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II.

FRA PAOLO SARPI

ET

LA DOCTRINE DE L'ASSASSINAT

Le journal anglais the Chronicle contient, dans son numéro du 30 mars 1867, un article sur un nouvel ouvrage consacré à Fra Paolo Sarpi, le célèbre auteur de l'Histoire du concile de Trente. Dans cet article on parle longuement de l'assassinat dont il fut victime, et on allègue des documents publiés dans mon Histoire Universelle, pour prouver que de semblables crimes étaient approuvés par le SaintSiège, et que saint Charles et saint Pie V applaudirent à l'assassinat de Sarpi.

J'ai traité amplement dans mon Histoire des hérétiques d'Italie, qui paraît en ce moment, tout ce qui a rapport à Fra Paolo Sarpi. J'ai rassemblé les passages de ses œuvres et surtout de ses lettres, qui montrent ses opinions en fait de religion, et ce que disaient de lui les protestants, particulièrement du Plessis Mornay, qu'on appelait le pape des Calvinistes, le médecin Asselineau et le célèbre Grotius. Je crois que Sarpi ne sortit pas de l'Eglise, mais, comme l'a dit M. Quinet, qu'il y resta pour l'épier, pour surprendre ses actes et les dénoncer au monde.

Quant à l'assassinat de Fra Paolo, j'ai rassemblé tous les arguments qui établissent que la Curia Romana y a été complètement étrangère. Dernièrement M. Rawdon Brown, qui, depuis longtemps, recherche dans les archives de Venise les documents concernant l'Angleterre, a publié, dans le Venetian Calendar, un rapport de sir Henry Wollo, ambasssadeur anglais, d'après lequel le meurtrier de Fra Paolo aurait été un Ecossais nommé John Fiorentino, qui fréquentait l'ambassade d'Angleterre.

Nile pape, ni le cardinal Borghèse n'ont été pour rien dans l'assassinat de Fra Paolo. Mais il n'en est pas moins vrai que la doctrine de l'assassinat politique était répandue alors aussi bien que de nos jours. Dans la Revista contemporanea qu'on publiait à Turin, j'ai fait paraître un article où j'ai réuni plusieurs passages tirés des

archives de Florence, et qui prouvent que l'assassinat politique était encouragé, ordonné, payé, applaudi comme un fait ordinaire et tout naturel. Quand on a crié sur les tréteaux qu'on peut, qu'on doit tuer le tyran, que le bien public le réclame, quoi de plus facile que de trouver un Louvel, un Sand, un Orsini? Aucune époque, peut-être, n'aura eu tant de ces logiciens que la nôtre. Or le nommé Poma, principal assassin de Fra Paolo, écrivait à un ami : « Il n'y a pas un homme dans le monde chrétien qui n'eût fait ce que j'ai fait. » C'est la même réponse qu'ont donnée de nos jours Fieschi, Agesilas Milano et tant d'autres.

Fra Paolo lui-même écrivait : « Les mœurs de notre pays sont de telle nature, que ceux qui sont à la même place que moi ne peuvent perdre la faveur du gouvernement sans perdre aussi la vie. » Paul Tiepolo, ambassadeur de la république vénitienne près du SaintSiège, assurait le pape que son gouvernement était assez rigoureux à l'égard des hérétiques: « Nous faisons plus de besogne que de démonstrations, écrivait-il : nous ne nous servons pas de feu et de flammes, mais faisons mourir en secret ceux qui le méritent. » Et il faisait l'apologie de ces exécutions secrètes.

Cela signifie que l'assassinat politique, aussi bien que les supplices des hérétiques, était parfaitement dans l'esprit du temps; et cela non-seulement en Italie, mais dans toute l'Europe. Les Anglais, en particulier, n'ont pas besoin de sortir de chez eux pour en avoir la preuve.

La petite république aristocratique de Lucques fut une de celles où les idées protestantes eurent le plus de retentissement. Un grand nombre de lettres émanées du Saint-Siège tendent à déraciner l'hérésie qui fut l'objet de plusieurs ordonnances du gouvernement. Le ton de ces pièces, comme les mesures prises, sont conformes aux idées et aux allures de l'époque. On est toujours de son siècle. En 1562, un grand nombre d'émigrés lucquois demeuraient en Espagne, en France, en Suisse, en Brabant. On ordonna de visiter les malles et les paquets qui avaient cette provenance, pour vérifier s'ils contenaient des livres défendus. A ceux qu'on avait bannis comme hérétiques on faisait défense de demeurer dans ces endroits : « S'ils y sont trouvés, quiconque les tuera pourra gagner 300 écus d'or par tête, s'il est banni il recouvrera sa liberté; sinon, il pourra faire délivrer un autre banni. »>

Ces clauses rigoureuses, dures jusqu'à la férocité, se retrouvent dans toutes les listes de bannis que publiaient de temps en temps les gouvernements d'alors, et qui parfois embrassaient deux cents, trois cents noms et même plus. Une prime était toujours promise au meurtrier.

Je n'excuse pas, Dieu m'en garde, je raconte, — comme je pourrais raconter que dans toutes les initiations de la franc-maçonnerie, on menace du poignard les traîtres où même les indiscrets, et l'on fait jurer aux adeptes de tuer les transfuges. Je ne sais si un tribunal, aujourd'hui, a procédé contre quelqu'un pour un tel serment.

Il est vrai que Pie IV (et non saint Pie V, qui ne commença à

régner qu'en 1566) et Charles Borromée ont loué le zèle que la commune de Lucques montra par ce décret. Mais ce décret était-il chose si inusitée alors? Les émigrés de Lucques fixés à Lyon se récrièrent au sujet des mesures prises contre eux, et portèrent plainte au roi de France, Charles IX, qui gouvernait sous la régence de Catherine de Médicis. Le roi écrivit au gouverneur de Lyon de ne pas laisser faire violence à ces étrangers. Mais le Sénat de Lucques se croyait tellement dans son droit qu'il exposa les faits aux sénats de Berne et de Genève en même temps qu'à la cour de France; et la régente répondit qu'elle n'avait nullement voulu mettre des entraves au cours de la justice, et que, par ses lettres, elle avait cédé aux importunités des religionnaires, qui avaient exposé l'affaire sous un jour tout différent.

Du reste, je ne comprends pas quelle liaison il peut y avoir entre les ordonnances de 1561 et l'assassinat de Fra Paolo, commis cinquante ans plus tard; ni comment on peut dire que saint Charles et le pape l'ont approuvé. Nous avons des lettres du pape qui, au contraire, exprime de profonds regrets pour ce déplorable événement. Nous savons que les assassins, au premier moment, se réfugièrent dans l'hôtel du nonce apostolique, qui était le plus rapproché du théâtre du meurtre. Les palais des représentants étrangers avaient l'immunité; personne ne s'étonnera si le nonce ne leur en fit pas interdire l'entrée. Il suffit de rappeler les affaires de Galotti et de La Gala arrivées récemment. Mais où les assassins furent-ils arrêtés? dans les domaines du pape. Un d'eux fut décapité à Pérouse, ville papale; trois autres moururent dans les cachots de Civita-Vecchia, encore dans la juridiction du pape.

Quand le Saint-Siège se réconcilia avec Venise, le nonce qui fut envoyé reçut (1er juin 1621) des instructions dans lesquelles on parlait de Fra Paolo, du mal produit par ses doctrines exécrables et par ses conseils d'autant plus dangereux, disait-on, qu'ils sont couverts du masque de l'hypocrisie. On exhortait le nonce à prendre garde à ses démarches, à proposer ce qu'il croirait le mieux à faire, à savoir de lui faire quitter le pays pour aller ailleurs vivre paisiblement, après qu'il se serait réconcilié avec l'Église. « Mais, ajoute l'instruction, il y a bien peu à espérer, et il faudra attendre de Dieu le remède, vu qu'il est bien vieux et ne peut pas tarder à arriver à son dernier jour. Malheureusement il laisse derrière lui des élèves et des écrits, de façon à être dangereux même après sa mort. »

Nous sommes bien loin, on le voit, d'une pensée d'assassinat. Rome pensa à une vengeance plus digne d'elle en faisant écrire l'histoire du concile de Trente par Sforza Pallavicino, qui montra par centaines les fautes et les méprises de Fra Paolo et sa constante mauvaise fol.

Mais Fra Paolo est un des personnages que la révolution italienne a mis dans son légendaire, duquel on fait tous ses efforts pour éloigner la vérité. Cette Revue au contraire, ne cherche qu'à rectifier les

1 Voir Raynaldi, Ann. ecclesiastici, ad 1562, p. 174.

1

faits et rétablir la vérité. C'est pour cela que j'ai cru devoir relever brièvement ici les assertions mensongères qui ont été produites. CÉSAR CANTÙ.

III.

LA PROPRETÉ AU MOYEN AGE

A PROPOS D'UNE ASSERTION DE M. TAINE.

M. Taine a naguères avancé que la proprété avait été chose à peu près inconnue au moyen âge. Ceux qui connaissent cette époque autrement que par les superficielles déclamations de certains journalistes, et même, hélas ! de certains historiens qui auraient bien dù rester toujours journalistes, n'ont pas été médiocrement étonnés d'une aussi tranchante assertion. Je vais opposer au spirituel écrivain quelques citations qui me paraissent de nature à prouver jusqu'à l'évidence que la demi-vertu nommée la propreté ne fleurit pas moins dans le XIVe siècle que dans nos temps modernes. De même que je me suis servi des coutumes de Fumel pour montrer qu'au XIIIe siècle la féodalité n'était point ce qu'un vain peuple pense, de même je me servirai maintenant des statuts et établissements d'une autre ville de l'Agenais, la ville de Marmande 2 pour montrer qu'au siècle suivant nos pères avaient adopté déjà la plupart des règlements destinés à faire règner la propreté dans nos rues et dans nos marchés, et même que, sur certains points, ils avaient dépassé cette civilisation dont nous sommes si fiers.

L'article 4 de ces statuts frappe d'une amende ceux qui, pendant les chaleurs, vendent le pain sans l'envelopper :

Contre ceux et celles qui ne tiendront pas le pain couvert à la place.

Et ils (les consuls) établirent de plus que tout homme et toute femme qui vendra du pain dans la ville de Marmande, sera tenu ou tenue de couvrir ledit

Une page d'histoire féodale, dans la première livraison de cette Revue. 2 Ces statuts et établissements ont été publiés, d'après un manuscrit du XIV siècle, dans les Archives historiques du département de la Gironde, 1863, tome V, p. 187-242. Ils furent recueillis en 1396, mais leur existence était de beaucoup antérieure à cette date. Certaines dispositions remontent à l'année 1339. Plusieurs autres paraissent plus anciennes encore.

T. III. 1867.

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pain avec un drap blanc qui l'enveloppe tout entier, afin que rien de sale ne puisse toucher ce pain. Et ceci est entendu des habitants de la ville, de la Påque jusqu'à la Toussaint, sous peine de cinq sous d'amende 1.

Dans combien de villes, de grandes villes, on est aujourd'hui moins raffiné! A Bordeaux, par exemple, je me souviens d'avoir vu, il y a quelques mois, étalés en plein vent, des pains sur lesquels s'accumulaient d'épaisses couches de poussière, pour ne signaler qu'un seul des inconvénients de l'absence du drap protecteur qu'exigeait la délicate prudence du XIVe siècle!

L'article 5 frappe d'une amende les femmes qui filent en vendant du pain ou des fruits.

Contre celles qui filent quand elles vendent le pain ou les fruits à la place. Et ils établirent qu'aucune femme vendant du pain dans la rue, ni aucune revendeuse (en patois recurdière) vendant du pain ou des fruits, ne file dans la grand'rue autour du carrefour, ni en aucun autre lieu où l'on tienne du pain et des fruits à la disposition du consommateur, sous peine de cinq sous d'amende (monnaie Arnaudine) 2.

Nos marchandes ne filent plus en vendant des comestibles, mais combien, ce qui ne vaut pas mieux, en voyons-nous tricoter, et qui plongent quand s'approche le malheureux chaland une de leurs volantes aiguilles dans leurs cheveux trop souvent en désordre, incomptis capillis, comme dit Horace!

L'article 45 défend d'écorcher aucun animal dans les rues, sur les chemins, sur les bords de la Garonne, du moins dans une certaine étendue, et partout enfin où la mauvaise odeur peut se faire sentir aux habitants de la ville. Il est aussi défendu de laver les boyaux partout où l'odorat des habitants pourrait en être désagréablement affecté.

Comme on ne doit écorcher :

Et ils établirent en outre qu'aucun boucher ni autre personne n'écorchât bœuf ni vache ni autre bête dans les rues, ni dans les chemins, ni dans les fossés, ni aux bancs, ni en maison de la ville, ni en lieu quelconque du chemin public d'où habitant de Marmande puisse sentir la moindre mauvaise odeur sous peine de cinq sous d'amende, ni en tout le rivage de la Garonne, depuis l'endroit où s'y déverse le ruisseau jusqu'au moulin du Roi, et qu'on ne lavât

1 « Contra aquels et aquelas qui no tendran lo pan cubert a la plassa. « E establiren plus que tot hom e tota femma qui tiendra pan en la vila de Marmanda sia tengut o tenguda de crubrir lo deyt pan ab 1 drap blanc que tot lo cubrisca; en ayssi que nulha ordura no pusca tocar en lo deyt pan. E aysso esentendut dels habitans de la vila de la Pascha entro a la Tot-Sen, en pena de v s. de gatge. »

2 « Contra aquelas qui filant cant venen lo pan o lo fruyta à la plassa.

« E establiren que nulha femna qui venda pan en carreyra, ni nulha arecardeyra qui venda pan ni fruyta, no filia en carrera gran entorn lo cayreforch, ni en alcun autre loc on tengan pan o fruyta per vene, xendent lo deyt pan o fruyta, en pena de v s. arn. de gatge. » Cette monnaie était inférieure d'un cinquième à la monnaie tournoise.

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