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quel la jeune fille gagne un mari et n'a pas décidément de père, dénoùment qui ne tranche rien, puisque le père légal ne mettra peut être pas les pieds chez Christiane, et que le père prétendu, qui est arrivé à ses fins, est sûr d'y être le mieux accueilli. N'insistons pas davantage sur une combinaison de sentimens qui est au rebours de la nature, et qui serait le symptôme d'une maladie du goût public, si elle devait trouver des imitateurs. M. Gondinet a de l'esprit, et le public a grand besoin d'être amusé; mais l'esprit de l'un et le désuvrement de l'autre rappellent trop un temps qui n'est plus.

Après avoir formé avec six ou sept talens inégaux entre eux, mais qui représentent les autres, une galerie du théâtre contemporain, le hasard de la dernière heure nous fournit dans un auteur nouveau, qui du moins n'avait jamais travaillé que pour les scènes secondaires, le résumé singulier des défauts et des qualités que nous avons signalés dans quelques-uns. Absence d'unité, succession capricieuse des situations, confiance absolue dans le détail pour soutenir l'intérêt, plaisanteries souvent vulgaires, — à côté de ces taches fort graves, saillies heureuses, sentimens naturels et par momens bouffées imprévues d'imagination, voilà ce que l'on trouve dans M. Henri Meilhac. Ce mélange n'avait pas trop nui à la comédie de Froufrou, cadre un peu commun dans lequel on voyait avec plaisir et surprise des peintures agréables ou touchantes. Nany, que vient de représenter le Théâtre-Français, témoigne d'efforts sérieux pour créer un caractère : nous doutons que l'aute ir ait atteint son but. Certes cette Auvergnate veuve d'un petit tailleur de village, animée d'une haute ambition pour son fils qui est parvenu à la fortune, jalouse de lui et le regardant comme son œuvre et sa propriété, l'empêchant de se marier pour qu'il travaille et lui reste tout entier, c'est là une conception qui ne manque pas d'originalité malgré la bassesse de condition où M. Meilhac a placé des vues si hautes. On est frappé de la lutte laborieuse de ces pensées qui ne trouvent pas dans les paroles de la paysanne les moyens d'éclater au dehors. Ce combat de l'ambition et de la jalousie contre le penchant de la nature et l'amour maternel a son éloquence. Cependant les élémens du succès sont fort compromis par l'inégalité morale.de ce caractère de femme impérieuse. Tantôt c'est l'ambi ion, tantôt c'est la convoitise et le plaisir de posséder qui parlent par sa bouche. Elle se ravale par une infamie quand elle écrit à une maîtresse de son fils pour que celle-ci vienne rompre le mariage qu'elle redoute; elle s'annule elle-même et fait tomber la pièce dans la banalité quand elle cède et donne son consentement. Nous ne parlons pas de la famille dans laquelle l'artiste veut entrer: où M. Meilhac en a-t-il

trouvé de cette facilité plus que débonnaire? Observer la société telle qu'elle existe au grand jour, et se souvenir que l'unité non pas abstraite, mais vivante, est l'admirable privilége de l'art, ce sont deux préceptes qui semblent être oubliés de plus en plus.

Arrêtons ici cet aperçu des acquisitions ou des pertes de l'art dramatique contemporain. D'autres noms pourraient venir à la suite de ceux dans lesquels se résument les efforts les plus récens de la comédie et du drame. Ils ne changeraient rien à l'impression générale, et risqueraient même de la troubler, l'un par les triviales facéties où il renferme une fécondité naturelle, l'autre par les prétendues peintures de mœurs qu'il mêle à des photographies de cour d'assises, celui-là par les beaux vers dont il enguirlande de parti-pris les sujets les plus dénués d'intérêt.

Nous avons indiqué l'état du théâtre actuel, d'une part l'insouciance qui ne tient aucun compte des événemens et qui continue de se faire une industrie des petitesses qu'elle aperçoit ou des scandales qu'elle cherche dans notre société, sans se proposer réellement de réparer ou de corriger, de l'autre l'étude consciencieuse qui s'efforce de maintenir les traditions de l'art, mais qui se trompe quelquefois ou se décourage et s'arrête à moitié chemin. Il en est qui ont poussé jusqu'au bout la prétention d'étonner le public par des conceptions équivoques; ils confondent la crudité des traits et du langage avec la hardiesse. Ces analyses du vice et de la corruption prirent jadis leur source dans les romans de Balzac : nous espérons que les symptômes d'épuisement qui s'y laissent apercevoir en présagent la fin. Il en est qui sont restés plus fidèles à leur art : ils n'ont pas renoncé à l'élévation des sentimens. Toutefois il convient de leur rappeler que la passion même, qui est un idéal, a ses périls, et qu'elle peut dégénérer en des crises malsaines. La peinture de ces travers du cœur est encore un souvenir qu'il ne faut pas transporter dans notre vie d'aujourd'hui, qui devrait être si sérieusement occupée. Parmi ces talens d'un ordre plus haut, il manque peut-être à ceux qui étaient et qui sont restés poètes plus de confiance dans le public et une fermeté plus soutenue dans leurs conceptions. Qu'ils se gardent de cette prudence pusillanime qui fuit les grands sujets, comme aussi de confondre l'élévation avec la simple poésie. Le poète ne doit pas être à lui-même son témoin et son admirateur, et le lyrisme n'est pas le moyen le plus assuré de faire naître dans les âmes l'idée du grand. Corneille a l'héroïsme et la force; il n'a jamais mis le poète et à peine la poésie sur la scène. Entre ces deux manières d'envisager le théâtre, on rencontre ceux qui n'ont pas de vues particulières ni de principes arrêtés. Ils n'ont foi que dans la pratique : ils se contentent d'expédiens et de

procédés. Il en est (ce sont les plus délicats) qui s'emparent d'une situation dont ils connaissent les périls aussi bien que les ressources, et lui font produire tous ses fruits: il dépend d'eux de mieux faire ou de devenir les plus habiles arrangeurs de leur temps; ils savent aussi enlever à la hâte une esquisse de ce qu'il y a de plus piquant dans les mœurs extérieures de leurs contemporains. Il en est encore qui n'hésitent pas à corriger le code, se gardant bien d'ailleurs d'envoyer à la commission d'initiative de l'assemblée nationale les résultats de leur manie réformatrice. On aurait tort cependant de les accuser d'ambition: ils ne font pas leurs comédies pour changer les lois; ils changent les lois pour donner du mordant à leurs comédies.

Le théâtre a des périodes stériles dont la responsabilité ne pèse pas seulement sur ceux qui se consacrent à la composition des œuvres dramatiques: nos écrivains n'ont pas cette excuse. Un public considérable ne demande tous les soirs qu'à être intéressé, diverti honnêtement : il y a donc pour eux des obligations à remplir. Celui qui s'adresse aux foules, s'il ne pense qu'à l'intérêt de sa fortune ou de sa vanité, s'il ne songe pas à nourrir leur esprit, à élever leur âme, à leur procurer du moins un noble plaisir, celuilà déserte son devoir. Un auteur qui se ferait l'esclave de leurs penchans les moins honorables ou le bouffon de leur frivolité, qu'il ne parle pas d'un talent dont il a une si misérable idée, d'un art dont il trahit la règle suprême. Que sera-ce donc s'il s'agit d'un temps qui ne permet à aucune conscience de s'endormir, d'un pays autrefois jaloux de sa gloire et qui doit avoir appris dans le malheur à la chérir doublement? Ce n'est plus le moment de l'exalter par de vaines promesses; quand vous voyez ce peuple assemblé, parlezlui comme à celui qui a possédé de grands poètes. Gardez-vous de croire qu'il ne se souvienne pas! Souvenez-vous vous-mêmes, et la peur d'un froid accueil ou d'une médiocre recette occupera moins de place dans votre pensée.

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PEINES PERDUES

SOUVENIR D'UN SÉJOUR AU JAPON.

I.

C'était à Yokohama, au mois de septembre de l'année 1866. Pendant tout le jour, la chaleur avait été accablante. Au moment du coucher du soleil, un violent orage avait éclaté et rafraîchi l'atmosphère; puis le temps s'était calmé, et la nuit commençait belle et sereine. J'étais assis sous la vérandah d'une jolie maison de campagne que mon ami Henri L'Hermet venait de faire bâtir sur La Colline, à une petite distance du quartier étranger, et dans laquelle il se proposait de passer dorénavant les mois les plus chauds de l'année. L'emplacement du bungalou avait été choisi avec un soin tout particulier; de l'endroit où nous nous trouvions, on jouissait d'un spectacle fait pour le plaisir des yeux. A droite s'élevait un bois touffu; les arbres de haute futaie y recevaient le vent d'orage et la brise de mer, et dispersaient aux alentours leurs mugissemens ou leurs plaintes; à gauche, dans la vallée, on apercevait les nouveaux quartiers de Yokohama; dans le lointain se dressaient les sommets de Hakkoni, chaîne de montagnes bouleversée et tourmentée par une action volcanique séculaire qui donne fréquemment des preuves terribles de sa fureur indomptée. A l'extrême gauche, l'immense cratère du Fouzi-yama, la montagne sans pareille, limitait le paysage; sa silhouette sombre et majestueuse domine la contrée entière, et sa cime, chargée de neiges et perdue dans les nuages, semble en effet, comme le prétend la légende, servir de trône à la divinité suprême du Japon. Devant nous enfin s'étendait la mer, la mer vaste et belle, la mer d'azur de l'empire du Soleil levant. La tempête qui l'avait fouettée quelques heures auparavant, sous laquelle elle s'était soulevée furieuse et écumante, avait cessé, et

les vagues calmées venaient en murmurant, comme si elles se plaignaient encore de la violence qui leur avait été faite, mourir sur la plage sablonneuse de la baie. La lune s'était levée; elle semblait glisser à travers un épais tourbillon de petits nuages blancs. qu'elle illuminait au passage d'une lumière d'opale, et qui tantôt s'entassaient sur elle, comme pour la dérober aux yeux, tantôt s'écartaient brusquement pour la laisser paraître dans toute sa splendeur. Un large sillon argenté s'étendait en éventail sur la mer; en dehors des limites de cette zone miroitante, les eaux disparaissaient dans les ténèbres. A de longs intervalles, une barque, émergeant brusquement de l'ombre, se montrait dans le cercle de lumière et le traversait rapidement. Elle glissait sur les eaux en feu, muette et mystérieuse comme une apparition fantastique; des silhouettes noires s'y mouvaient en cadence. De temps en temps, un cri rauque et sauvage, le cri du batelier et du pêcheur japonais, montait jusqu'à nous; mais ce cri était si faible, si peu distinct, qu'il semblait venir d'un autre monde.

La nuit avançait, et je me levai pour me retirer. Mon ami, qui depuis quelque temps n'avait pas rompu le silence, parut se réveiller. - Où allez-vous? demanda-t-il. — Je lui rappelai que l'heure du repos était venue, que j'étais las d'avoir fait dans la journée de nombreuses visites d'adieu, et que je devais m'embarquer le lendemain. Il ne répondit rien; mais, lorsqu'après une courte pause je lui souhaitai le bonsoir: - Rien ne vous presse, dit-il; vos malles sont faites, et vous ne partirez pas de bonne heure : ce soir même, j'ai entendu le capitaine se plaindre qu'il lui manque la moitié de son charbon. Accordez-moi une demi-heure, je voudrais vous parler de moi.

L'Hermet, qui jusqu'alors s'était tenu à demi couché sur une de ces grandes chaises en bambou d'un usage général aux Indes, en Chine et au Japon, se leva, resta un moment debout comme pour se recueillir, et vint s'asseoir à côté de moi. La lune éclairait sa figure loyale et me la montrait grave et triste comme je l'avais toujours connue. Sa voix aux notes profondes, sa façon de parler un peu monotone et lente, étaient en harmonie avec l'expression de sa physionomie.

Vous partez demain pour l'Europe, et sans doute je ne vous reverrai de longtemps. - Et comme j'allais protester :- Oui, je le sais, continua-t-il, vous avez l'intention de revenir bientôt; mais, croyez-moi, il est très probable que vous n'en ferez rien. Combien de compagnons n'ai-je pas vus s'éloigner qui devaient revenir l'année suivante... Ils se sont mariés là-bas, ou ils sont morts. Vous ferez comme eux : vous vous marierez; vous mourrez bientôt, au moins pour nous, puisque vous nous oublierez. Si vous revenez ici, ce ne

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