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d'abord qu'aux mers fermées pour faire escale, surtout avec les voyageurs, les colis de poste et les groups de métaux, sont maintenant lancés sur les mers ouvertes, sur les grands océans, grâce aux perfectionnemens de toute sorte réalisés dans la construction et la disposition des machines. On utilise aujourd'hui la houille mieux qu'on ne l'utilisait hier, et l'on consomme moitié moins de charbon qu'il y a quelques années. Pendant ce temps, les isthmes se percent, les grandes compagnies maritimes à vapeur se fondent, émules sur les mers des grandes compagnies de voies ferrées sur terre. Le steamer comme la locomotive sont devenus le lien des nations. Dans tous les cas, ces grandes évolutions du commerce et de l'industrie, qui peu à peu transforment le globe, en rapprochent les points les plus extrêmes, créent la solidarité des intérêts matériels entre les nations, ne sont-elles pas de nature à frapper vivement de jeunes intelligences? L'enseignement d'un institut commercial, par beaucoup de ses chaires, est analogue à celui de nos facultés; il est réellement d'ordre supérieur, et nous devons appeler de tous nos vœux l'extension de ce genre d'établissemens en France.

Les écoles du Havre, de Rouen, de Lyon, de Marseille, se sont fondées, on l'a dit, sur le modèle de celle d'Anvers. A Marseille, on a joint quelques nouveaux cours à ceux déjà empruntés à l'école belge. Les mathématiques, la physique, la chimie, la calligraphie, ne se demandent pas seulement aux examens d'entrée; on y revient longuement à l'école. Un cours d'hygiène maritime et coloniale, un cours de dessin lineaire et à main levée, un cours d'élocution, seront aussi établis; enfin des conférences seront faites par un professeur spécial sur les devoirs du négociant. La durée totale des cours comprendra d'ailleurs trois années, et l'âge exigé pour l'entrée sera de quinze ans révolus. Les trois années seront indépendantes, de sorte qu'à l'issue de la première il pourra sortir des commis; à l'issue de la seconde, des employés supérieurs; enfin, à l'issue de la troisième, des jeunes gens capables de devenir immédiatement chefs de maison. Comme à l'institut d'Anvers, il y aura un musée d'échantillons, une bibliothèque, un laboratoire de chimie, et les élèves seront conduits dans les docks, les ateliers, les fabriques de la ville et des environs, car c'est ici surtout que la pratique doit être compagne de la théorie.

Il convient de dire un mot sur le cours d'élocution que nous avons mentionné, et dont l'idée est empruntée aux écoles américaines. Il est curieux que dans un pays comme le nôtre, où le beau langage, comme jadis à Athènes, est tenu en si grande faveur, aucune école d'élocution n'existe en dehors des conférences d'avocat et des cours

que l'on fait dans les conservatoires aux élèves qui se destinent à la scène. Ainsi s'explique cette espèce de timidité que bien des Français et des plus intelligens éprouvent dès qu'il s'agit de parler en public. Ce n'est pas faute d'idées, c'est faute de savoir les exprimer. Dans nos assemblées législatives, il arrive ainsi que nombre d'hommes d'affaires qui ont la tête remplie de faits n'osent pas les porter à la tribune, et laissent occuper leur place par des avocats ignorans et verbeux. En Amérique, il n'en est point ainsi; dans les moindres écoles, les jeunes citoyens sont instruits dans l'art délicat de développer publiquement leurs idées. De là cette facilité que tout homme possède aux États-Unis de parler dans un meeting, et d'y parler à l'improviste, simplement, laconiquement, comme on le fait aussi en Angleterre. Il ne s'agit pas ici de rhétorique, il s'agit d'élocution familière, et sous ce rapport on ne peut qu'applaudir à l'initiative qu'ont prise les promoteurs de l'école supérieure de commerce de Marseille.

Inutile de dire que la correspondance commerciale formera aussi l'objet d'un cours particulier. Correspondre est un art, principalement quand il s'agit d'affaires. Le commerçant doit être maître de sa plume. Il lui faut n'écrire que ce qu'il veut, et l'écrire très clairement, en peu de mots. Dans les grandes maisons de commerce, on juge souvent un correspondant à son style. « Je ne regarde jamais telle lettre de quatre pages, me disait un négociant, tant c'est prolixe et diffus. Je la laisse à déchiffrer à mes commis, et nous prenons notre temps pour exécuter les ordres d'un homme aussi peu clair. » Savoir ce qu'on veut, le bien dire, sans ambages, tel est le principe général de toute correspondance en affaires, et nos écoles de commerce doivent viser à former sur ce point leurs élèves. Est-il nécessaire d'ajouter que, lorsque ceux-ci auront acquis la pratique d'une bonne correspondance française, on les habituera également à correspondre en langue étrangère d'après les mêmes lois?

Pour conclure, nous demanderions volontiers qu'un cours de droit administratif et un cours de droit constitutionnel complétassent la partie juridique de l'enseignement commercial. Aujourd'hui la bonne expédition des affaires privées dépend trop de celle des affaires publiques pour qu'il soit permis à nos négocians d'ignorer les élémens du droit administratif et constitutionnel. En dehors de quelques cas particuliers, ces matières sont malheureusement négligées en France.

Nous n'avons parlé que des écoles américaines ou belges et de celles qu'on établit en France sur le modèle de celles-ci. Il existe

depuis 1820 à Paris une école supérieure de commerce (1) et une école commerciale fondée en 1863 par les soins de la chambre de commerce, qui patronne également la première. A l'école Turgot et au collége Chaptal, les études commerciales et industrielles sont également poursuivies de préférence aux études classiques. Tous ces établissemens n'ont que peu de rapport avec les écoles pratiques dont il a été question. Les élèves y sont internes; l'enseignement commercial qu'ils reçoivent rappelle celui des divisions dites de français de plusieurs de nos lycées et de quelques-uns de nos grands pensionnats. En Allemagne, on compte plusieurs écoles supérieures de commerce, notamment une très remarquable à Leipzig; mais en Angleterre il n'y en a aucune, et cet oubli des Anglais s'explique par la facilité qu'ont chez eux les jeunes gens pour s'expatrier, et aller apprendre le commerce dans les comptoirs de la Grande-Bretagne.

Le Havre a désormais son école, rivale de celle d'Anvers, où accourront tous les jeunes gens du nord de l'Europe et ceux des ÉtatsUnis et des Antilles. Marseille à son tour desservira tout le bassin méditerranéen, où elle est reine. L'Italie, l'Espagne, la Grèce, la Turquie, l'Autriche, et bientôt l'Afrique, les mers de l'Inde, de Chine, du Japon, enfin les républiques hispano-américaines, avec lesquelles elle entretient des relations si suivies, lui enverront de nombreux élèves; aux langues anglaise, allemande, italienne, espagnole, déjà portées sur son programme, l'école pourra joindre l'arabe, le turc, le grec moderne, indispensables à beaucoup de négocians de cette place, et quelque jour le malais, le chinois, le japonais, qui vont bientôt prendre droit de cité chez elle grâce à la porte toujours ouverte du canal de Suez (2). Nulle place en France ne convenait mieux à l'établissement d'une semblable institution. Chacun l'a bien vite compris. La chambre de commerce, diverses sociétés financières, industrielles, ont généreusement souscrit des premières et fondé à l'envi des bourses. Tous les grands négocians se sont d'eux-mêmes associés à ce mouvement.

Il ne faut pas se dissimuler que, dans nos écoles de commerce, il sera plus aisé d'avoir des élèves que des professeurs. Dès qu'on abandonne le domaine de la théorie pour entrer dans celui de la pratique, les hommes en France sont difficiles à trouver. Sur ce

(1) La même qui a été fondée et dirigée d'abord par l'économiste Blanqui, sous le patronage de MM. Casimir Perier, Ternaux, Chaptal, Jacques Laffitte.

(2) On vient précisément de créer à Marseille une chaire de malais, langue maritime par excellence des ports de l'Indo-Chine et de ceux de la Sonde, Singapour, Batavia.

point, notre infériorité est frappante. Espérons pourtant que les hommes ne manqueront pas aux chaires de l'école de commerce marseillaise. C'est tout un enseignement à créer, et il faut que cet enseignement soit élevé, moral et réellement supérieur. Nos écoles de commerce seront aussi une excellente préparation à la carrière des consulats. Quand on a voyagé à l'étranger, on est étonné, sauf de très rares exceptions, de l'infériorité de nos consuls vis-à-vis de ceux des autres nations. Rarement un consul français parle la langue du pays où il réside, rarement il y voyage, plus rarement encore il en étudie les usages, les mœurs, la politique. De là une foule de déboires, de mécomptes, qui n'auraient pas eu de raison de se produire, si l'on avait connu tout d'abord la langue du pays. Nos consuls deviennent de véritables pèlerins, inquiets, moroses, qui ne restent jamais longtemps au même lieu, tandis que l'Angleterre et l'Allemagne établissent quelquefois, un agent dans un endroit pour une très longue suite d'années, même pour toute la vie. Les avantages qui résultent de ce séjour continu sont plus grands que les inconvéniens, car il faut avant tout, pour bien faire son service, le bien connaître; d'ailleurs l'homme indépendant et libre, pour longtemps qu'il réside dans un pays, n'en épouse pas forcément les passions. De nos grandes écoles de commerce pourraient également sortir des employés supérieurs d'administration, des commissaires civils pour nos colonies. Une attention sérieuse sera consacrée à l'étude de l'émigration et de la colonisation, questions d'une rare importance et déplorablement négligées. Relever notre enseignement et le faire pratique, c'est la meilleure manière de rendre à la France la place qui lui revient parmi les nations. Le développement des hautes études commerciales est appelé à jouer un rôle important dans cette œuvre de réorganisation.

L. SIMONIN.

TOME XCVIII. 1872.

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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

31 mars 1872.

Assurément, à n'observer que l'apparence des choses, la situation de la France, telle qu'elle existe à l'heure présente, n'a rien qui puisse inquiéter ou décourager la confiance, surtout après tant d'épreuves cruelles qui ont passé sur nous comme un ouragan de feu, après toutes ces crises extérieures et intérieures qui semblaient mortelles et que nous avons pu traverser sans périr. Depuis quelques semaines, il y a plutôt dans les esprits une sorte d'apaisement qu'on expliquera comme on voudra, par la lassitude ou par une inspiration de patriotisme et de raison. Le pays, quant à lui, est certainement calme, il n'a d'autre désir que la paix, la paix bienfaisante et réparatrice, pour panser ses blessures, pour reprendre cette vie de sécurité et de travail où les nations malades retrouvent la santé. Les partis eux-mêmes, toujours incorrigibles, mais impuissans, selon le mot récent de M. Thiers, les partis semblent subir cette influence calmante, et s'être donné le mot d'ordre d'éviter les grands conflits, les violences sans dignité, les tumultes stériles. On ne désarme pas, cela est bien clair, on n'abdique ni ses préférences ni ses espérances, on comprend seulement que l'heure n'est pas propice aux agitations, aux solutions décisives, et, tant bien que mal, on revient à cette trêve dont on ne sent jamais mieux l'efficacité que lorsqu'on a essayé un instant de la rompre. Le gouvernement est visiblement fort tranquille et sans aucune préoccupation, puisqu'il n'a pas même éprouvé jusqu'ici le besoin de se compléter, puisqu'il n'y a point encore un ministre des finances définitif. Le gouvernement, dit-on, se promet de nous faire une petite visite, et veut venir renouer connaissance avec la ville de Paris pendant l'interrègne parlementaire qui commence aujourd'hui. L'assemblée de son côté en effet prend des vacances de trois semaines. Elle a donné congé aux grosses affaires, aux propositions brùlantes, aux questions d'impôts aussi bien qu'à cette question des pétitions

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