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dans tout ce qu'on fait que l'impérialisme n'a aujourd'hui qu'une force négative en quelque sorte, celle qui pourrait lui venir des indécisions. et des faiblesses des pouvoirs publics, de toutes ces subtilités et ces confusions où l'on se perd depuis quelque temps. Le bonapartisme et le radicalisme ne peuvent en réalité avoir d'autre force que celle-là. Qu'on y réfléchisse bien, pour le gouvernement et pour l'assemblée, ce n'est pas seulement une obligation politique de conduire heureusement la France au terme de la crise dans laquelle elle est engagée; c'est véritablement une question d'honneur, car, si on avait le malheur d'échouer, assemblée et gouvernement passeraient dans l'histoire pour des mandataires infidèles ou malhabiles qui ont eu tous les pouvoirs entre les mains, qui ont disposé de la souveraineté d'un grand pays, et qui n'ont pas su arracher ce pays au péril suprême des convulsions de l'anarchie ou des usurpations infamantes.

A dire vrai, tout se résume aujourd'hui dans un mot, l'action, bien entendu une action intelligente et prévoyante, et ce qui est vrai dans la politique intérieure ne l'est pas moins dans la politique extérieure. Sans doute la France n'a point pour le moment à déployer de grands efforts de diplomatie; elle a du moins à se faire respecter par la dignité de son attitude, à garder les amis qu'elle peut avoir encore et à ne pas se faire des ennemis. Il y a des esprits si peu pénétrés de la situation de la France qu'ils n'hésiteraient pas à sacrifier nos intérêts les plus évidens à leurs passions religieuses, et l'assemblée est exposée à entendre prochainement des pétitions qui ne tendraient à rien moins qu'à une revendication des droits temporels du pape, par conséquent à une rupture avec l'Italie. L'éminent ministre des affaires étrangères comprend fort heureusement d'une tout autre façon ses devoirs envers le pays, et il vient de nommer décidément un ministre de France à Rome : c'est M. Fournier, ancien ministre à Stockholm. Du reste, ce n'était plus là en réalité une question, puisqu'il y avait eu déjà un ministre nommé, puisque la France a un chargé d'affaires à Rome; mais il y avait eu des lenteurs, de fausses apparences qui, en provoquant quelques doutes, avaient pu mettre un peu d'embarras dans les relations des deux pays. Ces embarras et ces doutes disparaissent par la nomination de notre ministre, et, en Italie comme en France, la première pensée doit être d'entretenir sans cesse le sentiment des intérêts communs des deux peuples.

Les tout-puissans eux-mêmes ont leurs embarras, qu'ils se créent ou qu'ils aggravent quelquefois en se fiant trop à leur ascendant. Parce qu'ils ont été heureux autant qu'audacieux, ils se figurent qu'ils peuvent tout, que rien ne doit leur résister, et ils s'étonnent dès que leur omnipotence rencontre une limite. Certes le tout-puissant de Berlin, M. de Bismarck, n'a point trouvé encore cette limite; il n'en est pas à se sentir menacé dans la position prééminente qu'il s'est faite, et qu'il est homme à défendre de façon à décourager ses adversaires. Non, le

prince-chancelier de Berlin n'en est point là; il en est à cette période où les victorieux s'irritent de la moindre opposition, prennent ombrage de tout, supposent partout des complots, et finissent par se créer à eux-mêmes l'obligation de vaincre sans cesse, à tout propos et à tout prix, sous peine d'être atteints dans leur prestige. M. de Bismarck en est aujourd'hui à se démener au milieu des difficultés d'une situation parlementaire qui ne laisse pas de devenir assez étrange. La question qui lui vaut ces embarras n'a sans doute au premier abord rien d'essentiellement politique. Il s'agit d'une loi qui a pour objet de fortifier les droits de l'état dans l'enseignement, en faisant passer sous la juridiction du gouvernement l'inspection des écoles. La question s'est bien vite étendue et aggravée. M. de Bismarck, par ses interventions, par son attitude impérieuse, n'a pas peu contribué à lui donner un nouveau caractère d'importance. Il s'est obstiné, il a multiplié les discours, et de tout cela il a fait une affaire personnelle, une question de haute politique et de confiance; il a menacé la seconde chambre d'une dissolution, et malgré tout il n'a obtenu qu'une fort mince majorité, vingt-cinq voix environ. La loi est allée à la chambre des seigneurs, et voici que dans la commission de la chambre des seigneurs elle compte quinze adversaires sur dix-sept membres. Des personnages haut placés, en relation avec la cour, tels que le prince Radziwill, le comte de Lippe, passent pour être très hostiles au projet du gouvernement. L'opposition s'avoue tout haut en face du chancelier lui-même, si bien que M. de Bismarck, après avoir menacé la seconde chambre d'une dissolution, est réduit à menacer la chambre des seigneurs d'une promotion extraordinaire pour changer la majorité.

La résolution avec laquelle le chancelier soutient cette lutte, à propos de l'inspection des écoles, montre assurément l'importance qu'il y attache. La vivacité impétueuse et hautaine qu'il a déployée dans la discussion témoigne assez de ses préoccupations et même de quelque surexcitation d'esprit. Il est certain qu'il s'est porté au combat avec un feu singulier, frappant un peu de tous les côtés, atteignant de ses coups la fraction parlementaire désignée sous le nom de centre catholique, les Polonais, les partisans des princes dépossédés, du roi de Hanovre, tout ce qui n'est à ses yeux qu'un déguisement du particularisme. Pour le moment, c'est son idée fixe, il voit partout l'ennemi. Naturellement, quand il attaque avec le plus d'ardeur, il prétend toujours qu'il se défend. M. de Bismarck est vraiment très malheureux, il est toujours attaqué par tout le monde; il faut bien qu'il se défende, ou plutôt c'est l'Allemagne qu'il défend en lui. Quoi donc! n'est-ce point l'Allemagne aujourd'hui qui est menacée, à ce qu'il dit, d'être opprimée par les Polonais à Posen? Si encore il n'avait à se défendre que contre les Polopais, les catholiques ou les partisans du roi de Hanovre, ce ne serait peut-être pas bien grave; mais, dans cette question même de

l'inspection des écoles, il a sur les bras l'opposition d'une certaine fraction de la droite, des protestans orthodoxes, des conservateurs, ses anciens amis. Vainement il a essayé de les rassurer en parlant avec une onction édifiante de sa « vivante foi chrétienne; » on le tient au camp orthodoxe et conservateur pour suspect de libéralisme, on ne se fie pas à ses déclarations de don Juan dans l'embarras, et c'est bien, à vrai dire, une des singularités de la situation. M. de Bismarck se trouve avoir aujourd'hui pour adversaires bon nombre de ses anciens amis, et il a pour alliés les libéraux, les progressistes, ceux qu'il a combattus si souvent; à ceux-ci il fait des concessions, il reçoit de leurs mains des amendemens, et il triomphe avec leur concours.

Est-ce une alliance bien sincère et bien sûre de part et d'autre? Il en sera ce qu'il pourra. Le prince-chancelier ne se livre pas ainsi. Pour le moment, il se sert des progressistes, même au besoin des révolutionnaires, contre l'ultramontanisme, comme il se sert de la passion allemande contre les Polonais et les particularistes de toute nuance. M. de Bismarck ne joue pas moins un jeu passablement dangereux, il s'expose à multiplier les froissemens, à mettre un jour ou l'autre tous les partis contre lui. Il triomphera encore cette fois, il aura sa loi des écoles, c'est très vraisemblable, il n'est pas homme à disparaître dans les broussailles parlementaires. S'il le faut, si on l'y contraint, il aura recours, selon son langage, « aux moyens constitutionnels » pour avoir raison des chambres, et même, si ces moyens ne suffisaient pas, il en trouverait probablement d'autres. L'empereur Guillaume ne le contrarierait pas pour si peu. La question n'est pas là aujourd'hui, la question est que, pour la première fois depuis ses prodigieux succès, le chancelier rencontre une opposition assez vive, presque personnelle, que pour la première fois on résiste ouvertement à son ascendant. C'était évidemment une puérilité de supposer, comme on l'a fait, que la reine Augusta, mue par un sentiment religieux, aurait pu engager des députés à voter contre la loi qui menace l'autorité du clergé en matière d'enseignement. C'est déjà un fait assez grave qu'à cette occasion il se soit trouvé à Berlin des malintentionnés, où n'y a-t-il pas des malintentionnés? commençant à murmurer que le chancelier pourrait n'être pas un homme indispensable. Ce qu'il y a eu d'assez curieux et d'assez inattendu dans ces dernières luttes du parlement de Berlin, c'est que M. de Bismarck, pour réveiller l'esprit national dans le clergé allemand, n'a trouvé rien de mieux que de citer l'exemple du clergé français, et il a révélé une particularité peu connue jusqu'ici. Il a dit que, pendant les négociations engagées pour mettre fin à la guerre, le souverain pontife avait envoyé un nonce spécial en France pour presser les évêques de travailler en faveur de la paix, et que le clergé, restant français avant tout malgré sa soumission habituelle, s'était refusé à ce qu'on lui demandait. Si la chose est vraie, comme l'affirme M. de Bismarck, notre clergé n'a fait sans doute

que ce qu'il devait, et il n'a qu'à s'inspirer du même esprit dans toutes les circonstances où s'agite un intérêt national; mais qu'a dit là M. de Bismarck? L'Allemagne n'est donc pas l'unique modèle de toutes les vertus patriotiques et autres? A quels aveux peut conduire l'entraînement parlementaire !

Si la vie publique est laborieuse partout, même en Allemagne, qu'estce donc en Espagne? Ici tout prend en vérité un caractère de plus en plus obscur, peut-être de plus en plus menaçant. L'Espagne vit entre les révolutions d'hier et les révolutions de demain. La trêve qu'elle s'était accordée à elle-même en revenant à la monarchie et en allant demander à la maison de Savoie un nouveau souverain, cette trêve semble aujourd'hui fort compromise par l'acharnement désordonné des partis et par toutes les difficultés que le gouvernement éprouve à se fonder. Le roi Amédée, depuis un peu plus d'un an, n'en est guère qu'à son septième ministère, tant il est facile de faire vivre une monarchie fondée par les opinions radicales ! C'est là en effet la faiblesse de la monarchie actuelle elle a été créée et mise au monde par les radicaux, elle est obligée d'exister avec une constitution qui est l'œuvre du radicalisme. Elle est aujourd'hui menacée par ceux qui l'ont créée aussi bien que par les anciens partis conservateurs qui l'ont toujours plus ou moins combattue. Lorsque, faute de trouver une majorité quelconque dans le parlement, le roi Amédée se décidait à dissoudre les cortès il y a quelques semaines, on pouvait croire du moins que le ministère chargé de la dissolution conduirait les affaires jusqu'aux élections, qui doivent avoir lieu aux premiers jours d'avril. Ce ministère, présidé par M. Sagasta, était composé d'un certain nombre d'anciens progressistes, radicaux modérés, et de quelques membres de l'ancienne union libérale dont le principal était l'amiral Topete, un des auteurs de la révolution de 1868. Il n'a pas résisté à la première secousse, et cette fois c'est à l'occasion d'une promotion de généraux que la crise a éclaté.

Le cabinet allait-il se dissoudre entièrement? par qui serait-il remplacé? Le plus embarrassé était évidemment le roi Amédée. Il s'est empressé de faire appel à tous les conseils; il a consulté tout le monde, les progressistes, les radicaux, les conservateurs, et un ministère a fini par se reconstituer à peu près sur les mêmes bases que le précédent, si ce n'est que l'amiral Topete n'est plus au pouvoir. C'est un ministère aussi conservateur qu'il puisse être dans les conditions actuelles de l'Espagne, avec un mélange incohérent de radicaux modérés et d'anciens unionistes. Il ne resterait donc plus qu'à s'occuper des élections; mais c'est là justement qu'est le danger aujourd'hui. Quelque influence que puisse avoir le gouvernement, il va se trouver en face d'une de ces coalitions qui sont un des signes les plus crians de l'anarchie morale et politique d'un pays. Tous les partis hos

TOME XCVIII.

1872.

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tiles se donnent la main. Le radicalisme pur, dont le chef est M. Ruiz Zorrilla, s'allie aux républicains, aux carlistes, aux partisans du jeune prince des Asturies, fils de la reine Isabelle.

Ainsi voilà une alliance où l'on trouve un des chefs du parti républicain, M. Figueras, un ancien ministre d'Isabelle II, M. Esteban Collantes, un des principaux coryphées de l'absolutisme théocratique, M. Nocedal. Tout cela marche ensemble, et, pour peu que la coalition ait quelque succès dans les élections, on pressent aisément ce que pourront être les nouvelles cortès, quelles ressources elles offriront à un gouvernement. Déjà dans le dernier parlement l'alliance de ces fractions hostiles rendait tout impossible, et a déterminé les diverses crises ministérielles qui se sont succédé. Si elle revient en force à la chambre, le ministère de M. Sagasta n'a plus qu'à s'en aller; mais M. Ruiz Zorrilla, le grand organisateur de cette coalition, s'il était appelé au pouvoir, trouverait devant lui les mêmes difficultés; ses amis seraient remplacés dans la coalition par les amis de M. Sagasta. Comment une monarchie constitutionnelle, surtout une monarchie nouvelle, pourrait-elle vivre dans ces conditions, entre des coups d'état et des révolutions également inévitables? Le roi Amédée est certainement le plus à plaindre dans ces confusions, car il est le modèle des princes constitutionnels. Il est prêt à faire tout ce que les cortès lui diront. Il ne serait pas de trop seulement que les cortès qui viendront eussent elles-mêmes quelque idée de la politique qu'elles préféreraient. C'est là la question.

CH. DE MAZADE.

L'INDE ANGLAISE AU COMMENCEMENT DE 1872.

Empire in Asia; how we came by it. A book of confessions, by W. M. Torrens, M. P.
Londres 1872, Trübner et Ce.

Une série de symptômes qui ressemblent à des lueurs d'orage appellent de nouveau l'attention des hommes d'état sur l'Inde anglaise. L'assassinat du juge suprême Norman a été suivi de celui du vice-roi; les fanatiques savent désormais que les plus hauts représentans d'un pouvoir détesté sont à toute heure justiciables de leurs poignards. Les attentats et les rébellions se multiplient. A Lahore, des bandes d'indigènes parcourent les rues pendant la nuit et les remplissent du bruit de leurs chants qui annoncent la fin prochaine de la domination étrangère et la ferme résolution des opprimés de verser leur sang à torrens pour la liberté et pour leur foi. D'un bout à l'autre de l'Inde, la conviction se fortifie que le jour n'est pas éloigné qui verra s'écrouler l'empire britannique en Asie, et que l'œuvre de la délivrance doit s'accomplir par les Russes et les Chinois. D'où vient cette croyance? On ne sait; elle a

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