frappant. On sait avec quelle persistance ont été maintenus dans ce pays, et notamment en Prusse, les liens corporatifs et administratifs. Brisées une première fois après léna par la vigoureuse initiative de Stein, les anciennes entraves se resserrent promptement et ne commencent à se relâcher qu'après 1848. C'est de cette époque que date la propagande d'économistes distingués tels que MM. Schulze-Delitzsch, J. Faucher, Michaëlis, à qui l'on doit l'expansion des associations de crédit populaire, ainsi que les premières réclamations en faveur de la liberté de l'industrie. Malgré leurs efforts, la question des coalitions vint seulement en 1865 à la chambre des représentans. Après de longs débats, où les défenseurs de la liberté eurent à lutter contre l'alliance du parti féodal avec le parti socialiste, une loi libérale fut enfin votée en 1866. En 1869, le principe sanctionné par cette loi a été de nouveau discuté au moment de la délibération générale du code industriel de la confédération du nord et de nouveau confirmé par la majorité; aujourd'hui la liberté des coalitions est complète en Allemagne.

La Belgique a conservé jusqu'en 1866, dans son code pénal, nos anciens articles 414 et suivans; mais, depuis cette époque, elle a imité notre exemple, et elle possède comme nous la liberté des coalitions. Cette liberté existe également en Suisse; le seul canton où les associations ouvrières soient soumises à certaines restrictions est celui de Zurich. Quant aux États-Unis, il suffira d'un trait pour montrer quel degré d'indépendance y est laissé aux unions industrielles. En 1867, un agent diplomatique anglais, ayant reçu de son gouvernement la mission de prendre auprès du ministère américain des informations à ce sujet, écrivait au foreign office : « Le secrétaire au département de l'intérieur m'a répondu qu'il n'existait dans son administration aucun document sur l'objet en question, et qu'il était incapable de me fournir des renseignemens positifs. »

Le principe de la liberté, proclamé par nos voisins, consacré chez nous par la réforme de 1864, peut-il encore être contesté? L'ancienne doctrine d'après laquelle toute coalition des ouvriers ou des patrons était considérée comme illégitime, qui défendait aux entrepreneurs ou aux travailleurs de se concerter pour débattre le prix de la main-d'œuvre et de se retirer simultanément du marché, si leurs

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