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attributs, les mêmes aventures les caractérisent. On a seulement été contraint de changer le lieu de la scène, et, par une sorte de réciprocité, l'Occident est devenu pour les anciens Chinois ce que l'Orient était pour les Grecs, le séjour ordinaire des monstres et la région des êtres chimériques. Du reste, on a mis à conserver ces folies une scrupuleuse exactitude, qu'on souhaiterait de rencontrer souvent dans des sujets raisonnables. Les Calmouques connaissaient peut-être avant nous les héros de ces contes puérils dans lesquels Perraut n'a pas même eu le mérite de l'invention. Il importe peu que ces rapports roulent sur des circonstances frivoles ou de futiles absurdités. Ce n'est pas de leur plus ou moins de valeur qu'il s'agit. L'analogie existe elle ne saurait être attribuée au hasard. En l'expliquant, on résoudrait des problèmes historiques dignes de toute notre attention.

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Si des erreurs populaires on passe à celles des hommes instruits, je veux dire aux anciens systèmes de philosophie, on y trouve des marques non moins caractéristiques, et la matière de rapprochemens tout aussi concluans. Ceux-ci offraient à l'érudition une matière intéressante et digne de l'exercer. Aussi ontils été remarqués depuis long-tems. Mais si l'on ne manque pas de faits de ce genre recueillis dans les écrits des philosophes grecs et orientaux, on manque moins encore de systèmes imaginés pour en rendre raison. Toutefois, l'explication des rapports qu'on observe dans les opinions philosophiques des divers peuples de l'antiquité, laisse encore beaucoup à dési

rer. Comme il n'y a pas de meilleur moyen d'éprouver les hypothèses et de simplifier les explications, que de multiplier les aperçus en augmentant le nombre des faits, j'ai entrepris d'en ajouter un à tous ceux qu'on avait déjà réunis, et, dans cette vue, j'ai soumis à un examen approfondi la doctrine d'un philosophe très-célèbre à la Chine, fort peu connu en Europe, et dont les écrits très-obscurs, et, par conséquent, très-peu lus, n'étaient guère mieux appréciés dans son pays, où on les entendait mal, que dans le nôtre, où on en avait à peine ouï parler.

Les traditions qui avaient cours au sujet de ce philosophe, et dont on devait la connaissance aux missionnaires, n'étaient pas de nature à encourager des recherches sérieuses. Ce qu'on savait de plus positif, c'est que ce sage, qu'une des trois sectes de la Chine reconnaît pour son chef, était né il y a environ 2,400 ans, et qu'il avait fait un ouvrage qui est venu jusqu'à nous, sous le titre de Livre de la Raison et de la Vertu. De ce titre est venu celui de ses sectateurs, qui s'appellent eux-mêmes Docteurs de la raison, et qui justifient par mille extravagances cette pompeuse dénomination. C'est d'eux qu'on avait appris que la mère de leur patriarche l'avait porté 81 ans dans son sein, qu'il était venu au monde avec les cheveux blancs ce qui lui avait valu le nom de Lao-tseu, vieil enfant, sous lequel on a coutume de le désigner. On savait encore que vers la fin de sa vie ce philosophe était sorti de la Chine, et qu'il avait voyagé fort loin à l'Occident, dans des pays où, suivant les uns, il

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avait puisé ses opinions, et où, suivant les autres, il

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les avait enseignées. En recherchant les détails de sa vie, j'ai rencontré beaucoup d'autres traits merveilleux qui lui sont attribués par les sectaires ignorans et crédules, qui s'imaginent pratiquer sa doctrine. Ainsi, comme ils ont admis le dogme de la transmigration des ames, ils supposent que celle de leur maître, quand elle vint animer son corps, n'en était pas à sa première naissance, et que déjà précédemment elle avait paru plusieurs fois sur la terre. On sait que Pythagore prétendait avoir régné en Phrygie sous le nom de Midas, qu'il se souvenait d'avoir été cet Euphorbe que blessa Ménélas, et qu'il reconnut dans le temple de Junon, à Argos, le bouclier qu'il avait porté au siége de Troie. Ces sortes de généalogies ne coûtent rien à ceux qui les fabriquent. Aussi celle qu'on a faite à Loa-tseu est-elle des plus magnifiques. Entre autres transformations, son ame était descendue bien des siècles auparavant dans les pays occidentaux, et elle avait converti tous les habitans de l'empire romain plus de 600 añs avant la fondation de Rome.

Il me parut que ces fables pouvaient se rapporter à l'origine des principes enseignés par Lao-tseu, et peut-être offrir quelque souvenir des circonstances qui les avaient portés jusqu'au bout de l'Asie. Je trouvai curieux de rechercher si ce sage, dont la vie fabuleuse offrait déjà plusieurs traits de ressemblance avec celle du philosophe de Samos, n'aurait pas avec lui par ses opinions quelque autre conformité plus

réelle. L'examen que je fis de son livre confirma pleiment cette conjecture, et changea du reste toutes les idées que j'avais pu me former de l'auteur. Comme tant d'autres fondateurs, il était sans doute bien loin de prévoir la direction que devaient prendre les opinions qu'il enseignait ; et s'il reparaissait encore sur la terre, il aurait lieu de se plaindre du tort que lui ont fait ses indignes disciples. Au lieu du patriarche d'une secte de jongleurs, de magiciens et d'astrologues, cherchant le breuvage d'immortalité, et les moyens de s'élever au ciel en traversant les airs je trouvai dans son livre un véritable philosophe, moraliste judicieux, théologien disert et subtil métaphysicien. Son style a la majesté de celui de Platon et, il faut le dire aussi, quelque chose de son obscurité. Il exprime des conceptions toutes semblables presque dans les mêmes termes, et l'analogie n'est pas moins frappante dans les expressions que dans les idées. Voici, par exemple, comme il parle du souverain Être : «< Avant le chaos qui a précédé la naissance du »ciel et de la terre, un seul être existait, immense >> et silencieux, immuable et toujours agissant. C'est » la mère de l'univers. J'ignore son nom; mais je le >> désigne par le mot de RAISON...... L'homme a son >> modèle dans la terre, la terre dans le ciel, le ciel » dans la raison, la raison en elle-même. » La morale qu'il professe est digne de ce début. Selon lui, la perfection consiste à être sans passions pour mieux contempler l'harmonie de l'univers. « Il n'y a pas, » dit-il, de plus grand péché que les désirs déréglés,

>> ni de plus grand malheur que les tourmens qui en » sont la juste punition. » Il ne cherchait pas à répandre sa doctrine. « On cache avec soin, disait-il,

>>

un trésor qu'on a découvert. La plus solide vertu >> du sage consiste à savoir passer pour un insensé. » Il ajoutait que le sage devait suivre le tems et s'accommoder aux circonstances précepte qu'on pourrait croire superflu, mais qui sans doute devait s'entendre dans un sens un peu différent de celui qu'il aurait parmi nous. Au reste, toute sa philosophie respire la douceur et la bienveillance. Toute son aversion est pour les cœurs durs et les hommes violens. On a remarqué ce passage sur les conquérans : « La paix la >> moins glorieuse est préférable aux plus brillans » succès de la guerre. La victoire la plus éclatante » n'est que la lueur d'un incendie. Qui se pare de ses

lauriers, aime le sang, et mérite d'être effacé du » nombre des hommes. Les anciens disaient: Ne >> rendez aux vainqueurs que des honneurs funèbres; » accueillez-les avec des pleurs et des cris en mé>> moire des homicides qu'ils ont faits, et que les mo»> numens de leurs victoires soient environnés de >> tombeaux. >>

La métaphysique de Lao-tseu offre bien d'autres traits remarquables, que je me suis attaché à développer dans mon Mémoire, et que, par divers motifs, je me vois contraint de passer sous silence. Comment en effet donner une idée de ces hautes abstractions et de ces subtilités inextricables où se joue et s'égare l'imagination orientale? Il suffira de dire ici

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