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de la République en faveur des Juifs, et il en conclut qu'elle était tolérante (M. Romanin était juif); et tout le monde sait que l'Inquisition n'avait pas la moindre juridiction sur les juifs ni sur tous ceux qui n'appartenaient pas à l'Eglise catholique, sauf le cas d'apostasie ou de tentatives de prosélytisme. Rome a toujours protégé les juifs lorsque la haine populaire les poursuivait partout ailleurs.

Je viens de dire que M. Romanin était juif. Il est aisé de comprendre ce qu'il lui manquait pour avoir l'intelligence d'une république éminemment catholique par son origine, par ses traditions, par sa guerre incessante contre l'Islamisme; je n'en citerai qu'un exemple. M. Romanin écrit (t. VII, p. 44) que « le cardinal Baronius professait qu'au ministère de Pierre appartient soit de paître les agneaux, soit de les égorger et de les manger; et que cette boucherie n'est pas une cruauté, mais un acte de piété, parce que, s'ils perdent le corps, l'àme est sauvée. » Le cardinal Baronius est connu par sa douceur. Dans sa Parenesis ad R. P. Monetam, il conclut en ces termes : « L'Eglise ne hait personne. Elle nous avertit par les écrits, et nous insinue par la parole d'aimer les ennemis; elle ne hait et ne poursuit que le péché. Comment peut-on croire qu'il ait écrit la phrase en question? M. Romanin l'a tirée des Miscellanea possédés par M. Cicogna, le collecteur le plus éclairé et le plus heureux de documents vénitiens. Dans ce recueil se trouvent quelques pages où un personnage qu'on ne nomme pas, chargé par la République d'informer sur les opinions manifestées dans le consistoire, professe qu'il n'a pas pris note des mots précis, que d'ailleurs après quelques jours ces mots n'étaient plus présents à son souvenir, de manière qu'il pouvait difficilement se les rappeler, et c'est de mémoire qu'il cite la phrase susdite. Nous pourrions conclure de ceci qu'il ne faut pas se fier aveuglément aux relations des contemporains, que la passion peut parfois dénaturer au point de heurter le bon sens. Mais il y a plus. La phrase traduite est celle-ci : Quod occisio non debet esse nisi ex maximá charitate. Quod occidit præcipit manducare: nempe per christianam charitatem in sua viscera recondere, in seipsum unire, ut sint simul unum et idem id Christo. Je ne sais si l'anonyme aura reproduit avec exactitude les paroles du cardinal Baronius, mais en tout cas il est évident qu'il s'agit d'une mort symbolique, d'une pâture charitable. Ainsi d'une métaphore et d'un mystère auguste, on a pu tirer une aussi étrange assertion. Cette erreur est pardonnable chez M. Romanin : mais je l'ai vue répétée par un chrétien.

Il me serait facile de citer de nombreux ouvrages ainsi déparés par des tirades ou des assertions irréligieuses. Je n'indiquerai en passant que deux brochures sur la conspiration du comte Louis Fieschi à Gênes, l'une par M. Brea, et l'autre par M. Celesia. M. Brea, en formant un recueil de lettres du xve siècle, en rencontra plusieurs relatives au comte Fieschi. Il les publie avec une petite préface, dans laquelle il s'efforce de réhabiliter celui-ci aux dépens du fameux amiral Doria. Il recherche si Doria, en abandonnant la cause de la

France, n'a été guidé que par l'amour de sa patrie; si ce fut avec un désintéressement sincère qu'il renonça à la domination de Gênes, et si, en enlevant cette ville à la France, il lui procura indépendance et liberté. Ses réponses sont toutes contre Doria, en sorte que, dans la conspiration de Fieschi, le tort ne serait pas au vaincu, selon l'opinion vulgaire et la fameuse Histoire de Retz.

C'est le même sentiment qui a dicté le livre de M. Celesia. Nous n'entrerons pas dans la question, en litige entre les deux auteurs, de savoir si ces documents ont été trouvés par M. Brea, et si M. Celesia n'a fait que s'en servir, en dissimulant leur provenance, et même en se donnant l'apparence de les voir découverts... Peu nous importe; mais nous constatons que le livre de M. Celesia est écrit avec force formules à l'ordre du jour. Il retentit des grands mots de liberté, de nationalité, de domination étrangère. Il impute au principe guelfe toutes les conspirations et les émeutes qui, dans le but de se délivrer des étrangers, ont troublé le commencement du xvio siècle. Ailleurs il montre comme dominante la politique de Machiavel qui, se moquant de la justice, ne visait qu'au succès et voulait y arriver par tous les moyens. M. Celesia ne manque pas, selon la mode du jour, d'insulter les papes chaque fois qu'il en a l'occasion. Il raconte l'histoire de l'élection d'Alexandre Farnèse un cardinalat selon la version imaginée par l'évêque apostat Pierre-Paul Vergevio, et d'une façon aussi leste que pourrait le faire M. Petrucelli della Gattina. Plus loin ce sont les amours du cardinal Sadoleto avec l'Imperia, courtisane couverte d'or et de gloire, et l'infamie de Pierre-Louis Farnèse contre l'évêque de Fano. M. Celesia défend Pierre-Louis et aussi Jacques Bonfadio, homme de lettres, qui était lié avec les hérétiques de Naples. M. Celesia suppose qu'il avait dit du mal des Fieschi, et comme ceux-ci étaient aimés du peuple, le peuple en voulait à Bonfadio, qui fut arrêté et condamné pour un crime infâme. M. Celesia croit que la faute dont on a voulu le punir était l'hérésie; et en effet d'autres écrivains ont émis cette opinion et en font une victime de l'intolérance religieuse. Mais nous avons une lettre du 1er février 1551, écrite au nom du pape au magistrat de Gênes, dans laquelle il lui reproche le supplice de Bonfadio, disant qu'on aurait dù le remettre à l'autorité ecclésiastique dès que l'on a su qu'il était prêtre et qu'on ne lui a pas laissé le temps de le prouver.

Les chroniqueurs milanais racontent qu'à la fin du XIe siècle une femme parut à Milan, venant de la Bohême; qu'elle prétendait être le Saint-Esprit, incarné dans une femme pour régénérer les Juifs et les mauvais chrétiens; qu'elle disait avoir été annoncée à sa mère, reine de Bohême, le jour de la Pentecôte, par l'archange Raphaël, qu'elle devait mourir, puis ressusciter, monter au ciel, laissant ici un vicaire femme, et donnant d'autres évangiles. Ils ajoutent que cette femme, nommée la Guillelmine', institua une secte qui avait

Voir ce que nous en avons dit dans cette Revue, t. I, p. 522-23.

des réunions nocturnes, dans lesquelles hommes et femmes s'abandonnaient à tous les excès des anciens gnostiques. Donato Bosio a reproduit ce conte dans son histoire latine: Corio le copie, ainsi que Tristan Calcot, Bugatti, Bzovio, Ripamonti, Giulini, Verri, en un mot la généralité des historiens milanais, vous disent que la secte ayant été découverte, le Saint-Office instruisit le procès, et envoya au bùcher les chefs de la secte et les os de Guillelmine, qui était morte en 1282.

Le procès existe dans la bibliothèque Ambroisienne, et nous, qui l'avons examiné, nous avons reconnu que la Guillelmine fut une femme pieuse honorée pendant sa vie, vénérée après, même par les moines de Chiaravalle, où elle avait été ensevelie, et où on lui voua une espèce de culte.

Ou ne trouve pas un seul mot de ce scandaleux quiétisme dont parlent tous les historiens, se copiant, il est vrai, l'un l'autre. Un de ces moines raconte qu'ayant entendu qu'elle prétendait être le SaintEsprit, il alla droit à sa maison pour l'interroger à ce sujet et qu'elle lui répondit avec indignation: Ite, ego non sum Deus. Elle ajouta qu'elle était de chair et d'os, qu'elle avait même un enfant, et que s'ils ne se repentaient pas ils iraient en enfer. Ce sont ses disciples les plus ardents qui ont voulu exploiter sa mémoire pour lui vouer un culte presque divin, comme troisième personne de la sainte Trinité. Du reste l'histoire est pleine de fantaisies semblables. Sans compter la femme vraiment supérieure par l'active assistance de laquelle M. Auguste Comte composait, en 1834, sa religion positive, et sans faire allusion au druidisme de M. Jean Reynaud, n'avonsnous pas eu de notre temps, en 1849, dans le diocèse de Novare, un prêtre, Crignaschi, qui disait être Jésus-Christ en personne, revenu sur la terre pour accomplir la rédemption? Et ce prêtre trouva des croyants même parmi le clergé; et bien qu'il ait été condamné et qu'il ait fait une rétractation, il en est encore qui croient à sa divinité.

On vient de publier à Pérouse un petit livre de cent trente pages sous ce titre Les Guillelmites du XIe siècle : une page de l'histoire milanaise, par le docteur Andrée Ogniben, de Vérone, médecin militaire. On y donne la traduction d'un extrait de ce procès; et pour se mettre à la mode du jour, on commence par vouloir y reconnaître une menée politique. Bientôt, laissant de côté ce thème, l'auteur soutient que tous ces sectaires étaient des hallucinés, mus en partie par une fureur érotique, en partie par une manie religieuse, excitée par les débats de treize sectes de religion, qui existaient alors à Milan. Entêté sur cette théomanie, il arrive à dire que le philosophe et le philologue déchirent le voile mystérieux d'une foi imposée aux intelligences humaines par le despotisme sacerdotal, et montrent clairement l'origine humaine d'une religion pleine d'amour et de sainteté. » Ce qui équivaut à dire : « Jésus-Christ n'était qu'un halluciné. Les révélations du voyant de Pathmos étaient des manies : les fondateurs des ordres religieux n'étaient que des visionnaires. »

J'en ai dit assez et même trop pour vous montrer quelle est la tendance de notre littérature historique. Mais heureueement tout n'est pas sur ce ton: une autre fois je serai heureux de vous entretenir des écrivains qui ont encore le courage de braver l'opinion, de penser avec leur tête, et de chercher la vérité pour elle-même, avec des vues larges étrangères aux passions et aux haines révolutionnaires, et inspirées uniquement par le savoir et la conscience.

CESAR CANTÙ.

CHRONIQUE

Le chapitre des réimpressions; Baronius et ses Annales ecclésiastiques.—Encore les Bollandistes et l'Histoire filleraire. — Une bonne nouvelle réimpression des Historiens de France, sous la direction de M. Léopold Delisle. L'Exposition universelle de 1867. Étude sur les quatre Écoles primaires suédoise, américaine, saxonne et prussienne qui y ont été exposées. Nécrologie M. Reinaud et sa Notice sur Mahomet. Les candidatures. Un bouquet de nouvelles.

- Visite du prince de Prusse aux Archives de l'Empire. - Conclusion.

Le tome neuvième des Annales de Baronius vient de paraître', et, dussions-nous être traité d'esprit paradoxal, nous affirmerons hautement que c'est la plus importante, ou, pour mieux parler, la seule nouveauté dont nous ayons à entretenir sérieusement les lecteurs de la Revue. Les chefs-d'œuvre ont le secret de ne pas vieillir; ils n'ont pas besoin d'eau de Jouvence. En lisant, en relisant le livre incomparable du grand oratorien, on est vraiment frappé de surprise. Où sont-ils ces critiques modernes, ces profonds observateurs qui, dans leur prose philosophique, déterminent, avec une infaillibilité hautaine, le rôle de chaque race dans l'histoire et dans l'érudition. « A la « race germanique, s'écrient-ils, appartient le sens critique que n'ont << point les autres races ou qu'elles ne possèdent pas au même degré.» Voilà ce qui se dit, voilà ce qui s'écrit tous les jours et on dédaigne les gloires rayonnantes de notre érudition française; on oublie notre Mabillon et notre du Cange; on laisse dans l'ombre les splendeurs de l'érudition italienne, Baronius et Muratori... Essayons donc de nous élever à des idées plus larges, plus libérales. Spiritus flat ubi vult. La grande érudition n'est pas le propre de telle ou telle nation, pas plus que de telle ou telle hourgade. Elle fleurit partout où l'esprit est droit, où la raison est exacte, où l'on est passionné pour la Vérité et la Justice, où l'on préfère l'âme à la matière. Et c'est pourquoi la principale patrie de la science est et sera toujours la chrétienté.

Ce nouveau volume de la réimpression de Baronius comprend l'histoire de la première moitié du vie siècle (500-545). Peu d'époques sont d'une étude aussi captivante. C'est le moment solennel où les barbares se décident enfin à faire halte sur les pays qu'ils ont conquis. Quelle angoisse pour les vaincus! Qu'allaient faire ces hommes

1 Bar-le-Duc, Guérin ; Paris, V. Palmė.

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