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existe une nationalité serbe. Cette nationalité saura reconnaître, dans les débris qui jencheront alors le sol, les membres épars qui lui appartiennent. Est-ce à la Servie ou au Montenegro que sera réservé l'honneur de les réunir? Il importe peu; ce que doit avant tout désirer cette intéressante tribu de la famille slave, c'est qu'il se trouve quelque part un centre assez puissant pour attirer à lui et pour retenir associés les élémens d'une grande confédération indépendante.

Les voies de la Providence sont mystérieuses, et il lui plaît souvent d'ajourner ses desseins. L'heure de la renaissance devait être sans doute retardée pour les Serbes, car les hommes qui semblaient avoir été appelés à diriger, en Servie aussi bien qu'au Montenegro, le grand mouvement de la rénovation sociale, le prince Danilo et le prince Michel, voyaient à quelques années d'intervalle leur destin abrégé par d'odieux attentats. Que les Serbes y prennent garde, leur histoire jusqu'ici n'a été que l'histoire de leurs dissensions. Il leur faut introduire plus de discipline dans les esprits, plus d'union dans les cœurs. Leur avenir se fermerait brusquement, s'il se rencontrait encore parmi eux des Vuk Brankovitch. On peut douter heureusement que le meurtre du prince Danilo ait été l'effet de quelque instigation politique. C'est un avantage que le Montenegro paraît encore avoir eu sur la Servie. Le 11 août 1869, le prince était à Cattaro avec sa jeune femme. Une barque l'attendait près du quai, il y avait déjà fait embarquer la princesse et allait y descendre lui-même, quand un Monténégrin écarta violemment les gardes, et, à brûle-pourpoint, lui tira un coup de pistolet dans les reins. Le prince chancela; ce furent les bras de sa femme qui le reçurent. L'assassin avait profité du premier moment de stupeur pour s'enfuir. On parvint à le rejoindre. Il ne fit aucune révélation. A l'occasion de je ne sais plus quel méfait, le prince l'avait exilé. C'était du juge, non du prince, qu'il avait voulu tirer vengeance. Quoique la balle eût brisé l'épine dorsale, l'agonie se prolongea pendant vingt-quatre heures. La princesse Darinka montra un grand courage et une résolution dignes du rang qu'elle occupait. Son neveu, le prince Nicolas, qu'elle avait tenu à faire élever en France, était heureusement auprès d'elle en ce terrible moment. Elle mit sur sa tête le bonnet du prince Danilo, et l'investit ainsi du pouvoir suprême; puis elle reprit le chemin de Cettigné, suivant à pied le cercueil qui renfermait les dépouilles mortelles de son époux. Le prince Nicolas était le fils unique de Mirko. L'influence dont jouissait ce valeureux homme de guerre eût fait rentrer sous terre tous les compétiteurs, s'il s'en était présenté. Le Montenegro n'en subit pas moins les conséquences déplorables de la catastrophe. Une an

née ne s'était pas écoulée que la guerre ramenait les Turcs sur ses frontières. Une seconde campagne les conduisait jusqu'aux derniers contre-forts qui couvrent la vallée de Cettigné. Il était temps que l'Europe intervînt; la diplomatie préserva le Montenegro de l'inévitable soumission qui eût annulé le plus précieux de ses titres à la suprématie future. Ce petit pays reste vierge de la domination turque. Le temps d'arrêt qu'il a subi dans son expansion n'est qu'un incident sans importance. L'avenir est aux races qui n'ont pas abjuré et qui croient aux retours de fortune, parce qu'elles n'ont pas cessé de croire en la justice de la Providence.

Je n'essaierai pas de contredire les philosophes qui prétendent que « la vertu est si nécessaire aux hommes et si aimable par ellemême, qu'on n'a pas besoin de la connaissance d'un Dieu pour la suivre; » je n'en croirai pas moins cette doctrine tout à fait insuffisante pour entretenir dans les âmes le culte exalté de la patrie. Quand l'empire de Douschan et des Nemanja eut été effacé de la carte du monde, ce fut la religion et la poésie qui en conservèrent le souvenir dans la mémoire des hommes. Quelques milliers de bandits réduits à vivre de pillage devinrent, grâce à la persistance de leur foi, les gardiens du précieux dépôt de la nationalité serbe. Le sultan entrait alors en campagne à la tête de 500,000 hommes, il pouvait tirer de ses arsenaux plus de 600 pièces d'artillerie, envoyer devant lui, « pour faire le dégât, » 60,000 Arcangis et 40,000 Azapes. Le monde lui offrait peu de plaines assez vastes pour qu'il y pût asseoir ses camps et passer en revue son armée. Sans compter les troupes auxiliaires, les Tartares de la Bulgarie et les Tartares de la Crimée, les Circassiens et les Kurdes, il voyait chaque soir, à l'appel du muezzin, près de 100,000 spahis ou janissaires et plus de 200,000 Timariotes agenouillés le front dans la poussière, le visage tourné vers La Mecque. Qui eût osé penser que les successeurs de ce potentat en viendraient un jour à traiter de puissance à puissance avec un porcher de la Schoumadia et avec le chef indépendant du Montenegro? Les plus grandes nations, les plus nobles races sont exposées à fléchir sous le poids de leurs discordes intestines. On les voit alors s'éclipser pendant de longs siècles. L'histoire ne nous offre que trop d'exemples de ces désastreux effacemens; mais l'histoire nous apprend aussi que ces nations peuvent renaître du moindre germe, lorsqu'elles ont conservé le respect de leur langue, la mémoire des hauts faits du passé et cette dernière étincelle de vie, la foi religieuse, capable à elle seule de tout féconder.

E. JURIEN DE LA GRAVIÈRE.

UN MINISTRE

DU ROI PHILIPPE LE BEL

GUILLAUME DE NOGARET (4).

II.

LES APOLOGIES DE NOGARET ET LE PROCÈS DES TEMPLIERS.

I.

Nogaret, se présentant devant Philippe le Bel à Béziers, put se vanter de lui avoir fait remporter une difficile victoire. Le plus redoutable adversaire que la royauté française eût jamais trouvé sur son chemin était mort de rage. Nogaret exposa en plein conseil le complet changement qui s'était opéré dans les dispositions de la cour de Rome, insista sur les bonnes intentions du pape Benoît XI, et conseilla d'envoyer une solennelle ambassade au saint - siége avant que le pape eût, selon l'usage, dépêché en France le légat porteur de la bulle d'intronisation. C'était là un avis très prudent; il y avait trois mois et demi que Benoît était proclamé; si l'on avait attendu encore et que le légat ne fût pas venu, cette abstention aurait passé pour la confirmation de tous les anathèmes de Boniface. Le roi suivit cette opinion, et désigna pour faire partie de l'ambassade Bérard, ou Béraud, seigneur de Mercœur, Guillaume de Plaisian et le célèbre canoniste Pierre de Belleperche, tous trois amis et associés intimes de Nogaret. Ce qui prouve du reste que la conduite de ce dernier obtint de Philippe une pleine approbation, c'est que nous possédons les actes originaux, datés de Béziers (1) Voyez la Revue du 15 mars.

vers le 10 février, des récompenses que le roi lui accorda pour ses services passés. Au don de 300 livres de rente qu'il avait fait à Nogaret avant le départ pour l'Italie, Philippe ajouta 500 nouvelles livres de rente sur le trésor royal de Paris, en attendant que ces rentes pussent être assignées sur des terres. A la même date, nous trouvons une faveur royale plus singulière. Le jour des cendres de l'an 1304 (11 février), Philippe le Bel, se trouvant à Béziers, donne aux quatre ins parables, à Bérard de Mercœur, à Pierre de Belleperche, à Guillaume de Nogaret et à Guillaume de Plaisian, qualifiés milites et nuntii nostri, plein pouvoir de mettre en liberté toute personne, laïque ou ecclésiastique, détenue en prison pour n'importe quel motif. Il est regrettable que le nom de Nogaret soit mêlé à une mesure aussi peu légale. Triste magistrat que celui qui, pour récompense de ses services politiques, acceptait le droit de vendre à son profit la liberté aux prisonniers! Il est vrai que les prisons de l'inquisition du midi recélaient à cette époque tant d'innocentes victimes, que le privilége exorbitant conféré à Nogaret et à ses compagnons fut sans doute pour plusieurs malheureux une réparation et un bienfait.

Dans la pièce que nous venons de citer, Nogaret est qualifié nuntius sur le même pied que les trois ambassadeurs. Après beaucoup d'hésitations en effet, Nogaret finit par être attaché à l'ambassade qu'il avait conseillée. Le 14 février, Mercœur, Belleperche et Plaisian sont investis par lettres patentes, datées de Nîmes, des pouvoirs nécessaires pour recevoir (non pas pour demander) au nom du roi l'absolution des censures que ce prince pouvait avoir encourues. Nogaret ne figure pas dans cet acte; mais le 21 février les trois mêmes personnages, auxquels cette fois est joint Nogaret, sont chargés par nouvelles lettres patentes, datées de Nîmes, de traiter de la paix avec le pape, sauf les franchises et bonnes coutumes de l'église gallicane. Cette adjonction du sacrilége Nogaret à l'ambassade extraordinaire qui se rendait auprès du saint-siége pour une mission d'un caractère conciliant serait incroyable, si elle ne nous était garantie non-seulement par Nogaret lui-même, mais par un acte officiel dont nous avons l'original. Il faut ajouter que Plaisian, Belleperche et Mercœur n'étaient guère moins compromis que Nogaret avec la cour de Rome.

Un an après le voyage clandestin où l'on avait vu l'envoyé du roi de France marcher de compagnie avec les pires bandits de la chrétienté, Guillaume de Nogaret partit donc de nouveau pour l'Italie, cette fois comme membre d'une ambassade solennelle, avec les plus graves personnages de l'église et de l'université; mais l'insolent diplomate avait trop présumé de son audace et de la faiblesse de

Benoît. Ce dernier commençait à sortir de l'espèce de stupeur où l'avait plongé la scène d'Anagni. Il accueillit l'ambassade, et refusa de voir Nogaret. Si le pape eût consenti à négocier avec lui, c'était la preuve qu'il était libre de toute excommunication, le pape ne pouvant traiter avec un excommunié. Le refus de Benoît, au contraire, plaçait Nogaret sous le coup des plus terribles anathèmes, et l'obligeait à solliciter l'absolution pour sa campagne de 1303. Solliciter l'absolution, c'était s'avouer coupable; s'avouer coupable, c'était s'exposer au sort le plus cruel. Il fit donc prier le pape de lui donner ce qu'on appelait l'absolution ad cautelam, c'est-à-dire l'absolution qu'on demandait pour plus de sûreté de conscience, et qui n'impliquait pas la réalité du crime dont on était absous. Benoît refusa encore. Le 2 avril 1304, le roi fut relevé des censures qu'il pouvait avoir encourues, et il fut dit qu'il l'était sans qu'il l'eût demandé. Une bulle du 13 mai annula toutes les sentences de Boniface contre le roi, son royaume, ses conseillers et officiers, et rétablit tous les Français dans l'état où ils étaient avant la lutte; Guillaume de Nogaret était excepté. Par une autre bulle du même jour, le pape dégage tous prélats, ecclésiastiques, barons, nobles et autres du royaume des excommunications contre eux prononcées, excepté encore Nogaret, dont il se réserve l'absolution. Ceci était fort grave. La diplomatie de Nogaret avait échoué; sa position civile restait celle de l'excommunié, ce qui équivalait à être hors la loi. Sa fortune était sans solidité, sa vie en danger. Pour secouer l'anathème, il lui faudra sept années de luttes et de subtiles procédures. Nous allons le voir y déployer parfois beaucoup de science et d'éloquence, toujours une rare souplesse et des ressources d'esprit infinies.

Un passage des plaidoiries de Nogaret écrites en 1310 ferait supposer que l'ambassade de 1304 requit Benoît XI de continuer par lui-même ou par le concile le procès contre Boniface intenté en 1303; mais Nogaret avait alors besoin pour sa thèse que le procès d'Avignon en 1310 fût la suite de celui qu'il avait commencé à l'assemblée du Louvre le 12 mars 1303. Il se peut que sur ce point il ait présenté les faits sous un jour inexact. Nogaret ne s'attaqua avec frénésie à la mémoire de Boniface que quand il vit qu'il n'y avait pour lui qu'une seule planche de salut, c'était de susciter contre la papauté un procès scandaleux, et de mettre la cour de Rome dans une situation telle qu'elle se crût heureuse de lui accorder son absolution pour prix de son désistement.

Nogaret devança par un prompt retour l'arrivée en France des bulles qui absolvaient tout le monde excepté lui. Sa position devenait fort difficile à la cour. Il avait des ennemis, qui cherchaient à animer le roi contre lui et à présenter l'incident d'Anagni sous

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