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purement universitaire de ce corps; péril de concentration, de résistance au mouvement général.

Deux choses, ajoutait M. de Tocqueville, sont étroitement corrélatives. Pour savoir de quelle manière il faut constituer le corps royal, il faut savoir quelles attributions la loi sur la liberté lui donne; pour constituer la loi d'enseignement, il faut savoir quelles seront la composition et la puissance du conseil royal. Ces choses sont liées souvent l'une à l'autre; elles doivent être constituées en même temps et dans la même loi. Cette simultanéité, M. de Tocqueville l'avait réclamée en 1841: or, qui, å cette époque, s'était le plus obstinément refusé à laisser constituer dans la loi le conseil royal? les membres mêmes du conseil royal d'alors, et notamment M. Jouffroy.

On avait prêté au ministre l'intention de détruire le conseil royal, d'acquérir ainsi des moyens d'action à l'aide desquels il lui serait permis d'énerver l'Université, de la diminuer dans une certaine mesure, de livrer l'instruction publique au clergé. L'honorable orateur ne voulait pas affirmer qu'une pareille trahison eût pu entrer dans l'esprit du ministre; cependant il avait fallu un motif grave pour agir ainsi, et ce motif, M. de Tocqueville croyait le trouver dans le besoin d'échapper à la tutelle des Chambres, de leur soustraire, jusqu'à un certain point, ces questions universitaires qui agitent le pays et qui pèsent dans une certaine mesure sur le Cabinet; de rendre enfin moins pressantes, moins prochaines, les discussions embarrassantes, périlleuses peut-être, que de pareilles lois devaient nécessairement faire naître. Faire croire à l'Université qu'on la fortifiait, qu'on l'organisait, et l'amener à attendre; montrer aux amis de la liberté d'enseignement que, si on ne leur donnait pas la loi réclamée, on la rendait moins nécessaire en rendant moins pesante l'autorité qui l'accablait, voilà le double but qu'on avait voulu atteindre. Mais, en fin de compte, on n'avait fait que faire succéder un arbitraire à un autre arbitraire, et, loin d'éteindre les passions, on n'avait su contenter personne.

M. de Carné prit ensuite la parole. L'honorable député voyait

dans les applications trop rigoureuses d'un pouvoir exorbitant la cause bien naturelle de la révolte contre le despotisme et contre le monopole universitaire. Ces rigueurs exercées par le conseil royal, ces refus si fréquents de certificats d'études, de concessions de plein exercice, avaient fait éclater cette agitation dont allait naître la liberté de l'enseignement. M. de Carné remerciait de ce résultat le conseil royal, qui, sans doute, ne s'était pas proposé un pareil but.

Qu'avait fait ce conseil de puis trente ans qu'il dirigeait l'instruction publique? M. de Carné ne voyait, ni dans les arts, ni dans les lettres, ni dans la philosophie, ni dans aucune des grandes directions de l'esprit humain, rien qui indiquât un développement fécond de la pensée publique en France. Selon l'orateur, le niveau des études avait baissé au lieu de s'élever, et il en trouvait la preuve dans les documents authentiques que donnent les chiffres d'admission au baccalauréat ès lettres. Depuis dix ans, en effet, le nombre des admis diminue toujours relativement au nombre des inscrits. Dans presque toutes les académies, le chiffre des admis est au chiffre des candidats, comme 24 à 100; presque nulle part il n'excède le tiers; à Paris seulement, il excède plus de moitié, 52 sur 100. La conséquence est, ajoutait l'orateur, ou que le niveau des études est très-bas, ou que l'examen du baccalauréat, qui est à lui seul le couronnement, l'expression même de l'ensemble des études classique, est très-mal conçu. Le niveau des études philosophiques s'abaisse dans une proportion plus prompte et plus grande encore que le niveau des études classiques. L'abandon complet fait de la direction des études philosophiques à la spécialité avait été, selon M. de Carné, un fléau pour ces études et pour l'Université. La surintendance administrative de la philosophie une fois livrée à un homme qui avait à défendre, indépendamment des intérêts du corps, des intérêts de système et de personnalité philosophique, il avait dû s'ensuivre une guerre civile dans l'enseignement philosophique, il avait dû y avoir des triomphateurs et des persécutés. Cette doctrine de l'éclectisme, si

parfaitement inoffensive, doctrine d'expédient s'il en fût, on avait paru l'enseigner comme une sorte de religion de l'État.

Quant à l'ordonnance du 7 décembre, bien que l'organisation nouvelle parût à M. Carné mériter, au point de vue de la liberté de l'enseignement, des reproches beaucoup plus sérieux que l'ancienne, l'honorable député ne voulait pas trop la critiquer aujourd'hui si elle devait maintenir aux mains du ministre responsable la haute direction de l'enseignement, si elle faisait disparaître la spécialité dans la responsabilité. Ce serait là un service rendu à l'Université elle-même, et M. de Carné louait sincèrement, dans cette mesure, un acte de bonne administration et de courage.

M. Saint-Marc Girardin répondit aux critiques faites par M. de Carné des actes du conseil royal, que ces actes n'étant valables que sous l'approbation ministérielle, toutes les décisions attaquées se trouvaient couvertes par la responsabilité des différents ministres qui s'étaient succédé dans ce département. M. le ministre gardait le silence: il fallait bien justifier le conseil et l'administration qui le couvrait.

On accusait le conseil royal d'un esprit blamable en matière de liberté; mais répondait l'honorable orateur, lorsque M. Guizot avait présenté, en 1836, un projet de loi sur l'instruction secondaire, un membre du conseil royal, M. de Saint-Marc Girardin lui-même, nommé rapporteur d'une commission de la Chambre, n'avait pas hésité à se prononcer pour la liberté de l'enseignement, au nom de cette commission dont faisait partie un autre membre du conseil, M. Dubois (de la LoireInférieure).

On accusait le conseil d'avoir exercé une autorité excessive et tyrannique, heureusement détruite, disait-on, par l'ordonnance du 7 décembre. Les attributions du conseil royal de l'instruction publique, répondait M. Saint-Marc Girardin, se composaient de deux sortes de questions; les unes concernaient le personuel, et celles-là se réduisaient à la consultation pureet

simple, toutes nominations étant faites par le ministre. La différence introduite par l'ordonnance nouvelle consisterait en ce que, au lieu de trois avis, celui du recteur, expression de l'opinion locale, celui des inspecteurs généraux, expression de la surveillance centrale, celui du conseiller, expression de la pratique et de l'expérience, il n'y en aurait plus que deux; ces conseillers ne conseilleraient plus. Et ces attributions du personnel, aucune loi ne les avait conférées: M. le ministre pouvait, de sa propre autorité, faire refuser les dossiers aux conseillers et les désinvestir. Le conseil ne se plaignait donc pas, n'avait aucun droit de se plaindre si le ministre se refusait à recevoir des renseignements, des lumières qui ne pouvaient gêner sa liberté.

Il y avait aussi des attributions administratives. Ici encore la responsabilité ministérielle était complète avant l'ordonnance du 7 décembre 1845, et M. Saint-Marc Girardin le prouvait par l'ordonnance du 26 mars 1828 (voyez l'Annuaire) et par le commentaire fait par M. Vatimesnil lui-même.

Quel était donc l'état du conseil royal depuis l'ordonnance du 7 décembre 1845? L'orateur répondait à cette question que le conseil royal existait avant en vertu d'une ordonnance du 7 décembre 1820, et qu'il existait aujourd'hui, sous la nouvelle forme, en vertu de l'ordonnance du 7 décembre 1845. Une ordonnance avait été abolie par une autre qui pourrait l'être ellemême. Voilà tout ce qu'il y avait de réel en tout cela. Aussi M. Saint-Marc Girardin priait-il, lui aussi, la Chambre d'accorder à l'Université une loi qui la fit échapper à cette instabilité perpétuelle.

M. Bouillaud, l'un des membres nouveaux du conseil royal réorganisé, ne pensait pas que le conseil eût été tué par l'ordonnance du 7 décembre. Il est difficile, disait spirituellement le savant médecin, de considérer comme mortes des personnes qui se plaignent si hautement. Les attributions du conseil étaient si multipliées, qu'il était physiquement impossible à un aussi petit nombre de membres de suffire à leur expédition. M. Bouillaud n'en pensait pas moins que le conseil de

l'Université ne pouvait être définitivement organisé que par une loi. L'honorable député terminait en s'affligeant que M. de Carné eût pu dire que le niveau des études en France avait baissé depuis quelques années. Depuis vingt-cinq ans, au contraire, les études ont fait chez nous plus de progrès que dans les deux siècles précédents. M. Bouillaud terminait par ces concluantes paroles : «La philosophie spéculative peut-être n'est pas dans ce cas; mais la véritable philosophie, celle qui repose sur l'observation, n'est pas restée en arrière des autres sciences, et, pour cette philosophie, la France, comme pour les arts, est encore la reine du monde. Dans toute l'Europe on rend justice à la France, et si en politique la France n'est pas la maîtresse du monde, au moins pour l'instruction et pour la civilisation elle en est encore la reine. >>

M. Béchard reconnaissait que l'ancien conseil, composé de quelques membres inamovibles, était trop puissant contre un ministre amovible et préoccupé de bien d'autres soins : si, en droit, le ministre était tout par son veto, en fait, il n'était rien. Il fallait donc ou biffer du code constitutionnel la responsabilité ministérielle, ou abaisser le pouvoir devant lequel elle était obligée de s'incliner. Mais fallait-il remplacer l'oligarchie du conseil royal par l'arbitraire ministériel? L'orateur croyait qu'en exhumant le décret du 17 mars 1808, et en le présentant au pays comme la charte de l'enseignement public, on avait commis un anachronisme et créé un double péril et pour la liberté des écoles privées, et pour la constitution nationale. L'Université impériale avait une organisation corporative et presque monacale, ayant sa dotation, sa juridiction spéciale. L'Université d'aujourd'hui n'est qu'une branche de l'administration appliquée à l'enseignement, n'ayant d'autre dotation que le budget de l'État, d'autre garantie que la responsabilité ministérielle. Il n'y a donc plus rien, dans notre état social nouveau, qui puisse s'accorder avec l'institution napoléonienne. Aussi, faire revivre la centralisation des influences universitaires sans le grand maître, sans les correctifs et les tempéraAnn. hist. pour 1846.

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