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Rentrée en souveraine dans la demeure de ses pères, Pulchérie Augusta en chassa d'abord ce troupeau d'eunuques qui l'infestaient, et fit mettre à mort Chrysaphius. On dit qu'elle le livra au fils de Jean le Vandale, général barbare, qu'il avait fait tuer traîtreusement parce que son crédit près de l'empereur l'offusquait : singulière justice de punir un criminel public par une vengeance particulière! Au reste, personne ne s'en plaignit : « Chrysaphius mourut, et son avarice avec lui, » dit un chroniqueur du temps; ce fut là sa seule oraison funèbre. L'impératrice Eudocie, pensant qu'au milieu de cette réaction contre le règne passé sa place n'était plus au palais, demanda la permission à sa belle-sœur de retourner à Jérusalem, permission que celle-ci lui accorda de grand cœur. Athénaïs, en témoignage de sa reconnaissance, lui envoya de la sainte cité le portrait de la vierge Marie peint par saint Luc, relique à laquelle tout le monde alors croyait, et qui passait pour opérer des miracles. La pieuse Augusta fit construire pour le recevoir une magnifique (1) Voyez la Revue du 15 décembre 1871.

église dans un quartier de la ville qui dominait la mer, et y fonda un office du jour et de la nuit.

En réfléchissant à son isolement en face de l'empire, la vaillante fille eut peur. L'empire d'Orient n'était plus ce qu'elle l'avait connu en 414, lorsque, à peine âgée de seize ans, elle en avait tenu les rênes. A cette époque, le calme régnait à l'intérieur, et l'on n'avait à redouter au dehors que les Perses, faciles à vaincre; mais maintenant tout était changé. Jamais plus formidable tempête n'avait été suspendue sur le monde romain. Attila agglomérait dans la vallée du Danube toutes les populations sujettes des Huns, depuis la Caspienne jusqu'à l'Océan-Glacial, et depuis les monts Ourals jusqu'aux Carpathes. Or l'on se demandait où devait s'abattre cette avalanche de peuples inconnus, sur l'Orient ou sur l'Occident. Les Vandales, maîtres de l'Afrique, présentaient un semblable danger par mer; les peuples germains et slaves s'agitaient dans les forêts de l'Europe, les tribus sauvages de la Libye et de l'Éthiopie dans les déserts voisins de l'Égypte : c'était comme une conjuration de la barbarie universelle pour anéantir l'œuvre de Rome et la civilisation.

Pulchérie comprit que l'énergie morale d'une femme ne suffirait pas à de telles conjonctures, qui réclamaient l'action d'un homme, et d'un homme nourri dans la guerre. Cet homme lui manquait dans sa famille, elle le chercha au dehors. Elle eut l'idée de s'associer un collègue au gouvernement, sinon un mari. Pulchérie comptait alors cinquante et un ans révolus, et avait passé l'âge d'avoir des enfans de plus elle voulait observer jusqu'à la fin de sa vie l'engagement d'une continence perpétuelle qu'elle avait pris dans sa seizième année par un dévoûment fraternel si mal récompensé. Mais quel homme appellerait-elle à l'honneur de siéger à ses côtés sur le trône des césars? En parcourant dans sa pensée le sénat et la cour, elle arrêta son choix sur un vieux soldat que son caractère et l'estime publique lui eussent au besoin recommandé comme un digne époux pour la petite-fille de Théodose, et un chef capable de soutenir l'état sur le penchant de sa ruine. Elle le manda près d'elle, et lui exposant ses appréhensions et son projet : « C'est à vous que j'ai pensé, lui dit-elle, pour être l'appui de l'empire et le compagnon de mes rudes travaux. Je cherche un collègue et non un mari, car je garderai, comme je m'y suis engagée devant Dieu, le vœu de chasteté formé volontairement dans ma jeunesse. Notre union serait à ce prix. » Marcien promit tout ce qu'elle voulut. Pulchérie, convoquant alors le sénat, lui fit part de sa résolution et de son choix. Les fiançailles eurent lieu par les soins du patriarche Anatolius, et l'époux d'Augusta fut proclamé lui-même Auguste à l'Hebdomon, en présence du sénat, de l'armée et du peuple, le 24 août 450, moins d'un mois après la mort du second Théodose.

Marcien, ou plus exactement Marcianus, était né en Thrace d'une famille militaire, suivant le mot des historiens, c'est-à-dire d'une famille qui suivait de père en fils la profession des armes dans une province perpétuellement menacée, où la guerre faisait la vie de chaque jour; sa carrière était ainsi marquée à l'avance, et son goût l'y portait, non moins que la tradition des siens. A peine donc avait-il atteint l'âge de servir, qu'il était allé se présenter à Philippopolis, où stationnait une légion. Les officiers de recrutement, charmés de sa bonne mine, de sa haute taille, de son air décidé, non-seulement l'admirent sans hésitation, mais au lieu de l'inscrire à la suite sur le registre matricule du corps, comme le voulait la règle pour tous les nouveaux arrivans, ils lui donnèrent une place d'un rang supérieur, laissée vide par la mort récente d'un soldat. Alors commença la série de pronostics dans lesquels on se plut à lire la fortune du jeune Marcien, quand l'événement eut prononcé. Le soldat qu'il remplaça par faveur sur le registre matricule se nommait Auguste, de sorte qu'il fut désigné dans la légion sous l'appellation de Marcien, dit Auguste, rapprochement fortuit qui sans doute alors ne frappa personne, mais devint plus tard une annonce manifeste de son avenir. Les indices les plus étranges semblaient suivre pas à pas ce favori de la destinée comme pour le signaler à son insu à de plus clairvoyans que lui. On raconte qu'étant encore simple soldat, et voyageant de Grèce en Asie pour rejoindre l'armée envoyée en 421 contre les Perses, il tomba malade et fut logé chez deux frères qui étaient devins. Ceux-ci ne tardèrent pas à découvrir en lui des signes de la plus haute fortune. « Quand vous serez empereur, lui dirent-ils un jour, quelle récompense nous donnerez-vous? -Je vous ferai patrices, répondit en riant le soldat, comme pour continuer une plaisanterie. Partez donc, reprirent sérieusement ses hôtes: allez où le sort vous appelle, et souvenez-vous de nous. » L'histoire ne dit pas ce qu'il arriva des deux devins.

La plus célèbre de ces aventures prophétiques est celle qui le mit en rapport avec le roi des Vandales, Genséric, alors maître de Carthage. Il avait fait en qualité d'assesseur d'Aspar la désastreuse campagne de 431, où la flotte romaine fut détruite, et, tombé au pouvoir du vainqueur, il attendait avec une foule de captifs ce qu'on déciderait de sa vie. A l'heure de midi, ces malheureux se trouvaient dans une plaine sans arbres, et un soleil perpendiculaire dardait sur leur tête. Sous l'influence de cette chaleur accablante et de la fatigue de la route, Marcien s'étendit par terre et s'endormit. On vit alors se passer une scène extraordinaire rapportée par les historiens. Un aigle, qui planait au haut du ciel, s'abattit sur Marcien assoupi, et le couvrit de ses ailes qu'il agitait en volant comme pour lui procurer de la fraîcheur. Ce qu'apercevant Genséric de la terrasse de sa

maison, il fit venir le Romain et l'interrogea sur sa condition, puis il lui dit « La science de l'aruspicine (Genséric, comme beaucoup de barbares, la pratiquait et s'y croyait expert) me révèle que tu seras un jour empereur; je te donne la liberté, mais promets-moi de ne jamais faire la guerre à ma nation quand tu disposeras de la fortune de la tienne. » Marcien pensa sans doute que le roi barbare se moquait, et lui jura ce qu'il voulut; mais le hasard fit qu'il ne déclara point la guerre aux Vandales. Ces contes au fond sont de l'histoire, et c'est à ce titre que je leur donne place ici. Ils montrent que ce siècle si dévot, où les plus délicates questions de la théologie devenaient des causes populaires, n'en était pas moins superstitieux à l'excès; ils font voir en outre que Marcien, malgré tant de sollicitations surnaturelles, fut toujours trop honnête pour vouloir aider à son destin. Il n'en fut d'ailleurs que mieux accepté quand ce destin s'accomplit.

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Marcien se montra digne de son élévation, et ne dépara point cette pourpre sous laquelle il fallait un soldat. La sévérité de ses habitudes un peu rudes, son désintéressement, son caractère franc et ami de la justice, rappelaient ces vieilles mœurs romaines dues dans la corruption des villes, mais qui florissaient encore sous la tente, protégées par la discipline des camps. Il était peu lettré, mais on estimait son sens droit, et sa bravoure était proverbiale. Toutefois, l'intrigue et le savoir-faire n'étant point venus à son secours, l'empereur prédestiné n'était encore que tribun lorsque Théodose II, en considération de ses services, le fit entrer au sénat, où Pulchérie l'avait connu. Il était dans sa cinquante-huitième année, veuf d'un premier mariage, d'où provenait une fille qu'il maria au petit-fils du patrice Anthémius, lequel devint empereur d'Occident après les bouleversemens qui firent disparaître de cette autre moitié de l'empire la famille du grand Théodose.

L'occasion se présenta comme à souhait pour le nouvel empereur de montrer sa fermeté d'âme et son patriotisme romain. Il était à peine proclamé, qu'Attila lui envoya un ambassadeur pour réclamer le tribut que Théodose, dans l'abaissement de ses dernières années, avait consenti à lui payer. Marcien reçut au milieu de sa cour l'ambassadeur du roi des Huns, et lui répondit par ces mots restés fameux: << retournez vers votre maître, et dites-lui que, s'il s'adresse à moi comme à un ami, je lui enverrai des présens; que si c'est comme à un tributaire, j'ai pour lui du fer et des armées qui valent les siennes. » Cette fière parole mit Attila en fureur, et il déclara qu'il ferait payer aux Romains, outre le tribut qu'ils lui devaient, les présens que leur empereur venait de lui promettre; toutefois la colère du barbare n'eut pas d'effet pour le moment, car l'armée innombrable qu'il réunissait sur le Danube était destinée à envahir

la Gaule. Après sa défaite dans les plaines de Châlons, lorsqu'il se jeta sur l'Italie avec de nouvelles troupes, Marcien fit passer une partie des siennes au-delà des Alpes, provoquant ainsi dans un intérêt romain le mortel ennemi de sa nation, et se montrant supérieur aux mesquines jalousies qui divisaient trop souvent les deux moitiés de l'empire pour leur ruine commune.

Tandis que par sa conduite au dehors il se donnait le droit d'inscrire en tête de ses lois des préambules tels que celui-ci : « nous appliquant à nous rendre utile au genre humain, consacrant nos jours et nos nuits à faire que les peuples sous notre gouvernement soient à l'abri des incursions barbares par la valeur de nos soldats, et vivent dans la paix et la sécurité,... » à l'intérieur il travaillait à cicatriser bien des plaies saignantes. Il épurait les magistratures vouées à la corruption sous l'administration de Chrysaphius, il modérait les impôts, remettait des amendes, amnistiait des condamnés; la religion surtout attira sa sollicitude.

Marcien était un catholique éprouvé, et la certitude de rencontrer en lui un frère en orthodoxie comme en amour du bien public n'avait pas médiocrement pesé sur la détermination de la pieuse Pulchérie. Cette conformité de doctrines dans un point alors si important augmenta la confiance publique, car pendant le dernier règne on n'avait que trop senti le mal que faisaient à l'église et à l'état les divisions de la famille impériale en matière de foi. On put donc espérer de voir le calme renaître bientôt dans la chrétienté, si profondément troublée par suite du faux concile d'Éphèse et de la loi de Théodose qui rendait ses décrets obligatoires dans l'empire d'Orient.

Un an s'était écoulé entre la clôture de cette assemblée « impie et féroce, » comme l'appelait le pape Léon, et la mort de Théodose II. Ce temps avait été activement employé au profit de la persécution. Chrysaphius, par les moyens qui lui étaient familiers, avait livré la chrétienté orientale à la merci de son protégé Dioscore; toutes les églises courbaient maintenant la tête sous le même bâton « pharaonique » que connaissaient trop bien celles d'Égypte. Cependant une partie des évêques qui avaient cédé pour éviter l'expulsion ou l'exil maudissaient secrètement leur joug et étaient tout prêts à le secouer; quelques-uns même donnaient l'exemple d'une fermeté courageuse sous les sévices et les menaces. Tous au fond invoquaient l'instant de leur délivrance, la tyrannie de Dioscore étant insupportable même à ceux qui professaient comme lui les opinions. eutychiennes. Ces opinions, malgré l'aversion générale pour l'homme qui les personnifiait alors, n'avaient pas laissé de faire des progrès dans une partie de l'empire, et un schisme semblait prochain, où l'eutychianisme pourrait presque balancer les forces de l'orthodoxie.

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