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du pape Léon, et l'empereur les renvoyait avec leur requête s'expliquer devant l'assemblée. Les magistrats ordonnèrent de les introduire. Comme ils s'acheminaient vers l'enceinte réservée aux pétitionnaires, on leur cria de toutes parts de prendre place parmi les évêques comme évêques eux-mêmes, et ils le firent. Ils avaient à leur tête un certain Hiérax ou Hiéracus dont le nom signifiait « épervier, » et qui était évêque de la petite cité des Aphnaïtes. Quand ils furent assis, ce dialogue commença entre eux et le magistrat qui présidait : « Vous apportez une pétition? leur dit celui-ci. — Oui, par la trace de vos pas que nous baisons, répondirent les Égyptiens. Et vous l'avez souscrite? Oui, dirent-ils encore, ce sont bien là nos signatures. Eh bien donc qu'on la lise. » Constantin, secrétaire du consistoire impérial, en donna lecture. Elle était laconique et embarrassée. On y lisait : « La foi qui nous a été transmise par nos pères spirituels, par le saint évangéliste Marc, l'illustre martyr Pierre d'Alexandrie, et les très saints docteurs Athanase, Théophile et Cyrille d'heureuse mémoire, cette foi orthodoxe, nous la gardons comme des disciples fidèles, et en la professant nous suivons les trois cent dix-huit pères de Nicée, ainsi que le premier concile d'Éphèse. De plus nous anathématisons toutes les hérésies, celles d'Arius et d'Eunome, celles de Manès et de Nestorius, et cette autre qui prétend que la chair du Seigneur est venue du ciel et non de la sainte Vierge, mère de Dieu, et qu'elle n'est pas semblable à la nôtre, sauf le péché. Nous anathématisons enfin toutes les hérésies qui soutiennent et enseignent autre chose que l'église catholique. » La conséquence de cette brève exposition était que les pétitionnaires n'admettaient aucune règle de foi en dehors de celles qu'ils déclaraient, et que par cette raison absolue ils ne souscriraient point la lettre du pape.

La lecture fut suivie de longs murmures dans l'assemblée. « Pourquoi, dirent beaucoup d'évêques, n'ont-ils pas anathématisé le dogme d'Eutychès? C'est une requête calculée pour nous tromper.-Qu'ils signent la lettre de Léon! — Qu'ils anathématisent Eutychès et sa doctrine! Ils veulent se jouer de nous et s'en retourner ensuite dans leur pays, disait-on encore. Le concile a été convoqué à cause d'Eutychès, et non pour autre chose, ajoutait avec animation Diogène de Cyzique; l'archevêque de Rome a écrit à cause d'Eutychès, et nous avons tous consenti à sa lettre en vue d'Eutychès; que ces évêques en fassent autant! - C'est cela, s'écria Paschasinus au nom des légats, qu'ils déclarent s'ils adhèrent à la lettre du siége apostolique et qu'ils prononcent anathème sur Eutychès! Oui, dit un autre, qu'ils prononcent nettement l'anathème sur celui qui a soutenu deux natures avant l'incarnation et une seule après! >>

Tous les évêques en masse répétèrent : « Qu'ils signent la lettre du pape et qu'ils anathématisent Eutychès! » Alors Hiéracus, leur chef, prit la parole et dit : « Quiconque professe des doctrines contraires à ce que nous exprimons dans notre requête, fût-ce Eutychès lui-même, nous l'anathématisons! Quant à la lettre du très saint pape de Rome, les évêques savent qu'en toute chose nous attendons l'avis de notre bienheureux archevêque; nous supplions donc votre clémence d'attendre que nous ayons reçu cet avis, car les trois cent dix-huit pères de Nicée ont ordonné que toute l'Égypte se conformerait à la conduite de l'archevêque d'Alexandrie, et qu'aucun évêque ne ferait rien sans lui. C'est faux, s'écria l'impétueux Eusèbe de Dorylée, ils mentent! - Qu'ils montrent la preuve de ce qu'ils avancent! » dit Florentius de Sardes. Les évêques criaient de tous côtés : « Anathématisez Eutychès! Qui ne souscrit pas la lettre que le concile a approuvée se déclare hérétique! - Anathème à Dioscore et à ceux qui l'aiment! Si ces gens-là ne sont pas orthodoxes, comment ordonneront-ils un évêque?—Voyez, disait Paschasinus, voyez des évêques de cet âge, qui ont vieilli dans leurs églises, et qui connaissent si peu la foi catholique qu'ils attendent l'opinion d'un autre pour se décider! » Effrayés par l'animation de l'assemblée, les Égyptiens crièrent enfin : « Anathème à Eutychès et à ceux qui le suivent! >>

Toutefois on les pressait toujours de souscrire la lettre de Léon sous peine d'excommunication. Hiéracus prit de nouveau la parole. « Les évêques de notre province, dit-il, sont nombreux, et nous sommes trop peu pour nous porter garants de nos frères. Nous supplions donc votre grandeur et tout le concile de nous avoir en pitié, car, si nous faisons quelque chose sans notre archevêque, tous les évêques d'Égypte s'élèveront contre nous, comme ayant violé les canons. Ayez pitié de notre vieillesse! » Alors se passa une scène étrange, la plus étrange de toutes celles qu'eût encore présentées ce concile, si rempli d'incidens. Tous ces évêques, quittant leurs places et gagnant le milieu de la nef vis-à-vis des magistrats, se prosternèrent la face contre terre en disant : « Ayez merci de nous, ayez pitié! — Le concile œcuménique est plus digne de foi que tous les évêques d'Égypte ensemble, criait Cécropius de Sebastopolis; il n'est pas juste d'écouter dix hérétiques au mépris de tant d'évêques orthodoxes. Nous ne leur demandons pas de déclarer leur foi pour d'autres, mais pour eux-mêmes. » Les Égyptiens n'écoutaient plus rien et semblaient affolés de terreur. On n'entendait sortir de leur bouche que ces mots entrecoupés: « Nous ne pourrons plus rester dans la province, ayez pitié de nous! » A quoi Eusèbe de Dorylée répondait : « Ils sont les représentans de toute l'Égypte, il faut

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qu'ils s'accordent avec le concile. » Le désordre était au comble. Le légat Lucentius, s'adressant aux magistrats, leur dit : « Apprenez à ces gens, s'ils ne le savent pas, que dix hommes ne peuvent faire un préjugé contre une assemblée de six cents évêques! » Mais les Égyptiens criaient toujours : « Ayez pitié de nous, on nous tuera! -Entendez-vous le témoignage qu'ils rendent de leurs évêques? répé ait-on dans l'assemblée. On nous fera mourir, continuaient les Égyptiens, ayez pitié de nous! Faites-nous plutôt mourir ici. Que l'on nous donne ici un archevêque! Anatolius connaît la coutume d'Égypte (il avait été apocrisiaire d'Alexandrie avant d'être archevêque de Constantinople), il vous dira que nous ne désobéissons pas au concile, mais que nous suivons la règle de notre province. On nous tuera si nous y manquons, ayez pitié de nous! Vous avez la puissance; nous vous sommes soumis; agissez, nous ne réclamons point. Nous aimons mieux mourir ici par ordre de l'empereur et du concile. Pour Dieu, ayez pitié de ces cheveux blancs! Si l'on veut nos siéges, qu'on les prenne, nous ne désirons plus être évêques; faites seulement que nous ne mourions pas. Donnez-nous un archevêque; nous souscrirons comme vous le demandez; et, si nous résistons, punissez-nous. Oui, choisissez un archevêque; nous attendrons ici jusqu'à ce qu'il soit ordonné. »

Cette scène déchirante, la vue de ces vieillards pleins de larmes, émurent les magistrats et les sénateurs. « Il nous paraît raisonnable, dirent-ils, que les évêques d'Égypte demeurent en l'état où ils sont, à Constantinople, jusqu'à ce qu'on institue un patriarche de leur province. -Eh bien! reprit Paschasinus, qu'ils donnent donc caution de ne point sortir de cette ville jusqu'à ce qu'Alexandrie ait un évêque! » Les magistrats décidèrent qu'ils donneraient caution, du moins par leur serment. Cet épisode du concile de Chalcédoine fait voir qu'il existait dans l'église orientale bien des organisations diverses malgré l'unité des canons disciplinaires, et cette diversité tenait à des traditions antérieures au christianisme ou du moins aux prescriptions uniformes des conciles. On y trouve aussi la confirmation de bien des faits de l'histoire, qui semblent à peine croyables, sur la tyrannie des patriarches d'Égypte, la soumission servile de leur clergé, la terreur qu'ils inspiraient aux populations, enfin sur ce régime sacerdotal que les chrétiens euxmêmes qualifiaient de pharaonique, et dont en effet il fallait aller chercher l'origine dans le gouvernement des pharaons.

AMÉDÉE THIERRY.

IMPRESSIONS

DE VOYAGE ET D'ART

I.

SOUVENIRS DE BOURGOGNE.

Dans le cours d'un voyage en Hollande, nous avons rencontré un habitant de Rotterdam qui avouait n'être jamais allé en Frise. Cet aveu ne nous surprit pas beaucoup, car nous songeâmes que nous pourrions lui en faire un tout pareil pour plus d'une des parties de la France. En général le pays qu'on connaît et qu'on visite le moins, parce qu'on suppose qu'on aura toujours le temps de le connaître et de le visiter, c'est le propre pays que l'on habite. Cela est vrai de tous les peuples, plus particulièrement encore des Français que de tout autre. J'entendais parler en province, il y a quelques mois, d'une furieuse dispute qui s'était engagée, à l'époque où la dernière guerre éclatait, entre un Allemand et un avocat d'Auvergne, l'Allemand soutenant que les Français ne connaissaient pas la topographie de leur pays, et l'Auvergnat s'échauffant outre mesure pour affirmer la science géographique de ses compatriotes. Hélas! les événemens n'ont que trop prouvé que l'Allemand avait raison. C'est un grand tort, mais qui, me semble-t-il, pourrait être aisément réparable. Pourquoi n'utiliserions-nous pas notre propre malheur, et ne mettrions-nous pas à profit la triste situation que les circonstances nous ont imposée en regardant de plus près que nous ne l'avons encore fait cette patrie si éprouvée? C'est d'ailleurs le moment pour tout Français de s'emprisonner volontairement

dans son pays. Où aller maintenant chercher loisir et repos, et comment habiter avec plaisir chez des peuples étrangers indifférens à nos malheurs et souvent secrètement heureux de nos défaites? Qui voudrait affronter de bonne grâce leurs complimens de condoléance affectés, leurs épigrammes voilées, leurs sourires d'ironie, peut-être leurs insolentes injustices? Restons donc chez nous, et quand l'humeur voyageuse nous prendra, ou que les fatigues du travail et les soins de la santé nous pousseront à chercher la vue de nouveaux objets, faisons de la Normandie notre Angleterre, de la Provence notre Italie, du Béarn et du Roussillon notre Espagne, et ne cherchons notre Allemagne que dans les provinces que la force nous a enlevées.

Il y a un livre que nous avons toujours envié à la Grande-Bretagne, c'est celui du vieux Camden sur la topographie de l'Angleterre. Il est impossible d'ouvrir ce respectable ouvrage sans être ému des sentimens les plus précieux de l'homme social, tant l'exactitude descriptive y est voisine de la poésie, tant l'érudition y est animée et soutenue par un génie en quelque sorte musical qui, pareil au souffle de l'esprit dont parle l'Écriture, passe sur tous ces ossemens blanchis que l'on appelle les faits, les rapproche, les rejoint, leur rend la vie qu'ils eurent naguère. Comment se fait-il qu'un homme de génie, non pas du genre ambitieux et brillant, mais d'une âme douce et bonne (il en naît parfois de tels), n'ait jamais eu parmi nous la pensée d'entreprendre un monument patriotique analogue pour la France? Une pareille œuvre exigerait, il est vrai, qu'on y consacrât sa vie entière, et nos contemporains sont si pressés qu'ils ont à peine le temps de donner quelques mois à chacune de leurs entreprises. Ce livre ne se fera donc probablement jamais; ne pourrait-on y suppléer cependant d'une certaine manière? Pourquoi nos lettrés, dans des esquisses rapides où ils ne viseraient point à être plus complets que ne le leur permet le temps dont ils disposent, où, négligeant de parler des choses qu'ils ont vues seulement, ils ne nous entretiendraient que de celles qui les ont frappés, émus, charmés, ne nous donneraient-ils pas plus souvent la menue monnaie de ce grand ouvrage qui nous manquera maintenant à tout jamais? Ce serait une méthode plus heureuse qu'on ne pense de servir la France, que de l'entretenir plus souvent d'elle-même, de l'en entretenir pieusement, de lui faire comprendre la valeur de ses richesses morales par le degré même d'émotion et d'enthousiasme qu'elles inspireraient à celui qui essaierait de les lui décrire. C'est quelque chose de ce sentiment qui nous suggère la pensée de raconter ici les impressions que la vue des choses nous a laissées dans les diverses régions de la France où le hasard et la

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