Sidor som bilder
PDF
ePub

depuis le renvoi d'Amelot (22 avril 1744). de vouloir être luiméme son ministre des affaires étrangères? Ne se montrait-il pas, depuis qu'il était sorti de tutelle, « attentif, brave, prudent, exact, laborieux et surtout discret'? » Ne fallait-il pas, en un mot, que la coterie dont la duchesse de Châteauroux était l'instrument s'emparât de l'esprit du roi, qui s'émancipait un peu trop 2? Mme de Châteauroux reconquit le roi à Dunkerque, et, quand la marche sur le Rhin fut décidée, elle obtint de suivre le roi. A Laon, elle réunit incognito dans un souper son royal amant et son mentor le duc de Richelieu. A Reims, elle tomba malade, et déjà le roi ne s'entretenait que de sa mort. Mais Louis XV ne s'arrêta qu'un jour et continua sa route à marches forcées : « Je sais me passer d'équipage, écrivait-il, et, s'il le faut, l'épaule de mouton des lieutenants d'infanterie me nourrira parfaitement 3. » Enfin il arriva à Metz.

On sait le reste la maladie du roi, le soin jaloux que prit Mme de Châteauroux d'écarter de son lit les vrais amis et le clergé, le retour du roi mourant à la religion et au devoir, l'éclatant renvoi de la maîtresse. Ce qu'on sait moins, c'est dans quels sentiments celle-ci s'éloigna. Sa correspondance avec Richelieu nous fournit à cet égard des révélations précieuses et que nous ne devons point négliger. La duchesse, au lieu de gagner Paris, s'arrêta d'abord à Sainte-Menehould. De Bar-le-Duc, elle fait connaître cette résolution à Richelieu : elle ne peut croire que le roi meure; tant qu'il aura la tête faible, il restera dans la grande dévotion. « Mais dès qu'il sera un peu remis, je parie, écrit-elle, que je lui troterai furieusement dans la tête, et qu'à la fin il ne pourra résister et qu'il parlera de moi, et que tout doucement il demandera à Lebel ou à Bachelier ce que je suis devenue; comme ils sont pour moi, mon affaire est bonne. » Elle se tient donc à portée. En attendant, dit-elle, «< il faut souffrir avec patience tous les tourments que l'on voudra me faire; si il en revient, je l'en toucherai davantage, et il sera plus obligé à une réparation publique; s'il en meurt, je ne suis pas pour faire des bassesses, dût-il m'en revenir le royaume de France; jusqu'à présent je me suis conduite

1 D'Argenson, t. IV,
p. 103.

2 Barbier parle de la mauvaise humeur que ce changement causait à certaines gens. T. III, p. 518.

3 Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, t. II, p. 175.

tel qu'il me convenait, avec dignité ; je me soutiendrai toujours dans le même goût; c'est le seul moyen de me faire respecter, de faire revenir le public pour moi, et de conserver la considération que je crois que je mérite... S'il en revient, que cela sera joli! Vous verrez, je suis persuadée que ceci est une grâce du ciel pour lui ouvrir les yeux et que les méchants périront. Si nous nous tirons de ceci, vous conviendrez que notre étoile nous conduira bien loin, et que rien ne nous sera impossible.

[ocr errors]

On croirait peut-être que la maîtresse congédiée qui écrivait : «Je vous assure que je regretterai le roi toute ma vie, car je l'aimais à la folie et beaucoup plus que je ne le faisais paraître, » vivait dans des angoisses cruelles sur l'état de son royal amant. Qu'on lise cette seconde lettre, qui achève de peindre Mme de Châteauroux'. Voici ce qui la préoccupait au moment où, renonçant à son premier projet, elle s'acheminait vers Paris : « Si vous m'écrivez par la poste, mandez-moi simplement des nouvelles du roi, sans aucunes réflexions; mais je voudrais savoir comment Faquinet (Maurepas) aura été reçu. Je compte sur des courriers de temps en temps. Qu'est-ce que Mme de Boufflers dit de notre triste aventure?.,. J'espère que vous n'aurez pas de scènes à essuyer; ce serait aussi trop fort... Tout ceci est bien terrible... Tout ce que je voudrais par la suite, c'est que l'on réparât l'affront que l'on m'a fait et n'être pas déshonorée 2.

Mais c'est assez nous occuper de Mme de Châteauroux. Voilà la maîtresse fidèle et dévouée, l'amante du roi ramené dans le chemin de l'honneur et de la gloire ! Retournons près de ce

1 Lettre publiée par MM. de Goncourt, l. c., t. I, p. 148-51. Elle finit en disant Brûlez mes lettres. Heureusement pour l'histoire, Richelieu les a conservées.

Lettre du 18.

3 Les portraits que l'on a fait de la duchesse de Châteauroux sont de véritables portraits de fantaisie. Voir ce qu'en dit le duc de Luynes, qui la montre «paresseuse de corps et d'esprit (t. V, p. 97). » Voir surtout les lettres publiées par MM. de Goncourt, d'après les mss. Leber, et celle qu'ils reproduisent d'après le catalogue de la collection Martin : « Sûrement, Meuse vous aura mandé la peine que j'ai eue à faire déguerpir Mm de Mailly... Vous croyez peut-être que c'est une affaire finie? Point du tout; c'est qu'il est outré de douleur, et qu'il ne m'écrit pas une lettre qu'il ne m'en parle et qu'il me demande de la faire venir, et qu'il ne l'approchera pas, mais qu'il me demande de la voir quelquefois... Comme il me conviendrait fort peu qu'elle fût ici, je compte tenir bon. Comme je n'ai pas pris d'engagement, dont je vous avoue que je me sais bon gré, il décidera entre elle et moi... Il vous a mandé

lit de mort où Louis XV on le lui a bien reproché! — fut assez faible pour s'humilier devant son Créateur, et pour faire un public aveu de ses fautes et de son repentir. La reine arriva, et le roi moribond implora son pardon. Enfin la France en larmes, la France qui, comme le remarque M. Michelet, << gardait beaucoup de cet amour de mère qu'elle avait eu pour l'enfant Louis XV 2, » apprit que le roi était sauvé. Quelques jours plus tard, il assistait au siège de Fribourg; le 12 novembre 1744, il rentrait dans Paris. Louis XV s'était ému des témoignages d'affection de son peuple : « Qu'ai-je fait, disait-il, pour être tant aimé ?» Pendant sa convalescence, il écrivait au maréchal de Noailles.

3

« Je serai ravi de vous revoir, monsieur le Maréchal. Vous me trouverez avec bien de la peine à revenir; il est bien vrai que c'est de la porte de la mort. Ce n'est pas sans regret que j'ai appris l'affaire du Rhin 3; mais la volonté de Dieu n'était pas que j'y fusse, et je m'y suis soumis de bon cœur, car il est bien vrai qu'il est le maître de toutes choses, mais un bon maître. En voilà assez, je crois, pour une première fois 4. »

Une crainte très-répandue avait tempéré la joie populaire à l'entrée de Louis XV dans Paris : la duchesse de Châteauroux ne retrouverait-elle pas les faveurs royales? Celle-ci n'en avait jamais douté: elle écrivait en ce moment même à Richelieu :

J'ai une petite lettre toute prête, et que je n'attends que le moment pour lui lâcher... Mais il faut bien prendre son temps, car il

que l'affaire était finie entre nous, car il me dit dans sa lettre de ce matin de vous détromper parce qu'il ne veut pas que vous en croyez plus qu'il n'y en a. Il est vrai que, quand il vous a écrit, il comptait que ce serait pour le soir; mais j'ai apporté quelques difficultés à l'exécution, dont je ne me repens pas (t. I, p. 86-88). » MM. de Goncourt n'ont-ils pas bien raison de dire : « Nul portrait qui vaille cette confession : c'est la femme elle-même, avec le cynisme et la légèreté de ses sécheresses, le sang-froid et l'impudeur de ses ingratitudes, de ses partis pris, de son esprit et de son cœur? »

:

1 « On ne peut oublier ici les sentiments de résignation, de piété et d'humilité que le roi a marqués dans ces circonstances détachement de la vie, ne souhaitant point que Dieu lui rendit la santé, souhaitant plutôt, si c'était sa volonté, qu'il le retirât de ce monde pour que ses peuples fussent mieux gouvernés.» (Mém. du duc de Luynes, t. p. 46.)

2 Louis XV, p. 231.

3 Le maréchal avait laissé échapper le prince Charles et son armée. 4 Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, t. II, p. 181. L'influence de Noailles n'était plus sans rivales. On avait remarqué la froideur avec laquelle le roi l'avait accueilli à Metz. A son retour à Paris, il nomme le marquis d'Argenson ministre des affaires étrangères. C'était une autre direction qui se substituait à celle du maréchal.

ne faut pas manquer son coup... je vous dis que nous nous en tirerons, et j'en suis persuadée. Ce sera un bien joli moment; je voudrais déjà y être '. »

Mme de Châteauroux entrevoyait même un autre rôle, moins dangereux et plus décent :

« Je ne connais pas le roi dévot, mais je le connais honnête homme et très-capable d'amitié... Il restera dévot, mais point cagot; je l'aime cent fois mieux, je serais son amie, et pour lors je serai inattaquable. Tout ce que les Faquinet ont fait pendant sa maladie ne fera que rendre mon sort plus heureux et plus stable. Je n'aurai plus à craindre ni changements, ni maladie, ni le diable, et nous mènerons une vie délicieuse 2. »

Richelieu avait travaillé le roi, qui, entraîné par la force de l'habitude, rebuté, dit-on, par la reine 3, revint à ses anciennes amours. Ce fut toute une négociation, encore plus épineuse que celle de 1742. La duchesse mettait de nombreuses conditions à son retour: on s'attendait à des mesures de rigueur et à de nombreuses mutations.

« Ce sera un bien joli moment, » avait écrit Mme de Châteauroux; et quand Maurepas était venu, le mercredi 25 novembre, sceller le traité au nom du roi, la maîtresse triomphante avait répondu, du fond du lit où la retenait une indisposition; « Je suis fâchée de n'être pas en état d'aller, dès demain, remercier le roi. Mais j'irai samedi prochain, car je serai guérie. »

Le joli moment ne vint jamais, et Mme de Châteauroux ne devait pas reparaître à la cour: le samedi, elle était mourante; quelques jours plus tard, elle était morte.

La mort, qui avait épargné Louis XV, frappait encore une fois autour de lui. Fut-il insensible à ses leçons et sourd à ses enseignements? Que va devenir le faible monarque? De nouveaux liens, hélas! vont l'enlacer; après un court interrègne, un nouveau règne va commencer, règne long et funeste, car cette fois la maîtresse ne dominera pas seulement l'homme: elle dominera le roi. Mme de Pompadour va être le premier ministre d'une royauté avilie et dégradée.

G. DU FRESNE DE BEAUCOURT.

1 Lettres provenant de la collection Leber; dans MM. de Goncourt, t. I, p.156-57. 2 Lettre du 13 septembre, ibid., p. 158-59.

3 Voir les Mém. du duc de Luynes, t. VI, p. 145. Cf., p. 154, ce que dit Luynes sur les démonstrations inaccoutumées du roi à l'égard de la reine.

(La fin à la prochaine livraison.)

LOUIS XVI

ET

LE SERRURIER GAMAIN

I.

Parmi les épisodes plus ou moins véridiques qui remplissent les annales de la Révolution, il en est un qui, accepté avec empressement par ceux qui avaient voté la mort de Louis XVI, puis ensuite traité de fable, a reparu avec de nombreux embellissements et suscité plus d'une controverse; je veux parler du prétendu empoisonnement du serrurier Gamain, le dénonciateur de l'armoire de fer, par le roi Louis XVI.

François Gamain, né à Versailles le 29 août 1751, appartenait à une famille d'entrepreneurs de serrurerie, qui était venu s'établir à Versailles à l'époque des grands travaux faits dans cette ville par Louis XIV. Son père, Nicolas Gamain, serrurier fort habile, était entrepreneur des bâtiments du roi. Il fit de son fils un adroit ouvrier et le chargea de la serrurerie ds l'intérieur du château, qui demandait le plus de soin. On sait le goût qu'avait Louis XVI pour les travaux manuels. Rencontrant souvent le jeune serrurier dans les appartements, il se plaisait à causer avec lui de ses travaux et à lui demander des explications sur ses ouvrages. Il s'attacha à François Gamain, et voulut s'essayer, sous sa direction, à fabriquer des serrures et quelques objets d'art à son usage. Il fit construire à cet effet un petit atelier dans les combles du château. Dans cet atelier, qui existe encore aujourd'hui, il s'enfermait fré

« FöregåendeFortsätt »