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à l'envahisseur, et l'imagination s'épouvante à la pensée des ruines indescriptibles qui viendraient accabler un pays devenu prospère à force de patience et de travail. C'est même la perspective de ces désastres qui pourrait ébranler plus d'un courage et rendre quelque autorité aux voix qui conseilleraient la soumission.

Cependant, si nous avions des conseils à donner au peuple hollandais, nous serions de ceux qui l'exhorteraient à se défendre jusqu'au bout, d'abord parce qu'à la guerre les prévisions les plus rationnelles peuvent être démenties par les événemens les moins probables, et qu'on voit même les bons joueurs perdre parfois avec les meilleures cartes, ensuite parce que la défaite est plus honorable que la soumission lâche, et que pour les peuples, encore plus que pour les rois, on ne peut jamais dire que tout soit perdu quand l'honneur est sauf, puis encore parce qu'une résistance courageuse leur vaudrait les sympathies de toute l'Europe, qui, malgré son désarroi, comprendrait qu'il est des ambitions intolérables contre lesquelles il faut à tout prix que tous s'unissent; enfin parce que l'avenir est à Dieu, que les grands empires fondés par la violence finissent de même, et que le meilleur titre pour un peuple revendiquant son indépendance dans les momens de réorganisation européenne, c'est de pouvoir rappeler qu'il a fait tout ce qu'il pouvait pour la défendre. Nous serions bien surpris si, en tenant ce langage, nous ne rencontrions pas l'assentiment de l'immense majorité des Hollandais.

Au reste, nous ne pouvons nous empêcher de faire des vœux pour que les faits viennent donner tort à nos appréhensions. Sommesnous donc condamnés sans rémission à voir la guerre ensanglanter toute la fin de ce siècle, comme elle en a désolé les premières années? Les gouvernemens militaires pourront-ils toujours fermer l'oreille à la grande voix de la civilisation, qui réclame avec une énergie croissante qu'on en finisse avec la conquête et les horribles moyens qui la procurent? Le sentiment que dans la confédération. européenne tous les peuples, petits et grands, qui ont une conscience nationale, un esprit, une valeur propre, ont droit par cela même à l'indépendance, ce sentiment ne prévaudra-t-il pas un jour sur les théories matérialistes qui érigent le sang, la race, l'idiome, en facteurs exclusifs des nationalités, et laissent de côté la sympathie morale, la communauté des épreuves et des gloires? Si donc nous disons aux Hollandais: Veillez, tenez votre poudre sèche, nous voulons ajouter: Espérons encore que vous n'aurez pas besoin de vous en servir.

UN MINISTRE

DU ROI PHILIPPE LE BEL

GUILLAUME DE NOGARET (1).

III.

LE PROCÈS CONTRE LA MÉMOIRE DE BONIFACE.

I.

On a présenté avec beaucoup de raison le procès contre la mémoire de Boniface VIII comme l'épée que Philippe le Bel tenait suspendue au-dessus de la tête de Clément V pour le forcer à servir sa politique. Il est bien remarquable en effet que cette scandaleuse affaire fut mise plus sérieusement que jamais sur le tapis à un moment où le roi devait éprouver contre le pape une assez vive rancune. Bien loin de le servir dans sa folle ambition de mettre la couronne impériale sur la tête de son frère Charles de Valois après la mort d'Albert d'Autriche, Clément avait poussé à l'élection de Henri de Luxembourg, pour s'en faire un protecteur contre la France; il favorisait de plus entre le nouvel empereur et la maison capétienne de Naples une alliance susceptible d'amener la réconciliation des guelfes et des gibelins. Cette politique, si naturelle, si raisonnable, irritait Philippe. Chaque jour, l'habile Clément rompait quelqu'une des mailles du filet où le puissant souverain avait cru pour jamais le tenir enfermé.

Nous avons vu que la question de la continuation du procès intenté par Nogaret contre la mémoire de Boniface fut traitée entre (1) Voyez la Revue du 1er avril.

le pape et le roi dès le couronnement de Clément à Lyon en novembre 1305. L'affaire dormit ensuite près de trois ans, sans être pourtant abandonnée. Les Colonnes continuaient en silence leur entassement de calomnies. Au commencement de 1308, le cardinal Napoléon des Ursins se rend à Rome pour enrôler les témoins; le 7 février, il écrit au roi pour l'engager à presser l'affaire. Clément tardant toujours à tenir ses promesses, le roi profita de l'entrevue qu'il eut avec le pape à Poitiers en mai, juin et juillet 1308, pour réitérer ses exigences en présence des cardinaux. Il demandait que tous les actes de Boniface depuis la Toussaint de l'an 1300 fus-sent annulés, qu'au cas où ce pape serait convaincu d'avoir été hé– rétique, ses os fussent déterrés et brûlés publiquement, ajoutant avec une modération hypocrite que son ardent désir était qu'il fût trouvé innocent plutôt que coupable. Le roi fit présenter dès lors quarante-trois articles d'hérésies dressés par son conseil; il requérait qu'on les examinât, et que ses procureurs fussent reçus à les prouver. Selon d'autres, il aurait sollicité en même temps, par le ministère de Plaisian, la canonisation de Célestin et l'absolution de Nogaret. Ce zèle pour la sainteté d'un vieil ermite étrangement simple d'esprit n'était pas désintéressé. Au point où les choses en étaient venues, la canonisation de Célestin devait paraître une injure à la mémoire de Boniface, un triomphe pour le roi et Nogaret. L'embarras du pape fut extrême. Il consulta ses cardinaux, qui l'engagèrent à gagner du temps, et, pour détourner le coup, à leurrer le roi par l'indiction d'un concile. Un projet de bulle commençant par ces mots : lætamur in te, daté du 1er juin 1308, ne satisfit ni le roi ni Nogaret. Ce projet resta une lettre morte. Le pape ne fit, ce semble, aucune déclaration officielle; il en dit cependant assez pour que les adversaires de Boniface se crussent autorisés à publier que, dans un consistoire public tenu à Poitiers, le pape avait annoncé qu'aussitôt après son établissement à Avignon il commencerait à entendre la cause. Il est probable que Nogaret et ses amis se donnèrent le mot pour feindre de prendre au sérieux cette assignation et pour venir mettre le pape en demeure de tenir sa promesse. Au commencement de 1309, en effet, Rainaldo da Supino, qui depuis sa ligue avec Nogaret se qualifiait chevalier du roi de France, se mit en route pour Avignon. On se raconta bientôt avec indignation une étrange histoire, Rainaldo, arrivé à trois lieues d'Avignon, fut attaqué par des gens armés que les parens ou amis de Boniface avaient, dit-on, mis en embuscade. Quelques-uns de ses hommes furent tués, les autres blessés ou mis en fuite. Ceux qui l'avaient accompagné pour se rendre accusateurs contre Boniface reprirent la route de l'Italie, en criant bien haut

que leur vie était exposée. Rainaldo protesta à Nîmes par un acte du 25 avril 1309. Il y eut en toute cette affaire, du côté de Nogaret et de ses complices, tant de roueries et d'impostures, qu'il est permis de croire que l'attaque dont il s'agit fut une collusion. Nogaret tenait beaucoup à se donner l'air d'une victime et à présenter les Gaetani comme des gens violens et puissans contre lesquels il avait besoin d'être protégé.

Le 3 juillet 1309, le roi écrit de Saint-Denis au pape pour se plaindre que l'affaire n'avance pas, que cependant les témoins meurent, que les preuves périssent. Enfin le 13 septembre 1309 sort une bulle de Clément V, datée d'Avignon. « Au commencement de notre pontificat, lorsque nous étions à Lyon et ensuite à Poitiers, le roi Philippe, les comtes Louis d'Évreux, Gui de SaintPol et Jean de Dreux, avec Guillaume de Plaisian, chevalier (on remarquera l'absence du nom de Nogaret), nous demandèrent instamment de recevoir les preuves qu'ils prétendaient avoir que le pape Boniface VIII, notre prédécesseur, était mort dans l'hérésie. »> Le pape n'a garde de croire une telle accusation; néanmoins il assigne ceux qui veulent charger Boniface, sans en excepter les princes, à comparaître devant lui à Avignon le lundi après le second dimanche de carême prochain, pour déposer de ce qu'ils savent. Le roi, ne s'étant pas rendu partie dans cette affaire, n'était pas compris dans la citation.

Vers le mois d'août ou septembre, les bonifaciens durent faire quelque protestation, que le parti français affecta de regarder comme injurieuse pour le roi. Le pape, qui voyait combien la modération était nécessaire avec un adversaire tel que Nogaret, en fut mécontent, et dit aux bonifaciens qu'ils agissaient comme des fous. Nogaret et les conseillers du roi s'emparèrent avidement de ce tort apparent, comme ils l'avaient déjà fait pour l'incident de Rainaldo, et se posèrent en offensés. On parla même de fabrication de fausses lettres apostoliques; on fit sonner bien haut certaines assertions qu'on prétendit contraires à la foi et au pouvoir des clés de saint Pierre. Tout devenait crime de la part des Gaetani entre les mains d'un subtil accusateur, habile à intervertir les rôles et à soutenir qu'on offensait le roi son maître. Ces torts vrais ou prétendus des bonifaciens furent le prétexte d'une nouvelle campagne diplomatique que Philippe entreprit vers le mois de décembre 1309 auprès de Clément. L'inquiète activité de Philippe nécessitait de perpétuelles ambassades. Une foule d'affaires de première importance le préoccupaient : l'entente, selon lui trop complète, du pape et de Henri de Luxembourg, rojet favorisé par le pape d'un mariage entre le fils du roi de Naples et la fille de l'empereur, qui

devait apporter pour dot le royaume d'Arles, le refus du pape de mettre ses anathèmes à la disposition du roi pour réduire les Flamands. La relation de cette curieuse affaire, que Dupuy semble avoir volontairement soustraite à la publicité, a été récemment imprimée et traduite par M. Boutaric (1). Il résulte de ce curieux document qu'au mois de décembre 1309 Philippe avait à Avignon jusqu'à trois ambassades, munies chacune d'instructions différentes : l'une ayant pour chef Geoffroi du Plessis, évêque de Bayeux, l'autre confiée à l'abbé de Saint-Médard, la troisième représentée par le seul Nogaret. Celui-ci, comme excommunié, ne put traiter directement avec le pape, mais on sent que le nœud de la négociation était entre ses mains. Les duplicités de cette diplomatie de clercs et de légistes n'ont jamais été surpassées; ce sont des réserves, des démentis, des pas en avant et en arrière qui font sourire. Le rusé Nogaret s'aperçoit toujours derrière ses collègues plus solennels que lui. Sa force était la perspective de l'horrible procès dont il laissait pressentir d'avance les monstrueux détails. A un moment, le camérier qui s'entretenait avec lui au nom du pape le tire à part, lui demande s'il ne serait pas possible de mettre fin aux tourmens que le saint-père a déjà supportés à ce sujet, et le prie de mener cette affaire à bonne fin. « Je lui répondis prudemment, dit Nogaret, que cela ne me regardait pas, que l'affaire appartenait au seigneur pape, qui pouvait trouver plusieurs bons moyens, s'il voulait. » Pierre de La Capelle, cardinal de Palestrine, ami de la France, fut très pressant. «Par la male fortune, dit-il aux ambassadeurs, pourquoi ne vous hâtez-vous pas de faire en sorte que monseigneur le roi de France soit déchargé de cette affaire, qui nous a déjà donné tant de mal? Je vous dis que l'église romaine peut beaucoup de grandes et de terribles choses contre les plus puissans de ce monde, quand elle a sujet d'agir. Si le roi ne se dégage pas, cette affaire pourra devenir la cause d'un des plus graves événemens de notre temps. »> Le cardinal accentua ces paroles en posant ses mains sur ses genoux, secouant la tête et le corps d'un air significatif et regardant les ambassadeurs français d'un oeil fixe. « En agissant ainsi, dit-il avec une allusion obscure pour nous, vous n'auriez à craindre ni couronne noire ni couronne blanche. » Les ambassadeurs français ne cédèrent pas il fallait « venger l'honneur de Dieu et l'honneur du roi des outrages qu'ils avaient reçus. »

Nogaret partit d'Avignon le mardi avant Noël, emportant la réponse écrite du pape aux articles du roi. Il affectait d'en être très mécontent, et allait presque jusqu'à la menace. Les négociations

(1) Revue des questions historiques, 1er janv. 1872, p. 23 et suiv.

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